Franc CFA et Euro : de la confédération monétaire à la fédération politique ?

 

La logique et les limites théoriques du projet de la monnaie unique européenne constituent des éléments de compréhension pour une éventuelle " autonomisation " de la zone franc ou détutélisation du franc CFA; parce que la monnaie unique et l'éventualité d'une union économique dont la monnaie demeurerait un franc CFA décroché du franc français, posent la question implicite du fédéralisme fiscal, du fédéralisme politique tout court et donc de l'intégration régionale en Afrique Subsaharienne. Dès lors, une évaluation peut être faite d'une part à partir des coûts de la pluralité monétaire, c'est-à-dire ce qui fonde les possibles avantages de ces deux projets qui semblent similaires, d'autre part à travers les coûts de l'unité monétaire de l'Union et de l'autonomisation de la zone franc, et enfin à partir de la confrontation de ces deux types de coûts pour essayer d'esquisser un bilan, si tant est qu'il soit possible.

Les tenants de la monnaie unique la présente comme l'aboutissement d'un processus engagé depuis longtemps. De la conférence de 1957 sur le projet d'une monnaie latine, à la prescription en 1970 d'un rapport par le premier Ministre luxembourgeois - qui a été vite oubliée du fait des perturbations du système monétaire international -, on aboutit à la création du système monétaire européen (SME) en 1978 - mise en marche effectivement en 1979. Ce projet n'a pas pu faire face à trois principaux problèmes de coûts faisant appel aux fonctions traditionnels de la monnaie : les problèmes de coûts de transactions liés à la monnaie-moyen de paiement, ceux de coûts de coordinations liés aux taux de change, et ceux du coût de la concurrence liés à la monnaie-réserve de valeur.

En effet, la monnaie permet de réduire les coûts de transaction - commission et risque de variation du taux de change,...- entre les agents économiques, à condition qu'il ait une unité territoriale. L'existence d'une monnaie commune avec laquelle tous les agents pourront opérer une transaction, serait par conséquent bénéfique pour les entreprises, le moteur de la croissance.

D'autre part, un système monétaire vise la coopération entre les monnaies de la zone, pour éviter des comportements agressifs du type " passager clandestin " qui consiste à dévaluer pour jouer sur la compétitivité. Le SME est arrivé à gérer ces coûts, mais n'est pas arrivé à les éliminer, au regard du passage du " serpent " monétaire à ce que d'aucuns appellent la " baleine " -marge de taux de change passant de +/- 2,5% à +/- 15%-.

Enfin, dans la configuration actuelle, dès qu'il y a une perturbation, on voit des précipitations vers la monnaie forte. Ce qui entraîne une concurrence avec les principales monnaies internationales, notamment le dollar américain. Ces trois constats faits à l'égard du SME laissent penser qu'une zone franc autonome ou décroché du franc français, ne pourra pas faire l'économie de ces problèmes de coûts et ne pourra pas les régler par de simples incantations.

Par ailleurs, si la zone franc décrochée arrive à remplir ces conditions, outre ses problèmes économiques structurels qui sont à régler, elle doit tenir compte des coûts politiques dont on peut retrouver les présages dans les critères de convergence du SME. Plusieurs difficultés dès lors apparaissent : celles liées aux zones monétaires optimales, celle que supposent les problèmes de transferts, et enfin celle que soulève l'arbitrage entre taux de change et transferts.

Robert A. Mundell et Ronald McKinnon nous enseignent que deux espaces économiques ont intérêt a avoir une zone économique, si les échanges de capitaux, de personnes et de marchandises, qu'ils ont entre eux, sont plus importants. Trois variables d'ajustement sont à ce propos importants à considérer : le taux de change, la mobilité des individus et des c 

apitaux, ainsi que le coût salarial unitaire (CSU); ces éléments donnent le triangulaire suivant :

 

 

 

 

Ces trois éléments vont s'ajuster. En effet, une fois qu'il y a une zone monétaire, l'ajustement se fera par la mobilité, le taux de change et/ou le coût salarial unitaire, à l'exemple de la zone franc, de la Corse et des autres régions en France ou de l'Allemagne réunifiée. Ainsi, ce triangle devient un rectangle :

 

 

 

Le cas de l'unification de l'Allemagne, nous montre ce que pourra être l'unification monétaire européenne, ou de l'Afrique centrale (CEMAC) ou ouest africain (UMOA) : un arbitrage entre ces trois variables-clefs et/ou des transferts pour compenser des déséquilibres structurels d'un Etat à un autre, seront des passages obligés. Par exemple, il faudra accepter soit :

- une mobilité plus forte des travailleurs des autres Etats -plus défavorisés-, ce qui est invraisemblable au moins en Afrique centrale, eu égard à la législation plus que répressive en matière d'immigration, notamment au Gabon;

- des capitaux publics pour maintenir ces travailleurs sur place, ou une inégale répartition de la productivité (CSU) - donc des salaires plus bas -;... En somme, apparaissent des difficultés qui relèvent de la solidarité : les nantis doivent payer pour les démunis; les difficultés de la CEMAC sont très compréhensibles à partir de cette grille de lecture.

Les perspectives de la constitution d'une union monétaire sur un éventuel décochage de la zone franc par rapport au franc français évoluant vers l'Euro, peuvent par conséquent être définies d'une part par rapport au nombre de pays des ou de la communauté(s) monétaire(s) et leur potentialité économique, d'autre part aux problèmes de coordinations externes et enfin aux problèmes de concurrence par rapport aux choix externes.

L'analyse économique nous montre que seul les pays riches peuvent commencer à constituer une communauté monétaire. Se pose en outre un problème de coordination avec les pays voisins, qui ont une capacité économique importante. Si ces derniers restent à l'extérieur et jouent sur leur taux de change par des dévaluations, ce qui pouvait être considéré comme un avantage, va être un coût, à l'exemple de l'impact de l'économie nigériane sur la zone franc. Dès lors, une coordination avec les autres économies africaines, pour évoluer vers une sorte de African Exchange Standard, avec la fédération nigériane, avec la zone rand dominée par l'Afrique du Sud et avec la zone qui se constitue autour du tandem Kenya-Ouganda.

Restera ensuite la question suivante : que va-t-on faire du franc CFA décroché, par rapport à l'Euro et par rapport au dollar américain. La réponse à cette question supposerait des choix en terme de déficit budgétaire. Si le franc décroché veut devenir une monnaie internationale, sa politique budgétaire sera contraignante puisque chaque Etat devrait s'assurer du financement de son déficit par le marché monétaire international. Nous basculerons dès lors d'une logique nationale à une logique fédérale.

En somme, le projet d'une autonomisation de la zone franc, suppose un effort d'ajustement politique et économique qui se traduira principalement par des coûts salariaux unitaires (productivité). Cependant d'autres éléments peuvent intervenir soit au niveau des transferts, dans cette perspective une logique fédérale s'impose et donc une intégration régionale qui suppose aussi des transferts de souveraineté de la plupart des micro-Etats africains dont la situation actuelle montre qu'ils ne sont pas viables.

Philippe LOUNGOULAH

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