Pas sorciers, les maux du manioc !

 

Baisse des rendements agricoles, perte de virilité et avortements inexpliqués… Autant de maux attribués aux sorciers qui sont dus en réalité à de mauvaises techniques de culture et de préparation du manioc. Une équipe d'universitaires centrafricains sillonnent villes et villages du pays afin de l'expliquer aux populations.

 

Journée exceptionnelle à l’Institut supérieur de développement rural (Isdr), une école perdue dans la forêt dense de la Lobaye, à une centaine de kilomètres au sud-ouest de la République centrafricaine. Plus de 300 spectateurs, étudiants et villageois confondus, ont envahi l'amphithéâtre de l'Institut, devenu trop petit pour l'événement. Sur le plateau, Luc Zougbaké, enseignant à l’Université de Bangui, fait danser les invités. Des affiches collées sur les murs précisent le sujet de la manifestation : "La lutte contre la mosaïque du manioc" (un maladie due à un virus qui déforme les feuilles, diminue la photosynthèse et réduit de 20 à 60 % le rendement du manioc, Ndlr). Un thème d'importance, puisque le manioc est l'aliment de base des Centrafricains.

Tougbato, une célèbre troupe de théâtre du pays, fait son entrée. Foule en délire. Tonnerre d’applaudissements. Le spectacle commence. La scène représente un tribunal populaire présidé par Johnny Joslin Koïsset-Ganitoua, le chef du village. Balekouzou Diana, une jeune femme, s'avance, l’air triste. Elle brandit des feuilles de manioc tachetées de plusieurs couleurs, puis les jette devant le chef en accusant : "Voyez ! Mon voisin a ensorcelé mon champ. Ça ne produit plus. Je veux une réparation !"

A la suite de Diana, Ngueremandji Pélagie accuse son mari d’impuissance sexuelle. "Il dort la nuit sans se mouvoir", précise-t-elle, avant d'annoncer le divorce. Eclats de rire dans l'assistance. L’époux mis en cause, un homme robuste, arrache la parole et déplore à son tour les multiples avortements causés par son épouse. La rage au coeur, le chef s'en prend aux sorciers de son village et traite avec dédain l'époux, qualifié "d’amorphe, de mari irresponsable".

 

Conseils de fabrication

Debato Chrystel, un chercheur, intervient alors pour préciser que la baisse de production de manioc, attribuée à tort aux sorciers, est plutôt due à la mosaïque africaine du manioc. "Cette maladie provoque une baisse considérable du rendement en tubercules. Sa propagation se fait au moyen d’un insecte vecteur, la mouche blanche (ou mouche du tabac, Bemisia tabaci), et à travers le bouturage (mise en terre de matériel végétal contaminé, Ndlr)", soutient-il. Le regard fixé sur la première plaignante, il martèle encore : "il faut dorénavant choisir des boutures saines !"

Etudiants et professeurs, attentifs, prennent des notes. Répondant aux autres plaintes, le chercheur précise que la consommation du manioc mal roui est l’une des causes de l’impuissance sexuelle et des avortements non provoqués. Des prospectus distribués au public présentent le processus de fabrication conseillé : fermentation dans un fût en plastique, épluchage, broyage, et séchage sur une aire aménagée. "Nous n'avons jamais appris cela…", confesse Valery Bianda, étudiante en agronomie.

La parole est ensuite donnée aux spectateurs pour une séance de questions-réponses. Innocent Zinga, biologiste et enseignant à l’Université de Bangui, distingue "le bon manioc" qui donne "une boule qui ne colle pas aux doigts" du "manioc mal préparé" qui abouti à "une boule fade contenant du cyanure, une substance toxique qui agit au niveau du cerveau sur l’hypothalamus et provoque l’avortement ou l’impuissance sexuelle."

 

Théâtre, bandes

dessinées, émissions

"Nous sommes ici dans le cadre de la seconde phase de 'La Caravane de la science', un projet financé par le ministère français des Affaires étrangères et mis en oeuvre par l'Institut de recherche pour le développement", résume Jérôme Picard, responsable du projet Promotion de la culture scientifique et technique (Pcst) à l'Université de Bangui. "Notre objectif, poursuit-il, consiste à vulgariser le savoir scientifique et technique à travers des rencontres entre universitaires, étudiants et populations." La manifestation itinérante se déplace à la rencontre des Centrafricains sur deux thèmes essentiels : l'eau et le manioc. Divers modes d'expression sont utilisés, comme le théâtre, les bandes dessinées, des prospectus, les émissions de télévision et de radio, des expositions, ou encore des conférences-débats.

Une première opération dans les quartiers de Bangui avait touché plus de 6 000 personnes d'avril à septembre 2005, d'après les organisateurs. "Nous constatons un changement de comportement de la population de la capitale par rapport à la consommation du manioc et de l’eau", se félicite Pierre Poukale, un autre membre de l'équipe. 

 

Par Jules Yanganda (Syfia République centrafricaine)

Lu sur lemessager.net (Le 13-07-2006)