La vulnérabilité économique d'un pays riche et enclavé :
Le cas de la République Centrafricaine.

 

 Situé à plus de mille kilomètres de la mer, la République Centrafricaine est un pays enclavé. Le développement de ses échanges commerciaux dépend énormément du maintien de bonnes relations avec les pays voisins. Bien entendu, elle est membre d'une vaste zone économique de l'Afrique Centrale dont les Etats membres sont regroupés autour d'une Banque Centrale commune, la banque de Etats de l'Afrique centrale (BEAC) dont le siège est à Youandé, Cameroun. Ces Etats appliquent une réglementation douanière commune depuis plusieurs décennies.

Mais cette zone économique ne garantit pas les aléas de la politique d'investissement dévouée à chaque Etat. Et la République Centrafricaine est considérée comme le " maillon faible " de cet ensemble économique, à cause de son enclavement au sein de l'Afrique centrale.

Les guerres " de succession " politiques qu'elle a entretenues depuis plus de sept années ont sinistré la capitale, Bangui et réduit l'ensemble de la population à un état de délabrement économique et de grande pauvreté. La reconstruction de ce pays, qui ne dispose d'aucune ressource financière à l'heure actuelle et dont les arriérés de salaires non payés aux fonctionnaires atteignaient en mars 2003 le chiffre record de 32 mois, s'avère difficile à réaliser sans aide extérieure. Par ailleurs, les infrastructures économiques qui ont été systématiquement détruites ou pillés depuis les évènements qui ont accompagné la chute de l'ex-Empereur Bokassa jusqu'à ceux qui viennent de s'achever le 15 mars 2003 auront du mal à se restructurer, car l'étendu des dégâts à réparer est considérable. Cela nécessite des investissements lourds et la République Centrafricaine n'a pas les moyens de répondre à ce défi.

L'ouverture maritime traditionnelle permettant l'acheminement des marchandises vers Bangui, ainsi que l'exportation des matières premières se fait via le port de Pointe Noire au Congo Brazzaville, grâce au fleuve Oubangui. Or depuis les évènements politico-militaires qui ont secoué les deux Congo ces dix dernières années, la sécurité de la navigation du fleuve Oubangui est devenue hypothétique. Alors les Centrafricains se sont tournés vers le port de Douala, au Cameroun, pour faire transiter leurs marchandises qui sont ensuite acheminées par la route vers Bangui ou vers certaines villes de province.

Le voyage Bangui-Douala est un vrai parcours du combattant pour les camionneurs, à cause de nombreux " barrages de contrôle " payants qui jonchent leur parcours et de l'état défectueux des routes qui soumettent les véhicules aux dures épreuves mécaniques.

Malgré les efforts déployés par ces transporteurs routiers pour ravitailler la République Centrafricaine, le volume des marchandises importées reste toujours insuffisant par rapport aux besoins nationaux. D'où une flambée de prix sur certains produits de consommation courante tel que l'habillement, l'alcool d'importation etc. La précarité des échanges commerciaux engendre une spéculation organisée par des commerçants indélicats qui créent la pénurie au rythme des saisons sur certaines marchandises pour les revendre plus chers au moment des crises. C'est le cas du ciment dont le prix a doublé en moins de cinq ans pour atteindre en mars 2003 la somme de 11.000 francs CFA (16,77 euros) le sac de 50 kilos.

La dépendance économique de la République Centrafricaine vis à vis des pays voisins qui ont pieds dans l'Océan est certaine. Dans ce contexte, une alerte a été donnée en mai 2000 lorsqu'une pénurie de carburant a frappé de plein fouet toute l'économie du pays. Les chauffeurs de taxis et les taxis-bus de Bangui se rappellent encore du cauchemar qu'ils ont enduré autour des stations d'essence à la quête de quelques litres de carburant ! Des raisons politiques diverses avaient été évoquées pour expliquer cette pénurie. Mais pour notre part, le manque de prévision de stock a été la cause principale. Et c'est encore par le transport routier que la République Centrafricaine à pu réduire l'ampleur de cette crise en acheminant du carburant à Bangui, via le Cameroun, en quantité limitée, mais assez pour calmer les esprits.

En plus des échanges commerciaux, l'exportation des matières premières (coton, café, bois, etc.) et le développement du commerce dépendent tous du secteur des transports. D'où la nécessité d'engager des réformes adéquates dans la branche du transport routier qui conditionne le développement de l'économie nationale.

Ces réformes peuvent se matérialiser par une politique fiscale qui ne vise pas trop à pénaliser les revenus des transporteurs. Parallèlement, il faut augmenter le parc d'automobiles utilitaires par une réduction de T.V.A sur l'acquisition des véhicules neufs ou anciens de moins de 7 ans. Il faut engager également une politique d'entretien d'infrastructures routières en privilégiant les axes jugés économiquement prioritaires. Toutes ces mesures existent déjà, il convient peut-être de les renforcer.

Mais le transporteur routier aussi bien que les exploitants des matières premières ne peuvent travailler efficacement que si les conditions sécuritaires sont réunies. L'exploitant d'autocar, de mini-bus ou de taxi-brousse, le diamantaire tout comme l'exploitant forestier, le paysan comme le commerçant du coin ne peuvent développer leurs activités économiques que s'ils ne sont bas soumis aux dictats des hommes en armes, notamment, les " braqueurs " et les " coupeurs de route " qui utilisent l'insécurité comme leur fonds de commerce.

La sécurité des personnes est liée à celle de leurs biens et inversement. Sur le plan intérieur, tant que la hantise du " grand banditisme " persistera, ce sont tous les secteurs de l'économie qui régresseront inexorablement, conduisant le pays dans une situation de récession permanente. Sur le plan extérieur, aucun investisseur ne pourra déployer les efforts nécessaires pour apporter sa contribution financière au développement de la vie économique d'un pays où règne l'insécurité. Les pillages de maison et la destruction des biens d'autrui ne sont pas de nature à encourager l'investissement dans le commerce ainsi que dans le mobilier et l'immobilier. Si cette situation persiste, elle contribuera à long terme à un accroissement sans fin de la pauvreté dans le pays, en multipliant la pénurie et la disette qui sont devenus une mode de vie en Centrafricaine.

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Un autre volet de la fragilité de l'économie centrafricaine est celle lié à la gestion et l'exploitation des matières premières, notamment le diamant, l'or et le bois.

Tout le monde s'accorde à dire que la République Centrafricaine est un pays riche. Cependant, il est économiquement admis qu'une richesse naturelle n'a de valeur que lorsqu'elle est exploitée et transformée. Tant que les matières premières ne seront pas gérées correctement et/ou produites en quantité suffisante pour être exportées, tant qu'une partie de ces matières premières ne sera pas transformée sur place pour générer des emplois, les richesses naturelles du pays ne serviront pas la cause de la population.

Exploiter les richesses mais sans les brader. Si l'exploitation des richesses du pays se fait par une classe politique donnée, en complicité avec des hommes d'affaires douteux qui servent d'écran, elle est anti-économique. Par ce qu'elle vise à accroître un enrichissement personnel, elle devient antisociale. De plus, parce que les revenues issues de cette forme d'exploitation échappent à l'impôt, elle appauvrit l'Etat. Enfin, les bénéfices nets gagnés sont vites transférés à l'étranger dans le but de garantir l'avenir en cas de changement de régime politique, elle est une source des fuites de capitaux.

Pour que les richesses servent à réduire la pauvreté, elles doivent être exploitées dans la transparence, par des sociétés agréées qui sont susceptibles de verser régulièrement des royalties et/ou des impôts sur leurs bénéfices d'exploitation dans la caisse du Trésor public.

L'Etat peut également engager et renforcer des réformes dans ce sens comme il a commencé à le faire après le 15 mars 2003.

Mais l'Etat ne peut pas tout faire si la mentalité politique ne change pas en profondeur. C'est aux citoyens de prendre conscience du fait que les chances de promouvoir le développement économique rapide de la République centrafricaine, du moins dans le contexte structurel actuel sont faibles, à cause d'une part, de la vulnérabilité de sa situation géographique en tant que pays enclavé et d'autre part, des dégâts causés aux infrastructures existants par suite des guerres politiques successives.

Devant ce constat, l'expression consacrée selon laquelle le " gâteau tant convoité par les uns et les autres est illusoire et qu'il faille s'unir pour travailler à le rendre réel et plus consistant " devient une réalité.

Jean-Jacques SANZE
28 mai 2003 ( Paris 13ème )

Productions Centrafrique - poentialités économiques