L'abandon de l'Afrique : à qui la faute ?
Ludovic Boutault

Le constat paraîtra sévère, il est malheureusement exact : l'Afrique subsaharienne est loin d'être engagée sur la voie de l'expérience démocratique. Elle subit de ce fait le désengagement politique, économique et affectif de la communauté internationale en général, et de la France en particulier. Les anciennes puissances coloniales se sont retirées. Et, depuis quelques années, les Etats francophones africains ne bénéficient plus, concrètement, de l'aide de l'Hexagone, dans un contexte économique très maussade : le franc CFAZ a subi une forte dévaluation en 1994 et, depuis, le FMI semble peu enclin à prêter à l'Afrique.

Solitude de l'Afrique. L'ancien premier ministre de la République Centrafricaine, Jean-Paul Ngoupandé, essaye d'analyser les raisons de cet abandon, dans un essai intitulé L'Afrique sans la France (1). En effet, pour reprendre les termes d'une analyse assez pessimiste, posons-nous tout bonnement la question : si l'Afrique subsaharienne connaissait un effondrement économique, cela aurait-il la moindre conséquence sur le marché planétaire ?

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. En 1960, l'Afrique pesait 10% du commerce mondial de la planète, ce qui correspondait à ce qu'elle représentait en termes de population, Aujourd'hui, elle compte 13% de la population mondiale, mais sa part dans les échanges économiques mondiaux atteint tout juste 1,8% (dont la moitié pour la seule Afrique du Sud).

L'Afrique serait-elle devenue, sous l'effet de la mondialisation, un continent insignifiant ? Aurait-elle cessé de représenter un enjeu pour quiconque ? Depuis le général de Gaulle, la France entretenait une politique de relations privilégiées avec ses anciennes colonies, mais elle a pris peu à peu ses distances avec ses amis et alliés d'hier. Avec le départs croissants des investisseurs, militaires et coopérants français, l'Afrique, la formule de l'auteur, tend à n'être plus qu'"un amas de problèmes insolubles".

A qui la faute ? Le propos de Ngoupandé n'est pas de diaboliser la France, encore moins de victimiser le peuple africain. Sans passer sous silence les défauts, voire les manquements de la France, l'auteur attribue aux Africains eux-mêmes et en premier lieu à leurs dirigeants la responsabilité de la situation de la situation actuelle.

Car le bien commun est le grand oublié de ces régimes politiques. En Afrique centrale, par exemple, " l'ethnie et la région sont devenues des valeurs refuges, où les dirigeants politiques ont tendance à aimer bien plus leur personne, leur famille, leur clan et leur ethnie que leur pays ".

Ce clanisme va souvent de pair avec une insouciance dans la gestion économique : " Nous, s'indigne l'auteur, nous avons fait comme la cigale de la célèbre fable : nous avons chanté, dansé, en consommant les gains. " Du coup, " nous croulons sous le poids d'une dette d'autant plus lourde qu'elle n'a pas servi à produire de la richesse ".

Le retentissement du marasme dans les classes populaires suscite tentation de la victimisation, avec pour corollaire l'infantilisation que dénonce l'auteur. Mais, pour Ngoupandé, le tort en revient essentiellement à l'Afrique elle-même : " (...) Plus de trente ans après, l'ancienne puissance tutélaire s'est rendu compte que l'enfant refuse de grandir, et comme elle n'en peut plus de la materner, elle lui lâche la main. D'autre part, nous nous sommes complus dans la douce quiétude de l'innocence enfantine. "

Pas question, dès lors, de penser à une recolonisation qui n'aboutirait à rien d'autre qu'à une reproduction des erreurs passées. Ngoupandé plaide pour une reforme des mentalités, pour un " nouvel esprit africain ".

Pour l'ancien premier ministre, le salut viendra en premier lieu d'un mea culpa, d'un bouleversement des mentalités : " Personne conclut l'auteur, ne fera notre bonheur à notre place. Partout où les Africains comprendront que nous sommes maintenant seuls face à notre destin, ce sera le débat de la sagesse. "

Ludovic Boutault, in Le Figaro (jeudi 31 janvier 2002, N° 17 878, page 15)

[ (1) L'Afrique sans la France, de Jean-Paul Ngoupandé, Albin Michel, 393 pages, 21,50 €. ]

Dossier L'Afrique sans la France par Jean-Paul Ngoupandé