Quand les élections ne sont quune étape et pourquoi le développement attend toujours à la porte
Pourquoi le processus de développement économique et social de la Centrafrique reste-t-il toujours engagé à la petite vitesse, depuis son accession à lindépendance? Lon pourrait, comme à lhabitude, montrer du doigt les responsables qui avaient été les différents régimes politiques et leurs technocrates qui sétaient succédés à Bangui et qui avaient été incapables de visions ambitieuses qui auraient pu mener le pays vers un développement harmonieux de toutes les franges de la société. Accessoirement, la seconde question aurait été de savoir combien de temps encore le peuple centrafricain devra attendre pour participer volontairement, plus effectivement, et engager des actions réelles et positives à tous les niveaux, susceptibles dapporter les résultats dun développement véritable? Nous nous limiterons à la contemplation de ces deux questions à cause de leur complexité et laisserons volontiers à dautres le soin dapporter des réponses à des questions semblables et également importantes, mais que nous avons volontairement décidé de ne pas aborder ici.
Avant laccession du territoire de lOubangui-Chari à lindépendence, ladministration coloniale avait été généreuse à légard de sa jeunesse, en cherchant à faire enroller les enfants dans les écoles quelle avait fait construire dans les chefs-lieux des grandes régions administratives. Ladministration coloniale avait eu la vision, et, à bon escient, entrevu limportance du rôle quune jeunesse éduquée pouvait jouer dans la gestion future des affaires du territoire. Elle avait voulu faire acquérir à cette jeunesse une éducation pour tracer la voie vers un futur plein dopportunités, même si à lépoque elle ne pouvait prédire avec exactitude de quoi celui-ci serait fait. Est-ce que cette décision politique déduquer les enfants du territoire avait été réellement sincère ou bien était-elle simplement une forme de compensation offerte à la population pour tous les mauvais traitements qui avaient été infligés aux parents et qui avaient entraîné la mort de nombreux valeureux fils de ce pays dans les prisons ou sur les chantiers de travaux forcés? Nous navons pas assez dinformation ni de recul pour confirmer ou refuter cette assertion. Cependant, nous pouvons nous demander si lengagement par ladministration coloniale déduquer cette jeunesse, avait été pris par altruisme, pour certaines raisons humaines ou humanitaires ou pour dautres raisons inavouées. Aujourdhui, comme un enfant, nous ne pouvons pas mordre les doigts de la main qui nourrit; nous restons donc entièrement reconnaissants pour tous les avantages que nous et dautres avions alors tirés de cette politique déducation.
Pour illustrer certaines caractéristiques de cette école dalors, nous voudrions mentionner que celle-ci avait été gratuite et permettait à un petit groupe que lon appellerait lélite, de finir des études supérieures, sans quil soit exigé des parents une contribution financière quelconque. Les coûts de la formation initiale des enseignants, et les salaires étaient entièrement pris en charge soit par ladministration coloniale, soit par une autre institution, généralement religieuse, qui les parrainait. Dans les maternelles, des goûtés étaient servis pour satisfaire en partie les besoins nutritionnels des tous petits qui venaient de différents milieux sociaux. Dans les écoles publiques et privées, les livres, et autres matériels didactiques étaient disponibles et gratuits, tout le long de lannée scolaire. Avant les grandes vacances scolaires, les livres, le mobilier et autres equipements étaient comptabilisés puis rangés en attendant la prochaine rentrée scolaire.
Après laccession de lOubangui-Chari à son indépendence, la métropole avait continué, par exemple, à apporter son assistance à ladministration centrafricaine de lenseignement. Celle-ci avait hérité de toutes les infrastructures meubles et immeubles, à elle léguées par ladministration coloniale et plusieurs groupes religieux. Les internats avaient donc continué à fonctionner dans le secondaire; les élèves arrivant des régions démunies, étaient logés, habillés et nourris. Une infirmerie prenait même en charge les élèves malades et sassurait de leur évacuation vers les centres de santé, sil y avait lieu. Les élèves, internes ou externes, recevaient régulièrement une petite subside mensuelle ou trimestrielle que lon appelait bourse et qui avait servi à beaucoup délèves externes à lamélioration de leur ordinaire. Des bourses détudes à létranger avaient été disponibles pour ceux qui avaient été jugés aptes pour faire des études supérieures. Dans le cadre de la nouvelle coopération, ladministration française avait continué à mettre à la disposition de la Centrafrique des enseignants à tous les niveaux des cycles denseignement. A la fin de lannée scolaire,des prix sous la forme de livres étaient décernés aux élèves les plus méritants. Les enseignants recevaient régulièrement dans les salles de classe, la visite des inspecteurs qui sassuraient du suivi scrupuleux des programmes et de la qualité des enseignements qui étaient destinés aux élèves. Cependant nous voudrions préciser que ces privilèges avaient graduellement cessé dexister, car ladministration centrafricaine navait plus été en mesure de garantir cette manne; pendant plusieurs décénies, elle navait développé aucun plan ni aucune stratégie pour ce faire. Mais dou pensez-vous que cette administration coloniale ou cette coopération avec la France, avec lArchevêché et avec certains pays amis, tiraient les ressources nécessaires pour financer cette assistance? Une école de pensée de nationalistes africains avait par exemple indiqué que cette assistance était légitime dans la mesure ou la Métropole avait pendant longtemps exploité les ressources naturelles du pays sans une compensation équitable. Lorsque la France avait décidé de retirer plus de 95% de leffectif de sa coopération à léducation, chacun avait peut être estimé que les comptes avait alors été réglés. Enfin, la Centrafrique devenue indépendante devait pleinement assumer ses responsabilités. Mais savait-elle organiser puis utiliser ses ressources? Cest ce que nous allons voir.
Puis les livres usés nétaient plus remplacés. Les nouveaux programmes scolaires avaient fait introduire de nouveaux manuels; toutefois pas en nombre suffisant pour satisfaire la demande dûe à lexplosion de la population des enfants scolarisés. Puis le nombre des enseignants entrant en cycle de formation initiale naugmentant pas proportionnellement au nombre délèves, les effectifs dans les classes avaient commencé à doubler, à tripler puis à quadrupler; certaines classes avaient eu au moins une centaine délèves. Pour compliquer un peu plus la situation, la construction de nouvelles écoles ou de nouvelles salles de classe navait pas suivi le rythme de la croissance des effectifs. Il était également courant dobserver plus de la moitié des élèves dune classe assister aux cours en restant debout de longues heures ou assis à même le sol, parce quil ny avait pas de tables-bancs en nombre suffisant. A cause des facteurs énoncés ci-dessus et de labsence de matériels didactiques appropriés, les programmes officiels nétaient jamais régulièrement bouclés à la fin de lannée scolaire, ou encore étaient couverts à la hâte pour les classes dexamen. Par ailleurs à cause du nombre limité de place dans les écoles et des effectifs pléthoriques, sa corollaire, les inscriptions dans les écoles, les résultats aux examens et concours nationaux avaient commencé à se marchander par les directeurs décole, les proviseurs et autres chefs de centres dexamen. Ajouter à tout cela les salaires des enseignants qui étaient irréguliers, puis les grèves intermittantes, vous aviez alors en face tous les ingrédients pour peindre la situation déplorable dans laquelle se trouvait et se trouve encore lécole centrafricaine, en panne dinitiatives et de moyens.
Si vous procédez à une analyze semblable des secteurs de la santé publique et des grandes endémies, des travaux publiques et de léquipement, des transports, et autres par exemple, nous parierons que vous observerez une tendance identique à celle que nous avions relevée pour ce qui concerne le secteur de léducation. Les campagnes régulières de dépistage de maladies et de protection contre les grandes endémies nétaient plus régulièrement financées. Pourquoi donc jouer aux sapeurs-pompiers sil ny avait pas dincendie? Cest ce que lon entendrait dire certainement! Autre exemple, pour que les forces de lordre se déplacent pour effectuer un constat ou pour livrer une convocation, le plaignant devrait mettre un véhicule à la disposition de la police ou de la gendarmerie pour faire le déplacement. Un autre exemple, pour sassurer quune réclamation administrative soit promptement introduite auprès dune autorité compétente, le concerné devrait se préoccuper dêtre en bon terme avec la secrétaire, le chef de service, le directeur de service en donnant de largent ou en faisant des promesses de compensation. Si loffre ne se matérialisait pas dans leur forme sonnante et trébuchante, lon était alors assuré de la disparition du dossier ou dune lenteur exagérée dans son traitement. Tous les services publiques se monnayaient et largent allait dans la poche de ceux qui étaient supposés être payés pour faire le travail. Lon avait vraiment le sentiment que tous les services de létat étaient tenus pas des courtiers ou des prestataires de services, privés qui exigeaient des commissions. Ceci établi, qui pensez-vous donc serait responsable des obstacles au développement de la Centrafrique? Nous serons bien curieux dentendre votre opinion à ce propos. Une chose cependant est certaine selon nous. Les politiciens, les enseignants, les responsables des centrales syndicales, les enseignants, les étudiants, les élèves, et les parents navaient pas réalisé ce qui se passait et nétaient pas conscients des conséquences de chacun des actes quil posaient avec innocence ou pas. Le rôle majeur de léducation des futures générations avait été compromis à la faveur des revendications salariales, des réclamations des honoraries et bourses détudes, du désir de faire acquérir son diplôme au rejeton par tous les moyens, et autres. Le reste, ou du moins ce qui devait correspondre à la consolidation des acquis de lenseignement, puis à la mise en oeuvre de nouvelles initiatives pour lamélioration du système éducatif dans le pays avait semblé ne pas avoir dimportance pour tout ce monde. Aujourdhui encore, le pays continue à payer la facture lourde des effectifs surchargés des salles de classe, des années dites blanches, etc. Et le pays est loin davoir clôturé définitivement ses comptes dans ce secteur et dautres.
Aujourdhui, la Centrafrique vit les conséquences des facteurs que nous avons très brièvement décrits et celles dautres facteurs que nous vous laissons le choix de relever. Les politiciens et autres technocrates avaient été des mauvais gestionnaires qui navaient pas imaginé un seul moment quils étaient responsables de ce disfonctionnement (matériaux didactiques inexistants, programmes scolaires copiés sur des modèles étrangers, programmes détudes inadaptés aux besoins du pays, écoles en nombre insuffisant, salaires irréguliers ou impayés des enseignants et, corruption des responsables, qui avait remis en question la qualité et la valeur des diplômes nationaux, etc.) et navaient jamais compris le sens des mots planification, budget et fonction publique, même sil y avait des départments ministériels qui avaient eu la charge de ces opérations. Au fils des années, les gouvernements centrafricains avaient fait croire aux citoyens que les problèmes du pays, quelle quen était la gravité, seraient résolus si des pays occidentaux amis, certains pays dAsie, la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International assuraient les financements des activités, des initiatives ou des projets que ceux-ci avaient conçus en lieu et place de technocrates centrafricains. Aujourdhui, parce quil ny aurait pas de grands projets, financés par ces institutions, toutes les activités du pays seraient en veilleuse. Si le pays avait eu le statut dune société comme Moura & Gouvéia, il y a longtemps quil aurait suivi lexemple et passé en liquidation. Nous espérons sincèrement que nos politiciens noseront pas à chercher des prenneurs étrangers pour soccuper concrètement du développement de la Centrafrique! Les chances dune bonne reprise économique existeraient bel et bien si tous remettaient en question ces anciennes habitudes et ces méthodes de travail qui avaient été, à lévidence, un frein au développement de ce beau pays.
La réponse à la première question qui figure dans notre introduction serait ce qui suit. Tout le monde avait été trompé; mieux encore, tout le monde avait accepté de se laisser berner. Lon avait pensé que lachat des matériaux didactiques, lachat des équipements médicaux, la construction des écoles, louverture de nouveaux centres hospitaliers, la réfection des routes et des bâtiments pour abriter les services, en un mot la maintenance et lexpansion des infrastructures de létat avaient été la responsabilité de ladministration et du gouvernement. Soit! Mais où voulez-vous que ladministration et le gouvernement trouvent les ressources financières si chaque citoyen trouve tous les prétextes pour ne pas payer les taxes ou les impôts, ou encore trouve le moyen de détourner dune manière ou dune autre les ressources qui auraient dû aller à ladministration pour les services et le développement des infrastructures de la société centrafricaine? Et les politiciens, les syndicalistes, les militants des partis, les militaires, les fonctionnaires, les particuliers et autres hommes daffaires avaient oublié que la construction de nouvelles écoles et des hôpitaux, lexpansion des réseaux deau potable et délectricité, le bitumage des routes nationales, la bonne prestation des services publiques, et autres ne pouvaient sopérer que grâce à la contribution surtout financière de chaque citoyen et de tous les membres de la société centrafricaine. Reconnaisons que cette situation avait été compliquée par la persistence du problème des arriérés de salaires des fonctionnaires. Comment donc prélever les impôts sur les salaires, si ceux-ci ne sont pas régulièrement payés aux employés? Mais les salaires ne seraient pas les seules sources de revenues de létat! Que voudriez-vous faire davantage si les impôts et taxes sur lexploitation des ressources minières et forestières et sur leurs exportations nentraient pas entièrement et régulièrement dans les caisses du trésor pour servir à la réalisation de projets, puis à la maintenance des infrastructures et des services dans le pays? Le moment serait peut-être venu de chercher à être un peu plus créatif, de reviser le code des impôts et autres règlementations, dexiger par exemple des impôts annuelles plus substantielles sur les nombreuses villas barricadées, sur les immeubles privés, sur les propriétés foncières, sur certains biens et autres dans le pays. Et figurez-vous, tous les citoyens et autres hommes daffaires honorant leurs dettes vis à vis de létat devraient plutôt se considérer comme contribuant volontairement (contribution comme action participative) au développement des infrastructures du pays tout entier. Bien sûr ceux ou celles, supposés avoir largent sont surtout les politiciens, officiers de larmée, hauts fonctionnaires, et autre hommes daffaires véreux qui gravitent dans larêne du pouvoir et des partis politiques et qui seraient les premiers à sopposer vigoureusement à des propositions de changements positifs. Et nous aurions en présence des hommes et des femmes qui voudraient faire une omelette sans casser les oeufs. Sopposer à ces changements serait refuser de donner au développement du pays la chance de se réaliser. Et nous ne savons pas comment tout ce processus sétait déroulé, mais nous avons comme limpression que tout le monde sétait mis dans la tête quil revenait aux institutions telles la Banque Mondiale, le Fond Monétaire International, lUnion Européenne, ou encore les pays amis de la Centrafrique, de soccuper à la place de ses fils du développement de ce pays. Le citoyen avait perdu de vue les véritables réalités du pays et oublié que chaque citoyen était lacteur du développement de son pays; sagissant dacteur à la fois politique et économique. Faisons enfin observer que, même dans le contexte de la globalisation ou de la mondialisation, chacune des institutions amies que le pays appellerait au secours soccuperait avant tout de soigner son pré carré. Les ressources nécessaries à la construction de la Centrafrique devraient provenir essentiellement de la force des bras et de la tête des hommes et des femmes du pays.
Nous espérons que la prochaine assemblée nationale souveraine et le prochain gouvernement à Bangui comprendront notre message et sassureront de penser des initiatives novatrices, de prendre des décisions concrètes, puis dagir promptement pour faire face aux problèmes cruciaux de développement du pays. Le développement de la Centrafrique nest point léquivalent de la tenue des élections, car ces élections ne sont jamais une fin en soi et ne sont en fait quune petite étape historique vite oubliée.
Jean-Didier Gaïna
Virginie, Etats-Unis d'Amérique (12 Février 2005)
Actualité Centrafrique de sangonet