Les issues de sortie - ce que les militaires et les politiciens n’avaient pas encore compris: L’insécurité en Centrafrique:

Le compte à rebours avait inexorablement commencé, qui mettrait un terme à tous les cauchemars centrafricains de 2005. Puis chacun aurait encore droit à 365 jours qui seront fait d’on ne saurait quoi. Cependant, nous avons pensé et espérons que l’an 2006 et tous les autres à venir, apporteraient enfin la matérialisation des aspirations des enfants de ce pays. Cela serait simplement notre souhait de bonne année pour tous.

Avant de laisser nos pensées vaquer à des préoccupations beaucoup plus importantes, nous avons pensé qu’il conviendrait de se poser des questions sur certains grands évènements qui avaient marqué l’histoire récente du pays. Par exemple, on pourrait se demander combien de centrafricains étaient morts dans les geôles du pays, à la suite de dénonciations mensongères et d’intrigues politico-administratives montées de toutes pièces par des enfants du pays qui avaient voulu avoir les bons égards du souverain. Nous pourrions aussi nous demander si des centrafricains, habitants des rives du fleuve Oubangui avaient dû des comptes à ceux qui venaient des savanes du Nord, parce que Kolingba avait usé du népotisme? De même, est-ce que des centrafricains avaient par malice usé l’argument de la prévalence d’une tribu sur les autres pour semer la division et accéder ainsi au pouvoir? Par ailleurs, est-ce que Patassé avait été le premier président démocratiquement élu, à inviter des forces rebelles étrangères sur le territoire national pour protéger un pouvoir que le peuple lui avait confié et qu’il voulait confisquer? Est-ce que le régime de Patassé avait laissé un bilan économique qui comprenait, entre autres, à son actif plusieurs années d’arriérés de salaires, de pensions et de bourses d’études? Est-ce que les recommandations issues du fameux dialogue national avaient produits les résultats que le peuple attendait? Enfin, est-ce que Bozizé avait dupé tout le monde et réussi le blanchiment de son régime en orchestrant de mains de maître la conversion de sa dictature en un régime présumé démocratique? En contemplant aujourd’hui les bilans individuels et combinés des gouvernements en Centrafrique, il nous semble qu’il conviendrait d’admettre que tout cela avait été la réalisation de fantasmes, et, ô combien un gaspillage de temps et de talents.

Ceux qui paraissaient bien avisés avaient oublié que la démocratie n’était pas comme une usine que l’on livre clé en main. Cette démocratie serait assortie de plusieurs exigences incontournables pour s’établir dans les faits. Par exemple, les partis politiques dans le pays n’avaient pas accordé d’importance à l’éducation civique et politique de leurs militants de base. Les termes état ou patriotisme avaient perdu tout leur sens dans une société centrafricaine. Les modèles du bon citoyen manquaient, notamment à une jeunesse qui se cherchait et voulait apprendre à mieux faire. Ceux qui avaient été élus au sein des bureaux politiques des partis n’avaient pas eu la motivation, ni les habilités nécessaires pour penser et gérer les affaires avec efficacité, flexibilité et charisme; les zizanies et les incompréhensions au sein desdits bureaux politiques et dont les médias avaient fait les échos en seraient la parfaite illustration. Le militantisme politique en Centrafrique s’était simplement résumé à soutenir des démagogues, puis à porter des despotes au pouvoir à Bangui, afin de recevoir en retour un emploi dans l’administration. Les militants des parties, puis les citoyens avaient chaque fois oublié de remarquer que chaque régime qu’ils avaient installé au pouvoir par leurs votes, n’avait rien apporté de positif au changement économique qu’ils avaient espéré. Ces régimes politiques, notamment ceux qui étaient populaires, avaient apporté la misère à l’ensemble de la société. Les illustrations seraient par exemple la faillite du trésor publique, les grèves endémiques des fonctionnaires, l’absence de véritables emplois, les années blanches dans les écoles et les lyçées; une administration défaite de son autorité, une armée nationale factieuse, et, une insécurité flagrante. Devrait-on alors s’étonner d’observer dans cette conjuncture sociale et économique difficile que les politiciens et les militaires avaient eux-mêmes créée, que la malhonnêteté serait devenue la seconde nature de chaque citoyen, si c’est là la seule alternative qui lui resterait pour essayer de survivre? La société centrafricaine entière avait perdu tous ses repères.

Mais il y aurait plus grave encore si les véritables maux du pays n’étaient pas proprement diagnostiqués et si les prescriptions étaient uniquement les incantations, recommandées par le gouvernement de Bozizé. Vous vous souviendrez certainement des zaraguinas que Kolingba avait laissés opérer impunément dans le Nord, sans susciter aucune représaille décisive des autorités militaires du pays? Selon celui-ci, il n’avait pas été question d’envoyer au front les hommes de sa garde présidentielle pour donner le change à ces zaraguinas, parce que la majorité des hommes de la garde présidentielle, la mieux équipée et la mieux entraînée de toute l’armée nationale, appartenait à sa tribu. Vous souvenez-vous des exactions commises par les troupes lybiennes et celles du rebelle congolais Bemba que Patassé avaient introduites pour protéger son pouvoir? Leurs missions accomplies ou pas accomplies, celles-ci étaient tranquillement retournées chez elles en emportant quelques butins de guerre. Ce qui était resté au pays avait été des exemples concrets d’occupation du territoire par des forces étrangères et d’impunité. Patassé ou ses griots vous repliqueraient certainement, qu’il en avait été ainsi avec l’approbation de l’assemblée nationale. Là aussi, comme à l’habitude, le peuple centrafricain avait oublié de demander des explications au président de cette assemblée nationale de l’époque et aux députés qui auraient voté en faveur de la présence de ces forces étrangères sur le territoire national. En prenant exemple sur Patassé, Bozizé ne s’était pas fait prier, et, utilisant les hommes des anciennes rébellions tchadiennes et autres déserteurs de l’armée centrafricaine, était entré à Bangui en libérateur, causant sur son chemin la destruction des faibles infrastructures administratives des villes telles que Bossangoa et Bozoum. Vous voudriez crier justice? De quelle justice voulez-vous parler? Mais attendez, ce que nous venons d’énumérer sommairement ci-dessus ne serait que le prélude du véritable chaos que le pays tout entier attendrait de vivre.

Avant-hier, dans les régions du Nord du pays, les zaraguinas avaient raquêté des petits commerçants sans défense; ils avaient écumé les pistes de transhumance, dévalisant de nombreuses familles d’éleveurs Mbororos; ils avaient tendu des embuscades sur les axes routiers et abattu des citoyens de sang froid. Puis ils étaient entrés dans les villes et les villages, emportant avec eux des biens et équipements qu’ils pouvaient revendre; ils avaient violés. Hier donc, ces mêmes scènes s’étaient déroulées dans les régions du centre du pays. Aujourd’hui, ce mal est partout dans le pays, Markounda, Gamboula, Bania, Bangui. Ces brigands paralysent la vie économique sans laquelle tout gouvernement et toute assemblée nationale à Bangui ne pourraient trouver la solution définitive au problème des arriérés de salaires, des pensions et des bourses. Demain, des étrangers fortement armés, avec des complicités locales, investiront toutes les grandes régions économiques du pays. Puis, comme dans l’Est du Congo Démocratique, les chefs des brigands feront exploiter par leurs hommes, le diamant, l’or, le bois et autres ressources naturelles. Ces brigands trouveront des complicités à l’extérieur, au sein de l’armée centrafricaine ou encore dans la classe politique du pays pour exporter leurs butins et s’enrichir sur le dos du centrafricain. L’administration continuera à perdre son autorité. Les déserteurs de l’armée nationale rejoindront ces brigands. Les jeunes, les filles comme les garçons seront embrigadés par la force pour server et sévir à leur tour, comme dans les exemples de l’Ouganda, de l’Angola ou d’ailleurs. Ces brigands mutileront en coupant le oreilles ou les bras ou tueront les civils innocents qui oseront se révolter. Il n’y aura plus de parti politique, mais des groupuscules armés qui se réclameront d’une rébellion politique quelconque et empêcheront toute activité économique qui profiterait au pays et à la population civile. Chaque chef de groupuscule armé fera sa propre loi dans la région qu’il occuperait. Des scènes atroces semblables à celles qu’on avait observées dans des pays comme la Sierra Leone ou le Libéria, se dérouleront alors en Centrafrique.

Nous doutons sérieusement que la décision de Bozizé de décreter trois journées nationales de prières constituerait une solution à un quelconque mal qui affecterait le pays. Et nous oserions nous demander s’il y avait encore des centrafricains lucides dans la classe politique pour comprendre ce grand danger, pour mobiliser l’opinion nationale, internationale, et des actions concrètes, et, pour éviter que ces craintes ne deviennent réalités? Il serait important que tous les centrafricains et autres amis de la Centrafrique comprennent les risques de dégradation de l’insécurité et évitent au pays de tomber dans ce traquenard bien connu. Gouverner ne devrait pas uniquement se résumer à chercher à éponger les arriérés de salaires…

Jean-Didier Gaïna

Virginie, Etats-Unis d’Amérique (30 décembre 2005)