Joseph Nzo Ekangaki : un éclair dans la diplomatie
par Xavier Luc Deutchoua, 16 Juin 2005, Le Quotidien Mutations (Yaoundé)

L'éphémère Secrétaire général de l'Oua est décédé le 06 juin 2005.

Le 06 juin dernier, le mystère s'est épaissi sur un des plus grands incidents de l'histoire de la diplomatie camerounaise. Au bout d'une année de maladie, Nzo Ekangaki est décédé à Yaoundé, sans parler, ni écrire. Comme Moussa Yaya, Charles Assale, Théodore Mayi Matip, Samuel Kame, Dooh Kinguè, Paul soppo Priso, John Ngu Foncha et bien d'autres personnalités qui ont guidé les pas du jeune Etat indépendant du Cameroun, il a rejoint le monde du silence sans laisser ses mémoires. La postérité ne saura donc pas sa version de l'affaire qui le contraint à quitter prématurément son poste de Secrétaire général de l'Organisation de l'unité africaine (Oua) en juin 1974.

L'affaire? Elle remonte à octobre 1973. L'armée égyptienne attaque Israel, avec l'aide de la Syrie et de la Jordanie, dans le but de récupérer les territoires occupés en 1967 et de rétablir le peuple palestinien dans ses droits. L'Afrique se montre solidaire de cette cause. Elle aussi subit les affres de la domination coloniale et de l'oppression raciale en Azanie (Afrique du sud). L'Oua, qui s'est fixé pour objectif de libérer la Rhodésie (Zimbabwé), le Mozambique, l'Angola, la Guinnée Bisau, la Namibie, et le Sahara occidental, a mis sur pied un Comité de coordination pour la libération de l'Afrique. Le Comité est chargé de mobiliser des ressources pour soutenir la lutte armée. Le Cameroun manoeuvre pour en faire partie, à partir de 1972. Il en est l'un des principaux bailleurs de fonds, et Yaoundé abrite plusieurs fois ses assises.

Au début du conflit, Israel subit une série de revers, surmontés avec peine grâce à l'aide des Etats-unis. Les pays arabes décident alors d'utiliser le pétrole comme arme de pression diplomatique. Ils réduisent leur production de brut de près de 25%, et décrètent un embargo sur les exportations vers les Etats-unis, de l'Afrique du sud, du portugal et des Pays-Bas qui ont aidé Israel. «L'époque du pétrole bon marché est terminée», affirme le Shah d'Iran en décembre 1973. De fait, entre octobre 1973 et janvier 1974, le prix du baril quadruple

Or les pays africains sont durement frappés par l'augmentation du prix du pétrole. Ils tentent en vain de convaincre les pays arabes producteurs de baisser les prix . Dans le même temps, en raison de l'inflation, ils voient augmenter de plus de 20% les coûts de leurs importations de produits mnufacturés, dans les pays industrialés. C'est alors que l'Oua prend l'initiative d'étudier les moyens d'atténuer les effets de la crise du pétrole. A qui pensez-vous que le Secrétaire général de l'Oua accorde le marché? A la London Rhodesian Mining Land Compagny (Lonrho). Le contrat entre l'Oua et la compagnie stipule que la Lonrho est chargée «d'établir des contacts directs avec les Etats membres touchés par l'embargo sur le pétrole, de conseiller , d'assister et d'entreprendre pour ses membres, au nom du Secrétariat général de l'Oua, toutes tâches jugées nécessaires par la Lonrho et le gouvernement de l'état intéressé» Il pensait bien faire. L'entreprise entretient des relations avec 15 pays africains. Elle connait bien le continent et le secteur du pétrole.

Mais, courant janvier 1974, l'affaire du contrat Oua-Lonrho est révélée par Paul Bernetel, de l'hebdomadaire Jeune Afrique. Avec Denis Krylen, autre journaliste de Jeune Afrique, anciennement attaché culturel à l'ambassade de France à Salisbury et chargé d'affaire à Prétoria, il mousse l'affaire dans une série d'articles relayés par la presse internationale. On apprend ainsi que la Lonrho est l'un des pricipaux bailleurs de fonds du régime colonial rhodésien que l'Oua s'échine à renverser. Que la société gère des plantations et exploite des mines en Azanie (Afrique du sud) et en Rhodésie. Que son patron, Roland Walter Enhrhop, est un ancien symphatisant des Jeunesses hitlériennes, chassé de l'armée britannique pour ses déclarations pro-nazies, et émigré en Rhodésie en 1943. On suggère que la Lonrho aurait versé des pots de vin pour décrocher le contrat, lequel a été signé à l'insu du conseil des ministres. Par le passé, Ahidjo avait reproché ce genre d'initiative solitaire à Diallo Telli, le prédecesseur de Nzo Ekakgaki. Ahidjo en voudra longtemps à Paul Bernetel, ce journaliste français, né au Cameroun d'un père guyannais, et qui avait passé son enfance et fait ses études à Yaoundé. Au Cameroun, on soupçonne alors la main d'un chef d'Etat de l'Afrique de l'ouest, qui trouverait là l'occasion de fragiliser un leader francophone qui lui fait ombrage.

Illusions

A la 22è session du conseil des ministres, ouvert le 22 février 1974, Nzo Ekangaki rate une occasion de s'expliquer, les travaux ayant dû être annulés en raison de la dégradation de la situation politique en Ethiopie. L'audition de Secrétaire général est finalement renvoyée au 1er avril 1974, à Kampala. Ce jour là, les choses s'annoncent sous un mauvais jour pour Nzo Ekangaki: trois jours plus tôt, le président du Conseil, le ministre des affaires étrangères du Burundi, Artemon Simbaniwe, .a examiné la question à Lagos avec le président en exercice de l'Oua, le général Gowon, qui ne cache pas son amertume; en inaugurant la réunion, le général Idi amine Dada, s'en prend à ceux qui manquent de «courage» face aux défis de la libération de l'Afrique. C'est donc un homme pratiquement seul qui fait face aux membres du conseil des ministres, ce début d'avril 1974. Nzo Ekangaki s'explique; il menace de démissionner: personne ne l'écoute. Au départ de Kampala, Nzo Ekangaki a peu d'illusions sur le sort que lui reserve la prochaine Conférence des chefs d'Etats et de gouvernement, prévue à Mogadiscio, en Somalie, le 12 Juin.

Sa succession semble déjà ouverte. Omar Arteh Ghalib, le ministre somalien des affaires étrangères, dont le pays abrite le sommet prévu, entre d'ailleurs en campagne immédiatement. Il arrive à Yaoundé le 29 avril 1974, en provenance de Bangui en Rca, après N'djaména au Tchad et Khartoum au Soudan. Après Yaoundé, il se rend à Libreville au Gabon et à Malabo en Guinée équatoriale.

Pour sa part, le président Ahidjo caresse toujours l'espoir de retourner la situation en faveur à son poulain. Le 13 mai 1974, il ouvre les travaux de la 23è session du Comité de cordination pour la libération de l'Afrique. Malgré l'embarras dû au «scandale de la Lonrho»; Ahidjo conserve ses accents guerriers: «On ne peut s'empêcher de constater, avec une légitime amertume, la persistance de la domination raciale dans nombre de pays africains, notamment en Angola et au Mozambique, où le Portugal continue sa guerre coloniale rétrograde, avec son cortège d'atrocités indignes d'un peuple civilisé; en Afrique du Sud et au Zimbabwé où l'apartheid n'a rien perdu de son insolence injurieuse à l'égard des peuples noirs et en Namibie où les racistes d'Afrique du sud défient impunément l'autorité de l'Oua».

Un mois après ce discours musclé, le 11 juin1974, le chef de l'Etat camerounais débarque à Mogadioscio, pour le 11è sommet de l'Oua. Il a l'intention de demander le minimum à ses pairs. A savoir permettre à Nzo Ekangaki d'aller jusqu'au terme de son mandat. Malgré son aura, ses pairs s'abstiennent de le suivre. Ahidjo présente alors la candidature de William Aurélien Eteki Mboumoua, son conseiller spécial auprès du Comité de l'Oua pour le Moyen-Orient. Etéki Mboumoua n'obtient que cinq voix au premier tour. Déçu, Ahidjo quitte précipitamment Mogadiscio, abandonnant une partie de la délégation. Seize heures de débats et vingt tours de scrutin n'arrivent pas à départager le Somalien Omar Arteh Ghalib et le Zambien Vernon Mwaanga. Face au blocage, le président Senghor remet la candidature de William Aurélien Eteki Mboumoua sur la table. En l'absence du président Ahidjo, il est élu Secrétare général de l'Oua, en remplacement de son compatriote Nzo Ekangaki.

Metéorite

Le mandat de ce dernier avait commencé deux ans plus tôt, à Rabat. Le 15 juin 1972, il avait été élu, à l'issue d'un scrutin qui l'avait opposé à son prédecesseur, le Guinéen Diallo Telli, au Burkinabé Malik Zorome et au Libérien Edward Peale. Originaire du Cameroun anglophone, sa parfaite maîtrise du français avait milité en sa faveur. L'aura internationale du président Ahidjo le couvrait. Il avait 38 ans!

Nzo Ekangaki était né à Nguti, dans l'actuelle province du Sud-ouest, le 22 mars 1934. Il fréquente l'école de son village de 1943 à 1947, poursuit ses études primaires à Besongabang en 1948, et mène des études secondaires au collège protestant de Bali de 1949 à 1953. En 1954, il étudie à l'université d'Ibadan. Séduit par les idées panafricanistes en vogue dans le campus, il abandonne son prénom chrétien, Joseph. A l'université d'Oxford, en Angleterre, qu'il intègre en 1957, il prend des cours d'histoire, de littérature et de sciences politiques. Dans le même temps, il milite dans diverses associations estudiantines. Boursier du Nigeria, son coeur bat au Cameroun. En témoignent des oeuvres de reflexion politique, publiées en 1956 et en 1958. Au terme de ses études, il regagne le Cameroun en 1961, après un détour en Allemagne. Dès lors commence une fulgurante carrière de parlementaire, de ministre et de diplomate qui sera brutalement interrompue en 1974.

Le temps est passé. Les soupçons de corruption se sont dissipés. L'histoire ne retiendra, sans doute, que la faute politique. Ce météorité qui s'était vite brulé au contact des astres, a été nommé conseiller à la présidence de la République en 1985, a été proposé au poste de Pca de la défunte Ibac par le gouvernement, et siégeait au conseil d'administration de la Cameroon Radio and television (Crtv). Malgré ces gestes qui concourraient à sa réhabilitation, Nzo Ekangaki est longtemps resté enfermé dans un silence de cimetière. Jusqu'à sa mort.

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