Alliances et intérêts dans la bataille de Bangui : analyses (RFI, médias)


Guerre ouverte entre Bozizé et Patassé

La «bataille de Bangui», notamment autour de l'aéroport, est engagée entre les alliés du président Patassé et les partisans du général François Bozizé, dont on a perdu la trace depuis son départ rocambolesque de Paris, samedi soir dernier, et son arrivée à Ndjaména, dimanche matin.

Les forces qui soutiennent le président Patassé ont repris le bombardement des positions tenues par les partisans du général Bozizé. Selon différents témoignages, les tirs à l’arme lourde en provenance des environs du palais présidentiel ont repris tôt lundi matin et étaient toujours dirigés vers les quartiers nord de la capitale, Bangui, où sont concentrés les rebelles depuis vendredi dernier. Ce qui a provoqué d’autres exodes de ces quartiers populaires, notamment de la part des familles qui avaient renvoyé quelques-uns de leurs membres y passer la nuit, avant de repartir au lever du jour. Selon divers témoignages, en effet, un certain nombre de petits délinquants ont commencé à piller les habitations abandonnées.

Il se confirme d’autre part que la contre-offensive lancée dimanche matin par le président Patassé est en réalité le fait de sa garde rapprochée, et surtout de ses deux principaux alliés: les centaines de Libyens présents dans son entourage depuis le dernier putsch raté et équipés en armement lourd et de quelques avions légers, et les soldats congolais du MLC de Jean-Pierre Bemba, qui ont une nouvelle fois traversé l’Oubangui pour prêter main forte au régime chancelant d’Ange Patassé. Depuis des années, en effet, le trafic de diamants de la RDC contrôlé par Jean-Pierre Bemba passe presque exclusivement par Bangui, grâce à la complicité du président centrafricain.

 

Comment Bozizé a-t-il pu quitter Paris ?

En revanche, on ne voit pratiquement pas à Bangui d’éléments des FACA -les forces armées centrafricaines- du côté des loyalistes. Celles-ci font-elles déjà cause commune avec les rebelles, en raison de la popularité dont jouit leur ancien chef d’état-major, le général Bozizé ? L’ancien chef d’état-major des FACA a décidé samedi soir de quitter Paris pour rejoindre d’abord la capitale tchadienne, N’djaména, dans le but de prendre contact avec ses partisans. Une «fuite» qui ne s’est pas faite avec l’accord du gouvernement français, qui a tenu à rappeler dès dimanche sa position, à savoir: la France condamne la tentative de prise de pouvoir revendiquée ouvertement sur nos antennes par le général François Bozizé et «réaffirme son soutien aux autorités centrafricaines».

Le départ inattendu de Bozizé de la capitale française, quelques jours à peine après son arrivée, à l’issue d’une longue négociation conduite par la CEMAC (la Communauté des Etats d’Afrique centrale), a surpris les autorités françaises, qui ont été mises devant le fait accompli. François Bozizé, en réalité, a pu quitter librement le territoire française, en prenant l’avion de samedi soir à destination de N’djaména, sans être inquiété par la police des frontières, car il est en possession d’un permis de séjour en France valable dix ans. Ce qui signifie qu’il n’a besoin d’aucun visa et peut donc entrer et sortir du territoire français à sa guise.

Il va de soi également que l’arrivée à N’djaména de François Bozizé n’a pu se faire sans l’accord du président tchadien Idriss Déby, au moment où celui-ci rentrait d’une longue (et difficile) tournée dans l’Ennedi, une région nord-orientale en proie à une rébellion soutenue par le colonel libyen Mouammar Kadhafi. Déby a tenu à déclarer aussitôt qu’il avait «nettoyé l’Ennedi» de toute présence rebelle: «il n’y a plus une seule ombre du MDJT; le Tchad a beaucoup souffert de la guerre, une guerre qui ne fait que faire reculer le pays». Désormais Idriss Déby se retrouve engagé dans une double confrontation avec son voisin du Nord, la Libye: dans l’Ennedi via le MDJT et en Centrafrique, où le colonel a engagé plus de 200 soldats bien armés aux côtés d’Ange Patassé. Le président tchadien semble même confronté à une nouvelle rébellion, cette fois-ci tout près de la frontière avec le Soudan: récemment la ville d’Adré serait tombée entre les main de l’Armée nationale de Libération (ANL); mais cela a été démenti par les autorités de N’djaména.

Quant au général Bozizé, il est difficile de savoir où il se trouve ce lundi 28 octobre 2002. Arrivé dans la capitale tchadienne tôt dimanche matin, selon des témoins qui l’ont vu à l’aéroport de N’djaména, il avait dit sur nos antennes, à propos de la nouvelle offensive de ses hommes à Bangui: «j’ai été contraint de diriger les opérations» en cours. D’où exactement ?

Le gouvernement tchadien a déclaré, dimanche: «Nous ne savons pas où il est». Lundi après-midi, alors que les tirs s’intensifiaient dans la capitale centrafricaine, ses hommes tentaient de prendre position autour de l’Assemblée nationale, qui se trouve à proximité du centre-ville. Selon une source proche des autorités centrafricaines, les partisans de Bozizé «sont lourdement équipés», et un tel équipement ne peut que signifier qu’ils ont «un appui tchadien».

De plus, selon d’autres sources, des rebelles favorables à Bozizé seraient déjà stationnés à une vingtaine de kilomètres seulement au nord de Bangui. Il va de soi que ces troupes sont descendues du nord de la RCA, c’est-à-dire d’une région frontalière avec le Tchad, très favorable au général Bozizé et qui, après avoir contribué largement à l’élection de Patassé, est aujourd’hui en guerre ouverte contre un président qui, à ses yeux, a perdu toute crédibilité.

Mais l'issue de la "bataille de Bangui" dépend surtout de la maîtrise de l'aéroport, situé à l'ouest de la capitale, et qui peut éventuellement accueillir des renforts. On ne savait pas lundi soir s'il était toujours entre les mains des Libyens.

Face à un pouvoir centrafricain de plus en plus isolé, parce qu'il n'a pas su installer le dialogue avec l'ensemble de l'opposition, d'autres voix se lèvent pour réclamer le départ du président Patassé. Un collectif de "patriotes centrafricains" a réclamé lundi à Paris "la démission" du président, qu'il accuse de "mauvaise gouvernance", "incapacité notoire", "pouvoir tribaliste, autocratique et sanguinaire".

ELIO COMARIN
28/10/2002


Actualité Centrafrique de sangonet - Dossier 12