En Centrafrique, des opposants et des insurgés se sont unis pour renverser le président Patassé

LE MONDE, 13 décembre 2002, 13h01 - Le chef de l'Etat ne contrôle plus que Bangui, avec l'aide de soldats libyens, de rebelles congolais et de mercenaires français. Une force régionale de paix est censée protéger la "légalité constitutionnelle".

Des mutineries à répétition, qui tournent à l'insurrection ; une polarisation nord-sud, entre "gens du fleuve" et "gens de la savane"; un président démocratiquement élu, et même réélu, mais qui exerce son pouvoir de façon ubuesque ; des interventions d'Etats voisins et des ingérences de "grands frères d'armes" plus lointains... Tous les ingrédients de la crise ivoirienne sont également réunis en Centrafrique, hormis l'implication directe de la France – ce qui explique peut-être le silence qui recouvre le drame vécu par l'ancienne "Cendrillon de l'empire français".

Le pouvoir du président Ange-Félix Patassé ne s'exerce plus que sur Bangui, la capitale. Pour sécuriser la route qui désenclave le Centrafrique, grâce au port camerounais de Douala, le chef de l'Etat a dû faire appel à ses alliés libyens, 200 hommes que lui a envoyés le colonel Khadafi, et aux "combattants" d'un chef rebelle de l'ex-Zaïre voisin, près d'un millier de pillards armés, dont beaucoup d'enfants soldats. Le reste du pays échappe au régime en place, soit comme no man's land livré aux coupeurs de route, soit parce qu'il est contrôlé par les insurgés du général François Bozizé, l'ancien chef d'état-major de l'armée dont le limogeage, en octobre 2001, avait tourné à l'épreuve de force.

Ayant fui au Tchad, où il était exilé avant de s'installer en France, le général s'est offert en cadeau d'anniversaire de son éviction un raid armé sur Bangui.

Le 25 octobre, "descendus" depuis le Tchad, quelque 150 rebelles ont porté la guerre dans la capitale. Mais, au bout de dix jours de combats de rue, de duels d'artillerie à l'arme lourde et de bombardements aériens des quartiers nord par les deux Marchetti du corps expéditionnaire libyen, les mutins ont dû "décrocher".

A court de cartouches, la France ayant fait pression sur le Tchad pour qu'il bloque, à la fois, le général Bozizé, qui voulait rejoindre ses troupes sur le terrain, et l'approvisionnement de celles-ci en munitions, les rebelles se sont repliés vers le nord. Depuis, ils ont essaimé en province, sillonnant l'arrière-pays à bord de voitures tout-terrain, hérissées des kalachnikovs de leurs nouvelles recrues. La rébellion a fusionné des déserteurs de l'armée, souvent des Gbayas – l'ethnie du Nord-Ouest, la plus importante du pays –, fidèles à l'ancien chef d'état-major, et des officiers yakomas, des mutins récidivistes, tel le capitaine Parfait Mbaye, leur porte-parole, saint-cyrien de Coëtquidan. Ces officiers étaient des partisans de l'ex-président André Kolingba, lui-même à l'origine d'un putsch, en mai 2001, après l'échec duquel, condamné à mort par contumace, il a trouvé refuge en Ouganda.

 

DES ALLIES ENCOMBRANTS

Ancien premier ministre de l'empereur Bokassa, dont il avait organisé le couronnement en 1977, Ange-Félix Patassé ne se maintient plus au pouvoir que grâce à ses alliés encombrants. Son armée s'est débandée, sauf l'Unité spéciale présidentielle. La présence du corps expéditionnaire libyen irrite le voisin tchadien, soucieux de ne pas être pris en étau par le colonel Khadafi, d'autant que les champs pétroliers dans le sud du Tchad peuvent être menacés depuis la Centrafrique. Quant aux "combattants" venus de l'autre rive de l'Oubangui, du nord du Congo-Kinshasa, ils pillent et violent, sous prétexte de rétablir "l'ordre républicain". Ce qui n'empêche pas les Nations unies de négocier avec leur chef, Jean-Pierre Bemba, à qui est proposé un poste de vice-président en vue d'un "partage équitable" du pouvoir à Kinshasa...

En Centrafrique, où les traitements dans la fonction publique cumulent des arriérés de deux à trois ans, où plus rien ne fonctionne, pas même les écoles, les exactions des "enfants de Bemba" ont achevé de ruiner la popularité du président Patassé, au pouvoir depuis neuf ans. Entouré d'aigrefins, celui-ci emploie aussi une trentaine de mercenaires du capitaine Paul Barril, l'ex-gendarme de la cellule antiterroriste de l'Elysée, et des figures locales, tels que Luis Sanchez, ex-représentant du parti de Charles Pasqua, et Lionel Ganne, ancien "Barracuda" (soldat de l'opération française éponyme, en 1979, pour débarquer Bokassa). Naguère tenancier d'une boîte de nuit, Le Sango, ce dernier est connu pour s'affubler de patronymes locaux à forte connotation ethnique, toujours en phase avec la présidence. Ainsi a-t-il troqué son nom yakoma pour "Befio", plus sahélien.

Jusque dans les rangs de son propre parti, des voix s'élèvent pour réclamer le départ du président Patassé. Lors d'un houleux débat parlementaire, à la mi-novembre, la députée du 4e arrondissement de Bangui, jusqu'alors un inexpugnable fief présidentiel, a demandé "au président de la République de prendre la mesure de la situation et de démissionner".

A Paris, le 7 décembre, les principaux opposants et le général Bozizé se sont regroupés au sein d'une large coalition politico-militaire, dont l'objectif est de chasser le président Patassé du pouvoir et de mettre en place "une transition consensuelle pour reconstruire le pays". Mais la France et les pays de la région tentent d'imposer le respect de la "légalité constitutionnelle". Pour la défendre, une centaine de soldats gabonais, avant-garde d'une force de paix régionale qui devra compter 350 hommes, viennent d'arriver à Bangui.

Stephen Smith


Actualité Centrafrique de sangonet - Dossier 13