Bozizé: «Je ne serai pas candidat à la présidentielle, sauf si...»
Jeune Afrique./ L'INTELLIGENT, N° 2205, du 13 au 19 avril 2003

Arrivé au pouvoir par un coup d'État, François Bozizé se donne entre dix-huit et trente-six mois pour remettre le pays sur les rails.

Le nouveau chef de l'État centrafricain n'est pas de nature prolixe. Le général de brigade affectionne le style concis des militaires qui sied à son caractère réservé. Mais aujourd'hui, François Bozizé se fait plus disert. Il accepte de révéler quelques petits secrets sur la rébellion qui l'a porté au pouvoir le 15 mars dernier à l'âge de 56 ans. Et, pour la première fois, il livre ses intentions sur la prochaine élection présidentielle.

J.A./L'INTELLIGENT : Cela vous gêne-t-il de lire ou d'entendre « le président autoproclamé » ?

FRANÇOIS BOZIZÉ : Je ne peux pas empêcher les journalistes de l'écrire ou de le dire, mais le peuple, lui, adhère à mon action et ne me considère pas comme un président autoproclamé.

JAI: Jusqu'en novembre 2001, vous avez été le chef d'état-major de l'armée. Votre brouille avec Ange-Félix Patassé, a-t-elle commencé en mai, au moment de la tentative de putsch du général André Kolingba ?

FB: Avant cette tentative, Patassé me soupçonnait peut-être de quelque chose, mais il ne me disait rien. La nuit du coup d'État, je suis arrivé aux alentours de la résidence du chef de l'État au bout de seulement vingt minutes, mais je n'ai pas pu entrer en contact avec le directeur général de la sécurité présidentielle. On tirait de partout à l'arme lourde. J'ai appelé par talkie-walkie et par téléphone, en vain. Ce n'est que quelques heures plus tard, au lever du jour, que j'ai pu entrer en contact avec la sécurité du président. Nos relations se sont peut-être dégradées à partir de ce moment.

JAI: Pourquoi vous a-t-il limogé ?

FB: Il a découvert une cache d'armes dans un quartier de Bangui, à 7 km de chez moi, et m'a soupçonné à tort d'avoir constitué ce petit arsenal. Et a voulu me faire arrêter. Quelques militaires des Forces armées centrafricaines l'en ont empêché. C'est de là que date la rupture.

JAI: Vous vous êtes enfui au Tchad. Pourquoi ce pays vous a-t-il aidé ?

FB: Le Tchad m'a seulement accordé l'asile. Si le président Idriss Déby m'avait soutenu, je n'aurais pas passé un an à tourner en rond. De toute façon, de l'aide a pu transiter par le Tchad sans que ses autorités s'en soient mêlées. Nous avons disposé de plusieurs canaux de ravitaillement.

JAI: En octobre 2002, vous avez été contraint de quitter le Tchad pour la France. Avez-vous eu à Paris un feu vert ou, à défaut, un feu orange pour poursuivre votre rébellion ?

FB: En France, j'ai eu des contacts avec certaines autorités civiles et militaires. Je ne peux pas en dire plus.

JAI: Quand et par quel itinéraire êtes-vous revenu dans le maquis ?

FB: Depuis Paris, j'ai d'abord engagé des négociations secrètes avec Jean-Pierre Bemba, le chef rebelle congolais, par l'intermédiaire de ses représentants en France et en Suisse. Mais quand j'ai appris fin février que ses hommes s'étaient emparés de Sibut, de Bozoum et de Bossangoa, ma ville natale, je me suis dit que ces gens n'étaient pas sérieux. J'ai donc décidé de revenir précipitamment sur le terrain pour prendre la direction des opérations. Je ne peux pas révéler l'itinéraire que j'ai emprunté. Cela mettrait en difficulté les dirigeants des pays que j'ai traversés clandestinement.

JAI: Vous avez formé un gouvernement d'union nationale chargé de préparer le retour à la démocratie. Combien de temps va durer la transition ?

FB: Entre dix-huit et trente-six mois. Tout dépend du soutien de la communauté internationale. Le CNT [Conseil national de transition] doit réviser la Constitution. Parallèlement, nous devons désarmer le pays, notamment Bangui, qui est une poudrière. Il faut restructurer l'armée à tout prix avant les élections. Sinon le pouvoir issu de ces élections ne sera pas assis sur une base solide.

JAI: Pourquoi pas une transition plus courte ?

FB: Nous pourrions organiser des élections d'ici à trois mois. Mais si l'on veut en finir avec ces secousses permanentes, il faut préparer les choses plus sérieusement. Plus vite la communauté internationale nous aidera, plus vite nous sortirons de la transition.

JAI: Vous détenez le portefeuille de la Défense. Vous avez aussi nommé plusieurs de vos proches et de vos frères d'armes à des ministères clés. L'armée ne risque-t-elle pas de confisquer le pouvoir ?

FB: Non. C'est le Premier ministre Abel Goumba qui a demandé que les départements de la Sécurité publique et de l'Intérieur soient confiés à un militaire. Mon neveu, le lieutenant Sylvain N'Doutingai, n'a pas été nommé à l'Énergie et aux Mines parce qu'il est un parent, mais parce qu'il est compétent et intègre. Il hérite d'un secteur où l'on perd 100 milliards de F CFA tous les ans à cause de la corruption. Et moi, j'ai pris la Défense parce que, comme ancien chef d'état-major, je m'estime bien placé pour démarrer le chantier de la restructuration de l'armée. Dans six ou huit mois, je désignerai un autre titulaire.

JAI: Promettez-vous des élections transparentes ?

FB: C'est inévitable. Le contexte international est tel qu'on ne peut pas faire autrement. Et la transition repose sur un consensus politique au sein du gouvernement, du CNT et de l'armée.

JAI: Est-ce qu'il ne sera pas rompu le jour où vous vous présenterez à la présidentielle ?

FB: Je n'ai pas l'intention d'être candidat. À la fin de la transition, j'aurai mis en place les institutions démocratiques et ramené la paix. J'aurai donc rempli ma mission. Après, je me retirerai. Sauf si le peuple me demande le contraire. Je ne veux pas être candidat, je ne veux gêner personne. Cependant, si certaines circonstances poussent le peuple à me demander de l'être, je ne pourrai pas le décevoir.

JAI: Existe-t-il en Afrique un modèle dont vous pourriez vous inspirer ?

FB: Il y a l'exemple d'Amadou Toumani Touré en 1992. Ma démarche est proche de la sienne. Mais il ne faut pas confondre les deux situations. La République centrafricaine n'est pas le Mali. En tout cas, je ne ferai pas comme Robert Gueï en Côte d'Ivoire. Je ne bloquerai pas un processus pour essayer de m'imposer contre la volonté du peuple.

Quand l'ancien président Kolingba pourra-t-il rentrer d'exil ?

Il le peut à tout moment. Il faut qu'il prenne contact avec moi. Je lui enverrai un émissaire pour mettre au point les modalités de son retour en toute sécurité. Il faut savoir notamment où il entend s'installer.

JAI: Patassé pourra-t-il faire de même sans être poursuivi par la justice ?

FB: Non, ce n'est pas possible. Il est responsable de l'état catastrophique du pays. S'il échappe à la justice, le peuple se retournera contre le nouveau pouvoir.

JAI: Quelque 500 soldats tchadiens sont arrivés à Bangui juste après votre prise du pouvoir. Quand repartiront-ils ?

FB: Ces hommes sont là, à ma demande, pour sécuriser Bangui. La plupart rentreront probablement à la fin du mois. Une centaine seront intégrés dans le contingent de la Cemac [Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale].

JAI: Redoutez-vous des représailles de la part des anciens alliés de Patassé, comme Mouammar Kaddafi ou Jean-Pierre Bemba ?

FB: Le colonel Kaddafi me connaît. Quand j'étais en exil, il m'a reçu pendant deux heures en janvier 2002. Le 8 avril dernier, il m'a envoyé un émissaire. Je ne vois pas en quoi je pourrais nuire à son pays. Donc il n'aurait rien à gagner en exerçant des représailles. Quant à Jean-Pierre Bemba, je pense qu'il est suffisamment intelligent pour ne pas commettre une telle erreur.

JAI: Avez-vous eu depuis le 15 mars une conversation téléphonique avec Jacques Chirac ?

FB: Non, pas encore. En revanche, nous recevons des délégations et des coups de fil de collaborateurs du gouvernement français qui nous réconfortent. Nous sentons que Paris est dans une disposition favorable à notre égard. La France est notre amie de toujours. En 1997, quand les militaires français ont fermé leur base de Bangui-Mpoko, j'étais de ceux qui ont insisté auprès du président Patassé pour qu'il ne les laisse pas partir. En vain.

Aujourd'hui, je souhaite que tout ou partie des 300 soldats français qui sont arrivés ici à la mi-mars puissent rester pour nous aider à remettre sur pied l'armée. J'ai écrit à Paris en ce sens, et j'attends la réponse.

JAI: Votre gouvernement n'est pas reconnu par l'Union africaine et la communauté internationale. Comment comptez-vous sortir de cet isolement ?

FB: Laissez-nous un peu de temps ! Nous entreprenons des démarches auprès de pays amis. Le président Bongo a déjà beaucoup fait pour notre pays. Sans lui, nous aurions connu un bain de sang il y a quelques années. Il a déjà entamé des actions en notre faveur. Nous lui faisons confiance pour plaider notre cause.

JAI: Avant votre arrivée au pouvoir, certains doutaient de vos capacités. Ont-ils tenté de vous manipuler ?

FB: C'est possible. Ils se croyaient plus malins que moi, mais je leur ai prouvé le contraire. Il est vrai que je ne parle pas beaucoup. C'est la longue fréquentation de la Grande Muette. Mais on reconnaît le bon maçon au pied du mur.

Propos recueillis par CHRISTOPHE BOISBOUVIER - © L'Intelligent 2003


Actualité Centrafrique de sangonet - Dossier 16