Le Centrafricain a-t-il le sens de l'intérêt général ?
par Robert PIRI

L'intérêt général s'oppose ici à l'intérêt égoïste, voire au sectarisme. La passion et l'émotion font perdre la raison, ainsi, entraînent la haine et la corruption. L'unité de La République Centrafricaine qui glisse bien longtemps sur une pente vertigineuse risque une fissure que rien ne pourra plus colmater (durablement).
Bientôt nous serons tous éclairer par l'Histoire sur ce qui a ébranlé le pays, le degré de responsabilité de chaque citoyen et citoyenne, l'amalgame entretenu par certains auteurs tendant à occulter la vérité, la tentation à pousser à l'ethnocisme, au clanisme, et au tribalisme devenu art de gestion des affaires de l'Etat.
Robert PIRI arrive tout juste avec son article jeter un éclairage pour une meilleure compréhension et une bonne interprétation des problèmes qui agitent les centrafricains et surtout sa diaspora.


On a souvent à juste titre déploré le fait que le malheur du continent africain provient essentiellement du manque de sens de l'intérêt général de la part aussi bien des citoyens ordinaires que des hommes qui détiennent les pouvoirs publics en général. Ce qui est vrai pour un continent, l'est particulièrement pour la République centrafricaine dont l'actualité nous fournit malheureusement le lot des preuves quotidiennes.
Étymologiquement le terme intérêt du latin "interesse" signifie "être à distance" ; et dans son acception la plus générale, l'intérêt mesure la capacité de déplacement du sujet de "l'intérêt égoïste" au privilège conféré à des objets ou activités originellement étrangers à l'individu. Pour citer VOLTAIRE, "le propre de l'homme est d'être entièrement tourné vers le dehors, de représenter essentiellement un être d'activité, de travail."
Ainsi, bien que purement égoïste en son principe, l'intérêt a été en outre appelé à se développer en intérêt collectif, sous le couvert de l'axiome de l'harmonie entre l'intérêt de l'individu et l'intérêt général. Mais, que faut-il entendre par intérêt général ?
L'intérêt général peut être défini comme un ensemble de valeurs, une sorte de fonds communs, un bonheur auquel un groupe, une nation, une collectivité ou un État aspire. Il existe le plus souvent dans le subconscient et se confond parfois avec l'intérêt particulier. Celui-ci au contraire, vise un individu ou même un groupe mais pris dans son individualité par rapport à un ensemble plus étendu.
A l'heure où la RCA traverse une crise politico-économique et sociale chronique et qui résume en elle seule la situation qui prévaut actuellement sur le continent, la question de l'intérêt général mérite d'être soumise à la réflexion. Point n'est besoin de démontrer que concevoir un projet politique et le mettre en oeuvre sans avoir pour objectif la satisfaction de l'intérêt général c'est comme construire un paquebot commercial et le lancer en mer avec un capitaine, quelques personnels de bord, mais sans passager. Ce qui est, pour le moins, insensé.
Le mépris de l'intérêt général en RCA par les uns et les autres est plus que criant et déplorable. Ce n'est donc pas étonnant si on en est arrivé à une situation de marasme économique tant décrié. La vérité est que le sens de l'intérêt général fait défaut (consciemment et inconsciemment) à tous à commencer par les dirigeants politiques, les citoyens ordinaires en passant par les cadres et intellectuels.

Les dirigeants centrafricains et les leaders politiques ont-ils le sens de l'intérêt général ?

Les dirigeants politiques centrafricains invoquent souvent l'intérêt général pour justifier une "action politique" une mesure législative ou réglementaire, ou n'importe quel acte. A titre d'exemple, lorsque les hommes politiques décident de déployer un contingent de militaires pour ratisser un quartier X, c'est, semble-t-il, au nom de la sécurité publique donc de l'intérêt général. Ce qui, a priori, peut paraître légitime. Mais lorsqu'il en résulte des assassinats mystérieux d'hommes politiques ou de citoyens ordinaires présumés innocents, on peut s'interroger sur la légitimité de tels forfaits. De même lorsqu'un commissaire de police reçoit l'ordre des dirigeants politiques au pouvoir avec la complicité passive des membres politiques de l'opposition d'exécuter sans aucune forme de procès au mépris des lois de la République des présumés braqueurs et bandits, quel sens donne-t-on à l'intérêt général dans ce cas ? Aux politiques de nous répondre ! Par ailleurs, l'intérêt général est souvent un leitmotiv ou un "cheval de bataille" que ceux-là utilisent bon gré mal gré pour parvenir au pouvoir. Ainsi, les professions de foi, les "projets politiques" des uns et des autres dévoilés au grand public lors des dernières élections présidentielles et législatives se réfèrent tous plus ou moins implicitement à l'intérêt général. Ce qui avait, sans doute, séduit les citoyens ordinaires et déterminé le sens de leur "choix." Mais, sincèrement ces dirigeants politiques ont-ils le sens de l'intérêt général ? Rien est moins sûr.
En réalité, il ne fait plus de doute que certains dirigeants politiques qu'ils soient au pouvoir ou dans l'opposition, se réfèrent au concept de l'intérêt général lorsque cela les arrange ou tout simplement pour voiler leurs intérêts égoïstes et égocentriques sous-jacents. On peut certes reconnaître que ce n'est pas toujours évident quel que soit la bonne volonté d'atteindre tous les objectifs d'intérêt général prônés ou proposés à ses concitoyens surtout quand on n'a pas toujours les moyens conséquents de sa politique ; et qu'on ne maîtrise toujours pas certains paramètres qui dépendent plus de l'extérieur que de la politique interne.
Mais, pourquoi ne pas choisir une ou deux priorités réalistes et réalisables (ne serait-ce que faire ce peu), se donner réellement le peu de moyens dont on dispose et y focaliser tous ses efforts pour au moins satisfaire le minimum vital de tous ? Le rayonnement et la crédibilité d'un parti politique au pouvoir ne se mesurent-ils pas par sa capacité à satisfaire le minimum de désir des gouvernés ? Sur ce plan, reconnaissons que la médiocrité de nos gouvernants actuels et de ceux des précédents régimes qui ont déjà démontré leur incapacité par le passé (mis à part peut-être ceux qui n'ont pas encore fait leur preuve au pouvoir et qui présentent encore une "virginité politique") est à son comble. La dernière tentative du coup d'État et les événements dramatiques qui ont suivi en sont une parfaite illustration. On se souvient que le présumé initiateur du coup manqué, a essayé de justifier son acte par la situation de crise sociale et de la crispation politique ; autrement dit, sa tentative de retour au pouvoir par la force serait justifiée par la nécessité du "salut national" donc de l'intérêt général. Si louable qu'elle puisse paraître, cette "prophétie" ne trompe que ceux qui veulent y croire surtout que le passé est encore fraîchement en mémoire. Quant au régime actuel, rétablir l'ordre et la sécurité des citoyens et des institutions de la République passent par le ratissage des quartiers. Ce qui peut paraître justifié constitutionnellement. Sauf que si le ratissage se traduit par la traque systématique dirigée vers les membres d'une ethnie centrafricaine, tout citoyen épris de justice a le droit de s'interroger.
Beaucoup de centrafricains avertis savent que les leaders des deux grands mouvements politiques au pays n'incarnent désormais que les intérêts de leurs partis politiques respectifs ou plus exactement ils ne représentent que les intérêts de leurs tribus. Ce qui veut dire que l'intérêt général auquel ils se réfèrent n'est qu'un leurre.
L'intérêt général des centrafricains, c'est la sécurité, sécurité de leurs biens et sécurité de leur intégrité physique. Malheureusement la terreur des "ZARAGUINAS" continuent sur les routes des provinces et les centrafricains qui ne sont en aucune manière militant dans un parti politique (et pour cause) continuent de vivre tous les jours le cauchemar de leurs maisons détruites et leurs magasins saccagés et pillés.
L'intérêt général des Centrafricains, c'est d'avoir accès rapidement aux hôpitaux et dispensaires aussi bien en ville qu'en province avec un nombre conséquent de médecins. Or, les médecins et les hôpitaux en nombre suffisant font toujours cruellement défaut. L'intérêt général des centrafricains, c'est de voir les salaires des fonctionnaires régulièrement payés ne serait-ce que pour leur donner un pouvoir d'achat et donc de permettre la continuité des services publics afin de satisfaire l'intérêt général des citoyens. Or, les arriérés de salaires continuent de s'accumuler. L'intérêt général des Centrafricains, c'est de voir leurs enfants aller à l'école pour préparer leur avenir et prendre un jour la relève de leurs aînés pour servir le pays comme cadres, commerçants, artisans, agriculteurs. Or, tout le monde sait que l'école, en CENTRAFRIQUE fonctionne de façon irrégulière. Et j'en passe. Ainsi, nous constatons que, pour X raisons, les dirigeants centrafricains qui se sont succédés, ne sont pas en mesure de satisfaire un de ces minimums vitaux. On comprend pourquoi leurs discours ne trouvent plus d'échos auprès de la grande masse parce qu'ils ne sont plus porteurs d'espoirs et de projets crédibles. Ils finissent par se recroqueviller sur un électorat purement régionaliste et tribal et encore la partie ne semble pas toujours être gagnée puisque celui-ci n'est pas forcément dupe quand il sait qu'il ne peut pas se faire soigner faute de dispensaire dans le village ni s'acheter du savon faute de revenu parce que son café, son coton et son manioc n'ont pas été achetés depuis des mois.
Les dirigeants de l'opposition de tous bords doivent également comprendre que l'intérêt général se distingue de l'intérêt partisan. Quand on est dans l'opposition, il paraît normal de défendre les idées et les intérêts de son parti. Mais une fois que l'on parvient aux affaires, on est souvent confronté à d'autres réalités qui ne coïncident pas forcément aux idéaux politiques de son parti d'origine. Dans ce cas, la sagesse intellectuelle commande d'une part de s'adapter aux nouvelles donnes en s'expliquant devant ses concitoyens et d'autre part et surtout de privilégier l'intérêt général ; quitte à sacrifier ses intérêts partisans. Là encore, la CENTRAFRIQUE est loin du compte en raison de la forte connotation ethnique et régionaliste (qu'on le veuille ou non) qui caractérise les partis politiques. Ce qui explique d'ailleurs la fragilité du fameux consensus national que ces mêmes partis ont souvent du mal à trouver et à solidifier pour garantir une véritable unité nationale. Et tout le problème est là. Ailleurs, si des divergences de vue peuvent opposer des Hommes politiques, ceux-ci arrivent à trouver un langage commun face à des actes de violence comme par exemple le terrorisme qui touche la sécurité des citoyens. C'est ainsi que si la France a pu mettre fin rapidement aux séries d'attentats dans le métro parisien en 1986, c'est parce que tous les leaders politiques de gauche ou de droite ont unanimement soutenu les mesures gouvernementales de l'époque. Autre exemple : la réaction militaire immédiate des Israéliens à tout agression des fanatiques d'Hamas est le résultat d'un consensus de toute la classe politique de longue date au nom de la sécurité du peuple juif. Nous ne disons pas que tout ce qui existe ailleurs est bon à prendre. Mais nous invitons les leaders politiques à non seulement observer de temps en temps et attentivement ce qui se passe ailleurs pour se forger une idée sur toute question nationale, mais aussi à dépasser leurs divisions stériles et à se dire qu'ils appartiennent à un même pays et que le seul fonds commun qui les rassemble est finalement l'intérêt de tous.
Réduire le budget des missions ministérielles à l'étranger quand on sait que ces missions n'apportent quasiment rien de positif pour le pays ou encore lutter contre les gabegies, les corruptions, supprimer les fonds spéciaux (dont l'opacité de leur montant et de leur utilisation laisse à désirer et prête à beaucoup de soupçons), n'est-ce pas agir au nom de l'intérêt général ?

Le juge centrafricain et l'intérêt général

Nous ne le répéterons jamais assez, les juges centrafricains ont un rôle fondamental à jouer pour la bonne marche de la démocratie et le respect de l'État de Droit. Ils sont détenteurs du pouvoir judiciaire et rendent la justice au nom du peuple centrafricain. C'est pourquoi ils doivent toujours se laisser guider dans leurs lourdes tâches par le sens de l'intérêt général. Ce qui implique leur impartialité, leur totale indépendance, leur véritable inamovibilité, des moyens financiers (budget conséquent) et humains (nombre suffisant de magistrats pour l'ensemble du pays) et l'existence de prisons dignes de ce nom aussi bien à BANGUI qu'en province. Est-il le cas aujourd'hui en CENTRAFRIQUE ? Sinon, pourquoi et comment en est-on arrivé là ?
On lit aujourd'hui pour la première fois dans les discours de la diaspora centrafricaine que le juge centrafricain doit se rebeller à l'exemple d'un certain juge tunisien qui aurait manifesté publiquement (sortant ainsi de son devoir de réserve) contre les conditions de travail défavorables des juges dans ce pays.
Mais les auteurs de ces discours ne font pas de propositions concrètes (fussent-ils ou non des futurs hommes politiques) allant dans le sens de la réforme de la justice en CENTRAFRIQUE. Autres interrogations : s'agit-il d'une démission collective des magistrats qui est demandée ou d'un appel à jouer au héros pour la cause d'une vraie justice en CENTRAFRIQUE ? Questions ouvertes !
Rappelons tout simplement que cette indépendance totale des magistrats vis-à-vis de l'exécutif qui est vivement souhaitée par tout vrai démocrate ne pourra réellement voir le jour que s'il y a au préalable une réforme constitutionnelle suivie d'une réforme judiciaire dont l'initiative et la mise en oeuvre relèvent de la représentation populaire (les députés) et du gouvernement via le ministre de la Justice. Nous l'avons déjà signalé à d'autres occasions, l'indépendance des magistrats ne veut plus rien dire puisque les magistrats du parquet peuvent toujours recevoir des instructions du Garde des Sceaux dans tel ou tel procès (même si ces magistrats demeurent théoriquement libres en audience : "la plume est serve mais la parole est libre") lorsque ce dernier estime que "l'intérêt général" mérite d'être particulièrement défendu et protégé dans un sens déterminé. Par ailleurs, le Président de la République étant de droit le président du conseil supérieur de la magistrature, est amené à présider ce conseil chargé entre autres, de gérer la carrière des juges notamment leur promotion mais aussi leur révocation ; enfin, rappelons que le juge est nommé en Conseil de ministres. Tout ceci pour dire que c'est peut-être héroïque que le juge centrafricain se rebelle pour espérer voir changer le cours des choses. Mais la véritable question c'est d'abord de repenser "l'État Centrafricain." Le juge Centrafricain de par son statut, représente un autre pouvoir dont les missions et les limites sont établies par la Constitution. S'il est juste de demander au juge centrafricain de ne pas obéir aveuglement aux politiques, et de garder en toute circonstance leur sens de l'intérêt général (quel que soit le prix à payer), de grâce, ne leur demandons pas de se substituer aux politiques. En CENTRAFRIQUE, l'état de fonctionnement de la Justice n'est plus un sujet tabou ; et cela ne date pas d'aujourd'hui. Qu'a-t-on fait et proposé à ce jour pour changer cet état de chose, Messieurs les anciens, les actuels et les futurs dirigeants politiques ?
Pourquoi ne pas envisager de substituer la nomination des juges par une élection ? Voilà une piste de réflexion que nous soumettons aux politiques. Elle aurait peut-être la vertu de parer au problème d'indépendance des magistrats vis-à-vis des politiques que réclament certaines plumes.

Les citoyens, les cadres et les intellectuels ont-ils le sens de l'intérêt général ?

On ne peut pas dire que tous les Centrafricains manquent du sens de l'intérêt général. Il y a eu par le passé comme dans le présent beaucoup de patriotes de bonne volonté et mus par le sens de l'intérêt général. Ils l'ont manifesté ou l'expriment encore aujourd'hui à travers leurs discours et leurs écrits et même bien que rarement par leurs actes humanitaires. Nous-mêmes, à travers le groupe de réflexion d'action et de proposition, essayons depuis un certain temps de suggérer des thèmes de réflexion aux compatriotes afin de contribuer à la valorisation entre autres des concepts de l'État Nation, de solidarité et bien sûr de l'intérêt général mais aussi de faire des propositions concrètes aux politiques dans le sens de l'évolution des actions publiques.
La condamnation quasi-unanime de la part des associations de la diaspora de la tentative du coup d'État du mois de mai dernier, des exactions qui ont suivi ainsi que l'organisation des manifestations pour les dénoncer ont montré à quel point les centrafricains sont capables de déployer leur énergie pour la cause nationale. Nous ne pouvons que saluer une telle ferveur. Cela prouve que le réveil de la conscience nationale est en marche. C'est un mouvement qui semble désormais irréversible.
Par contre, ce qui, malheureusement paraît paradoxal, c'est que d'un coté les Centrafricains sont prêts à se solidariser pour chasser un mal (ils l'avaient déjà prouvé en 1978/79 et en 1992/1993 contre les régimes de BOKASSA et KOLINGBA), de l'autre, lorsqu'il s'agit de s'associer pour une cause purement humanitaire, l'hésitation, la méfiance, et le refus de s'associer prennent le pas à la solidarité. Et pourtant il s'agit également ici d'oeuvrer pour l'intérêt du pays. Le moins que l'on puisse dire c'est que les associations purement humanitaires se comptent sur le bout des doigts contrairement aux partis politiques qui, eux, continuent de voir le jour et se chiffrent en trentaine. Or, certaines catégories d'intellectuels continuent à penser (et nous sommes de ceux-là) que ces partis n'incarnent plus que des intérêts purement égoïstes même s'ils continuent d'afficher leur attachement aux valeurs d'intérêt général. Ce qui ne veut pas dire que tous les partis politiques sont dépourvus du sens de l'intérêt général. Nous espérons simplement qu'avec la nouvelle génération de futurs Hommes politiques, une nouvelle dynamique verra bientôt le jour et marquera la rupture totale avec l'ancienne génération pourvu que les réalités du pouvoir ne les corrompent pas. Ceci dit, à notre avis, et sans préjuger sur les raisons de la non-motivation des uns et des autres, bon nombre de compatriotes Centrafricains de toute classe, semble malgré tout, avoir du mal à se débarrasser des réflexes tribalistes et régionalistes, véritables gangrènes au processus démocratique en cours. Pis encore, lorsque ces "maux" sont consciemment entretenus par les cadres des partis et les pseudo-intellectuels qui drainent dans leur sillage des citoyens ordinaires non avertis pour des projets de société qui sont à l'opposé de l'intérêt général. Alors, ne soyons pas surpris d'assister au saccage des bâtiments publics (biens collectifs) de la part de ces citoyens-là. Certes, il y a là un manque de conscience de ceux-ci qui est regretable et de tels agissements sont condamnables ; mais, n'est-il pas du devoir d'un intellectuel ou d'un cadre à quelque niveau qu'il soit de montrer à ses patriotes de façon quotidienne et à travers ses comportements et ses actes, le modèle à suivre c'est-à-dire le respect des biens communs ? N'oublions pas que plus de 85% de nos compatriotes sont analphabètes et qu'il revient aux responsables politiques et bien sûr aux cadres et intellectuels d'assumer leur éducation sur des valeurs de civilisation du monde moderne parmi lesquelles l'intérêt général tient une place non négligeable.
La médiocrité de certains responsables politiques au pays, décriés par certains, est malheureusement, le reflet du niveau de débats supposés intellectuels sur les forums centrafricains. Il est dommage de constater que certains compatriotes transforment ces instances en un lieu de règlement de compte avec tel ou tel autre ; d'autres focalisent leurs discussions sur des querelles de personnes, de tribus, de diplômes,... Ce qui fait que des sujets d'intérêt général sont relégués en dernier rang. Honnêteté intellectuelle oblige, reconnaissons que certains "intellectuels" centrafricains sont les premiers responsables de cette situation. A quoi bon traiter nos compatriotes cadres et intellectuels qui ont choisi de rentrer au pays pour gérer les choses publiques d'incompétents et de médiocres si nous-mêmes (de la diaspora) ne sommes pas en mesure de dépasser nos clivages politiques et de transcender nos appartenances ethniques pour finalement faire prévaloir l'intérêt général comme valeur transversale ?
Et pourtant des exemples sous d'autres cieux montrent que l'épanouissement d'un peuple et partant d'un pays ne peut se réaliser sans la fédération de ce peuple autour de valeurs partagées. Nos frères maliens contribuent à leur façon à la satisfaction de l'intérêt général dans leur pays par la construction des dispensaires, des maisons d'habitation, des écoles dans leurs villages et villes, par l'irrigation de régions victimes de sécheresse ou encore en rapatriant des devises gagnées à l'étranger. Ainsi, ce pays désertique (pour 3/4) est déjà économiquement plus avancé que la RCA. Autre exemple : les libanais de la diaspora au nom de leurs familles restées au bercail, rapatrient régulièrement une partie de leur richesse gagnée dans leur pays d'origine. N'est ce pas-là de beaux exemples d'oeuvre pour l'intérêt général ? La différence, peut-être avec la CENTRAFRIQUE, est, il est vrai, que ces pays sont devenus relativement stables depuis bon nombre d'années. Comment faire pour mettre fin définitivement aux coups d'État en CENTRAFRIQUE ? La Constitution de 1995 approuvée par le peuple et la conférence de Réconciliation nationale de 1998 semblaient régler la question. Hélas ! Comme l'a remarqué l'émissaire des Nations Unies, AMADOU TOUMANI TOURE, les accolades et les embrassades des leaders politiques à l'issue des assises de la Conférence nationale, n'étaient pas sincères. Preuve : Tentative de Coup d'État qui, comme par hasard, semble-t-il, intervient juste après la mission de la banque mondiale et du F.M.I. qui auraient conclu à un satisfecit pour l'octroi d'une aide financière à la RCA. Si cela a été effectivement le cas, l'intérêt général aura encore une fois volé en éclat.
Nous ne pouvons en aucune manière sortir du marasme économique si nous ne dépassons nos intérêts égoïstes et tribaux. Pour cela, les dirigeants politiques responsables doivent inventer un nouveau système de pensée politique qui accorde une place de premier plan au concept de l'intérêt général.

Robert PIRI

(22 juillet 2001, 28 septembre 2001)


Actualité Centrafricaine - Dossier 6