Climat de suspicion à Bangui après l'arrestation du ministre de la Défense, Jean-Jacques Démafouth

AFP, Bangui, 5 septembre 2001, 13h45 - Un lourd climat du suspicion et de rumeurs pèse sur la capitale centrafricaine Bangui, accru par le limogeage et l'arrestation, le 26 août, du ministre de la Défense Jean-Jacques Démafouth pour conspiration contre le régime, a constaté un journaliste de l'AFP.

Accusé d'avoir comploté contre le président Ange-Félix Patassé dont il était un proche depuis vingt ans et de s'être fait doubler par l'ancien président André Kolingba lors du putsch avorté du 28 mai dernier, M. Démafouth est détenu dans une villa voisine de celle du chef de l'Etat.

Sous bonne garde d'éléments de l'unité de sécurité présidentielle, l'ancien ministre "craint pour sa sécurité car il entend proférer chaque nuit des menaces de mort", a indiqué à l'AFP son avocate, Me Mireille Doly Gotiloguet.

Son arrestation n'a constitué qu'une demi-surprise à Bangui tant étaient déjà nombreuses et anciennes les rumeurs le concernant.

Artisan efficace, depuis le début 2000, de la restructuration d'une armée durement secouée par trois mutineries militaires en 1996-97, M. Démafouth avait su se faire apprécier des militaires, mais comptait aussi beaucoup d'ennemis dans la capitale, notamment au sein du parti présidentiel.

La mise en cause officielle de ce compagnon du président a néanmoins "ouvert la boîte de pandore", estime un observateur étranger.

Alors que des renseignements prêtent aux putschistes réfugiés en République démocratique du Congo (RDC) voisine l'intention de mener une nouvelle offensive sur Bangui, le soupçon s'est répandu comme un poison dans les sphères de l'Etat.

Des fiches de renseignements et de dénonciations émanant des services spécialisés ou de particuliers souvent anonymes et citant, à tort ou à raison, telle ou telle personnalité, contribuent à entretenir ce climat.

De fait, il semble difficile d'imaginer que l'ancien ministre de la Défense, conseiller juridique de formation, ait pu imaginer renverser le président Patassé sans bénéficier de solides soutiens au sein de l'armée ou à l'extérieur du pays.

"Si nous découvrons des complices avérés, nous les arrêterons", a assuré à l'AFP Joseph Bindoumi, le président de la commission d'enquête, dont la première phase d'investigations devrait s'achever mi-septembre et déboucher sur le renvoi d'une centaine d'accusés devant le tribunal militaire permanent.

Depuis l'arrestation du ministre Démafouth, les militaires centrafricains ont été consignés préventivement dans les casernes, sur ordre du chef d'état major des armées, le général de division François Bozizé.

Après les décès, lors des événements, du directeur général de la gendarmerie, le général François Ndjadder, et du chef d'état-major de l'armée de Terre, le colonel Abel Abrou, M. Bozizé apparaît comme le seul et incontournable patron des Forces armées centrafricaines (FACA).

Mais la méfiance semble également refaire surface au sein des FACA qui pensaient avoir retrouvé une certaine sérénité, jusqu'à ce que d'anciens mutins d'ethnie yakoma amnistiés et souvent promus à des grades supérieurs dans le cadre de la réconcilitation nationale ne retentent le coup de force du 28 mai dernier.

"Depuis, dans les casernes, les gens se regroupent souvent par appartenance ethnique et évitent de trop parler devant les autres", a confié un jeune officier à l'AFP.

Quant au président Patassé, dont la protection rapprochée est assurée par des soldats libyens et la garde présidentielle, il ne quitte que rarement sa résidence. Au point qu'à l'occasion du 32ème anniversaire de la révolution libyenne, le 30 août, il a préféré se faire représenter par son Premier ministre Martin Ziguélé auprès de son allié libyen.


La commission d'enquête achèvera ses travaux mi-septembre

AFP, Bangui, 5 septembre 2001, 12h34 - La Commission nationale mixte d'enquête judiciaire chargée de faire la lumière sur le putsch avorté du 28 mai à Bangui achèvera la première partie de ses travaux à la mi-septembre, a indiqué mercredi à l'AFP son président Joseph Bindoumi.

La commission remettra alors son rapport au parquet du tribunal militaire permanent en vue de juger la centaine de personnes interpellées depuis le début de ses travaux et de condamner par contumace les putschistes en fuite, notamment l'ancien président André Kolingba, selon cette même source.

Elle continuera cependant ensuite d'enquêter dans l'arrière-pays, par lequel les autorités centrafricaines soupçonnent que des complicités ont permis de faire transiter des armes, ainsi qu'à l'étranger, afin d'alerter les autorités de plusieurs pays de la présence de putschistes sur leur sol et de réclamer leur extradition le cas échéant, a souligné M. Bindoumi.

Une centaine de personnes sont actuellement détenues sur ordre de cette commission comptant 11 membres et instaurée début juin, "dont une soixantaine de militaires n'ayant pas regagné leurs unités lors du coup d'Etat manqué, soupçonnés pour certains d'y avoir participé".

Plusieurs soldats de l'Unité de sécurité présidentielle, accusés de bavures commises après le putsch, sont également détenus.

Les chefs putschistes, pour la plupart des officiers de l'ethnie minoritaire yakoma ayant déjà participé aux mutineries de 1996-97, ont en revanche réussi à fuir à l'étranger, probablement en République démocratique du Congo (RDC) ou au Congo-Brazzaville voisins.

L'ancien ministre de la Défense Jean-Jacques Démafouth, arrêté et démis de ses fonctions le 26 août, sera donc le principal accusé du procès à venir, sauf si d'autres arrestations interviennent entre-temps.

M. Démafouth, qui proteste de son innocence, est soupçonné d'avoir fomenté son propre complot contre le régime de Bangui et de s'être fait doubler par les putschistes.

Son nom est cité dans de nombreuses fiches de renseignements émanant semble-t-il d'informateurs des services de sécurités centrafricains. Ces derniers disposeraient également d'une pièce à conviction accablante dont la nature n'a pas encore été révélée.

Son avocate, Me Mireille Doly Gotiloguet, estime qu'il devrait, en sa qualité de ministre, être jugé par la Haute cour de justice.

Mais une loi organique centrafricaine prévoit que toutes les juridictions pénales ordinaires s'effacent au profit du tribunal militaire permanent en temps de crise, estime M. Bindoumi.


Actualité Centrafrique - Dossier 6