"L'Afrique suicidaire", par Jean-Paul Ngoupandé, in Le Monde, 17 mai 2002 (édition du 18 mai) et réactions à chaud des Wakodro


NGOUPANDE INTELLECTUEL OU LE POLITIQUE (Re. AHY)
Mon, 20 May 2002 18:11:52 -0000

Bonjour Jean-Pierre,

Oser écrire "L'Afrique (un continent immense, plus de 800 millions d'habitants) sans la France (un petit pays, 60 millions d'habitants)" est une aberration.
Pourquoi pas "Mars (la planète) sans la France ?", "Le système solaire sans la France" ?
Les centrafricains subissent un matraquage idéologique leur imposant de se soumettre tacitement sous la France.
Qui se rappelle encore qu'une grande partie de la RCA (les régions Ouham, Ouham-Pendé, Mambéré-Kadéï, Nana-Mambéré, Shanga-Mbaéré) était sous administration allemande jusqu'en 1918.
Le Cameroun qui connaissait ce type de système (trois anciennes colonies : Grande Bretagne, Allamagne et France) a su privilégier ses intérêts en introduisant par la FORCE le système anglo-saxon dans ses institutions. Les camerounais "anglophones" n'ont pas demandé l'avis des français. Le Cameroun est à la fois membre du Commonwealth et de la francophonie, l'anglais est une langue officielle dans ce pays.
Avec la concentration des emigrés centrafricains en France (plus de 96 % de l'émigration de la RCA) je doute fort que les centrafricains puissent un jour devenir indépendants, ni même devenir africains tout simplement.
Quittez vos habitudes, partez loin, allez voir ailleurs et apprendre d'autres cultures. Vous en reviendrez plus affermis et moins influençables.
Même Jésus, le fils de Dieu, a dû quitter les siens pour se recueillir dans le désert!

Honoré
Ils ont tué Boganda pour rien car la francophonie n'est pas ma tasse de thé.



NGOUPANDE INTELLECTUEL OU LE POLITIQUE
Mon, 20 May 2002 17:39:10 +0200

Compatriotes,

JPN est au coeur de l'actualité sur nos forums par rapport à ses récentes déclarations et publications que j'ai eu l'honnêteté de lire en grande partie.
Il est judicieux de reconnaître la valeur la valeur et le sens du discours de JP NGOUPANDE sur le plan de la réflexion purement scientifique avec donc tant soi peu d'objectivité.
La facilité de lecture, le souci à la fois du détail et de la cohérence d'ensemble, l'esquisse surtout d'une problématisation de l'Afrique en devenir dans ses rapports avec l'ex-puissance tutélaire; voilà quelques mérites à attribuer à ce compatriote.
L'écho de l'Afrique sans la France a débuté en Europe, en Afrique ensuite et dans une mesure eu évaluable en RCA illustre que ce sont pas des adjonctions d'insanités, de contre-vérités, mais de l'analyse que le lecteur peut apprécier.
JP NGOUPANDE pose deux jalons bien circonscrits:
1) Le premier est celui qui a consisté à tirer quelques grandes leçons du lien entre gouvernance, stabilité étatique et développement économique de l'Afrique francophone. Je suis pour ma part de ceux qui sont absolument convaincus que nous ne pourrons jamais rien, ni d'en haut, ni d'en bas, changer le cours des choses…mais en grande partie un Etat, une administration, l'autorité de l'ordre et de la loi pour tous, et l'introduction de la rigueur nous permettrons d'obtenir des progrès économiques significatifs.
2) Le 2ème jalon est que la rapport France Afrique a changé, doit changer et changera encore à d'autres tournants de l'histoire. Autant il a changé, autant se pose à l'observateur et à l'acteur tout comme au citoyen de l'Afrique francophone la question de la nature de ce changement. Le poids de l'histoire est bien présent dans les outils d'analyse et dans les stratégies de conquêtes ou de maintien au pouvoir.
La relation Afrique France a changé parce que le monde dans lequel nous vivions a changé aussi. La mondialisation économique, la globalisation financière, l'accélération de la construction de grands ensembles en Europe, en Amérique et dans le sud est asiatique, l'adhésion de la Chine à l'organisation mondiale du commerce, les progrès techniques et scientifiques, la rapidité des mouvements de populations et récemment une chose dont on a pas assez parlé l'expansion de l'extrême droite dans toute l'Europe sont autant de pièces du puzzle du monde dans sa configuration du 3éme millénaire.
Lorsqu'on regarde la CENTRAFRIQUE de 2002 elle est celle exactement de 1992 où les experts du CTP PAS allait à Washington chercher dans le cadre de l'ajustement structurel de l'argent pour payer les fonctionnaires et réaliser quelques menus investissements. Voilà une vraie question qui se pose et qui se posera à tout pouvoir en place à BANGUI et à tout centrafricain s'intéressant à la résolution des défis de la RCA.
Il appartient aux talents, aux militants, aux travailleurs, aux jeunes africains de notre temps, de s'exprimer et d'agir dans la trame de projet de société défini par ceux qui ont choisi le redoutable sacerdoce de la politique.
Il est compréhensible que la collusion, voire la confusion de la double personnalité de JP NGOUPANDE trouble beaucoup d'entre vous. Ce qui aurait intéressé davantage le débat c'est la réflexion sur le devenir de notre continent vu par l'auteur.
JP NGOUPANDE le militant politique est un citoyen centrafricain engagé dans les voies qui sont les siennes. Il y 'a là un tout autre débat avec une portée réduite à l'espace politique centrafricain, partant empreint d'une grande subjectivité.
Seulement pardi, ne lui nions pas la légitime fierté d'avoir pris la plume pour dégager sur l'agora les axes de réflexions hardies et fondamentaux.
Quelques exemples pour terminer provisoirement, en direction de l'argumentation d'après laquelle, JP NGOUPANDE se préoccuperait exclusivement de plaire aux occidentaux:
L'acceptation commune des centrafricains face à la situation de marchandages lors du transfèrement de parents décédés à la morgue des hôpitaux mouroirs de BANGUI.. 3 ordinateurs volés dans le stock du don chinois pour la modernisation de l'administration centrafricaine, 10 ordinateurs neufs collationnés par Coeur d'Afrique ( émanation de Be Africa) destinés à l'université n'ont jamais pu être acheminés faute de 15000FF que ni le gouvernement, ni l'ambassade, ni la communauté centrafricaine de France n'a voulu se mobiliser. Je met quiconque au défi que les exemples peuvent être multipliés à l'infini pour illustrer la faillite, l'indifférence, l'inconséquence et l'irresponsabilité majeurs des africains dans la descente aux enfers de notre terroir.
OU EST LA RESPONSABILITE DES EUROPEENS CONTEMPORAINS DANS TOUS CES FAITS?

A nous de poursuivre ici et ailleurs ce débat qui vaut la peine d'avoir lieu maintenant. De là devrait naître l'esquisse de perception d'une AUTRE AFRIQUE AUX AFRICAINS PAR LES AFRICAINS POUR LES AFRICAINS.

JEAN-PIERRE REDJEKRA
"Yé ti a ouandé"


EN REVISITANT KAFKA (Re K. -YT)
Sun, 19 May 2002 09:56:44 +0000

C'est une reflexion qui doit aider les intellectuels qui louent les exploits et pourtant négatifs de ce Mr à tous les postes de responsabilités qu'il a occupés (reformes scolaires baclées, suppressions de bourses aux étudiants ; Gourou qui a initié, planifié une gestion fallacieuse sur fond ethnique du RDC mais, attribué aux Yakoma ; Ambassadeur incompétent en Côte d'Ivoire et en France où, il a accru le déficit financier par une gestion de façade : belle voiture, résidence louée à 2 millions de Fcfa, création d'un journal luxueux et couteux pour redorer son image au profit d'une propagande politicienne qui le conduira au poste de 1er Ministre...
S'agissant de son oeuvre, rien d'étonnant !!! C'est une suite logique de sa filiation avec le gaullisme et du respect dù à ce milieu qui l'a tant soutenu dans ces divers dérapages contre la nation centrafricaine. Je me limiterai ici à évoquer ses relations avec Mister DUPUCHE conseiller de Chirac en matière africaine et qui pendant la crise des mituneries 1997, a effectué une visite éclaire à Bangui pour donner des instructions à Patassé de laisser rentrer immédiatement sur Paris, son élève Ngoupande retenu par ce dernier pour des enquêtes. Cette sommation coloniale avait soulévé un tollé généralise à Boy-Rabe, Fou, Gobongo, Miskine et très certainement à Pahoua exaspérés evidemment, par des attitudes récurentes et nocives de Ngoupandé et ses alliés colons. Et commed'habitude fort heureusement, les quartiers Sud de bangui assez en avant des relations néfastes de la France avec la R.C.A ( ex imposition du plus inutile chef d'Etat centrafricain Dacko ), ont marqué leur indifférence face à ce soulèvement rédhibitoire et karakotique. En fait, les quartiers du Sud savaient que c'est DUPUCHE qui influencait la carrière de Ngoupandé depuis qu'il est rentré en contact avec lui en Côte d'Ivoire(lui même étant Ambassadeur de la France à ce moment).
Et c'est comme cela que Ngoupandé dans un premier temps a été imposé Ambassadeur en France puis, 1er Ministre. Cette lecture a échappé aux petits guerriers de Fou, Gobongo, Miskine...
Parallèlement à ce profil tragique pour notre destiné que certains essaient d'imposés à la pensée centrafricaine, je lève ce paradoxe qui veut qu'on qualifie d'incompétents tous les Ambassadeurs centrafricains mais qu'en même tant, on brosse un tableau idyllique de Ngoupandé.
Compatriote la multiplication des reflexions objectives de ton genre, amènera les consciences à relativiser la montée en puissance de Ngoupandé ici et là comme-ci seul, la production d'un livre suffirait à tout enjolivé politiquement. Et nous ? n'avions nous pas produit des bouquins ? Goyémidé : Le Silence de la Forêt; SAmmy-mackfoy : L'odyssé de Mongou; MOngou s'en va en France; Yéri Tosindé : la R.C.A : phénomène des envahisseurs SARACABA; la médécine populaire en Afrique, le Cameroun : Colonisation et Evangélisation au XIXes.

Yéri


CENTRAFRIQUE_LIVRE (JPN)/DEMOCRATIE ET GOUVERNANCE: DEVRIONS-NOUS SEULEMENT NOUS CONTENTER DE REVISITER KAFKA ?
(Kodro - Sunday, May 19, 2002 1:32 AM)

    A Ita ti Kodro, Wakodros,

    En prenant connaissance des premières réactions, je m'interroge si nous devrions seulement nous contenter de revisiter Kafka, sans débattre sur le fond.

Une première réaction est toujours bienvenue pour lancer le débat en le contextualisant, pour parler simple "en le situant".

    Chers amis et autres "kodronautes", faisons-nous plaisir en allant au fond des choses... tutoyons la pensée, car nous en sommes capables... Aux faits avérés ou non, rajoutons l'excellence centrafricaine... Nous affirmerions certainement "une autre manière d'être centrafricain"...

    J'avais promis à  un Kodronaute la confrontation de nos lectures... nous en avons maintenant l'occasion...

    Mais avant, je me permets de rajouter dans la corbeille (ci-joint) trois autres articles: du Soleil, quotidien sénégalais, du Sud/Ouest, un quotidien français, et du Figaro, un autre quotidien français ... La relecture de l'intervention de Jean-Paul Ngoupandé sur l'élection présidentielle française n'est pas à  bouder...

    A très bientôt donc !

Henri GROTHE (animateur du forum KODRO)


EN REVISITANT KAFKA

Salut Crépin et les compat....,

Juste pour appuyer cela en ajoutant qu'il n'y a que les faits et rien que ceux çi qui sont réellement....parlants. Pour en prendre un avéré, je prendrais mon cas perso de victime; ce type, alors ambassadeur à Paris, m'a "croqué" six mois de bourse "pour les frais courants" il parait. Ses remplacants m'ont quasiment envoyé bouler en me demandant de m'en prendre directement à lui (!). Ce que je me suis refusé à faire pour des raisons évidentes. Ceci dit, reconnaissons lui d'avoir au moins, dans la médiocrité ambiente de nos "responsables" politiques présents et passés, oser mettre la lumière sur l'un des multiples tabous expliquant l'état de notre pays. On est droit d'espérer que cette initiative encouragera d'autres permettant de nous voir à travers nos propres yeux. Ceci sans complaisance car il ne peut y avoir un début de solution sans un bon diagnostique. Pour ma part, je situe la limite de ce livre surtout dans sa limitation temporelle. L'histoire des rapports de la France et de l'Afrique et accessoirement, celles des rapports Europe-Afrique n'ont pas commencé avec la colonisation et ensuite avec les "indépendances de drapeau". La peur (ou le manque de courage, au choix) de s'attaquer aux tabous comme la relative facilité avec laquelle le "moudjou" a pu penétrer chez nous, s'approprier nos terres, démolir nos coutumes, nous imposer sa réligion, découper nos frontières, nous vendre comme du bétail, nous utiliser comme chair à canon, nous "donner" des dirigeants garantissant ses intérêts, etc  avec la complicité plus moins active de générations de nègres "civilisés", "évolués", "moudjou-voukoisés" ou "kotazoisés" voire de royaumes nègres dont certains sont encore en place limite l'ambition de ce livre. On ne pourra pas faire indéfiniment l'impasse sur ces sujets qui nous permettrons de rédéfinir notre histoire et (enfin) nous définir en tant qu'africains responsables de notre destiné. L'illustration flagrante de ce type d'interrogation sur nous est notre rapport par rapport à la mode actuelle: la "démocratie".
Comment faire entrer cette notion qui repose fondamentalement sur l'individualisme dans nos sociétés ou le "nous" prime sur l'individu?
On l'adapte? Comment et pourquoi, sur quels critères, avec qui, etc....?
Bon week end

Innocent Yamodo

--- Dans kodro@y..., "crepin mboli - goumba" <cmboli___goumba@h...> a écrit...

Date : Sat, 18 May 2002 15:59:02 -0000
Objet : kodro] : EN REVISITANT KAFKA


A ita,

Je ne saurais rester sans reaction a la lecture de l'article du Premier Ministre Ngoupande.
Si je tiens a saluer l'intellectuel brillant, je souhaite essentiellement faire entendre la voix de cette autre Centrafrique, celle qu'insupporte la litterature du "politiquement correct" ou affleure fatalement des arriere-pensees d'adoubement par la France.
Nul besoin d'etre Medecin pour rendre son diagnostic:syndrome du trans-all avance!
Comme jadis Dacko, certains de nos politiques ne desesperent toujours pas de se voir debarquer d'un trans-all.
D'ou le discours auto-avilissant. Apres tout, le Palais de la Renaissance vaut bien une messe.
Et les Occidentaux , forcement, adorent ce genre de discours "si convenables"
Je ressens un sentiment de gachis.
Gachis que cette intelligence centrafricaine n'ait aucun courage politique.
Assurement,certains membres de l'elite ont failli.Mais on pourrait pardonner a quelqu'un de penser que monsieur Ngoupande fait la un auto-portrait, puisqu'il represente mieux que quiconque l'intellectuel failli, celui qui "inventa" le RDC, dont la morale a cloche-pied est notoire.
Comme tous les Patriotes, j'avais deja ete choque par le ton de son Premier livre politique ou le depart des Elements Francais etait concu comme une catastrophe nationale " au regard du manque a gagner pour l'Etat, sans compter leur intervention pontuelle a la construction et reparation des ponts?
Tout de meme Kafkaien de la part de quelqu' un qui prone la responsabilisation!
Allez savoir pourquoi j'execre le Tango, et les Tangeros avec!
Le developement sera d'abord et avant tout une question de mentalite et tant qu'on trainera toujours cette structure mentale de colonise qui nous fait encore appeler un President etranger
"President Mitterand"( voir l'article du Premier Ministre) ou encore la France metropole, tant que le courage politique sera sacrifie sur l`autel des calculs politiciens, le progres pietinera.
Il est de bon ton de proner la bonne gouvernance, mais en meme temps cette meme France compromise avec des regimes predateurs...
Des exemples?
La France qui se fait chantre de la transparence n'a pas hesite a faire pression sur le President Senegalais de l'epoque(Diouf) et Ivoirien Bedie pour donner les Les societes d'eau et delectricite aux Societes Francaises qui,n'avaient pourtant pas fait de meilleures offres et l 'avaient perdu aux Canadiens.Et il y eut greve en Cote D'Ivoire.
Et pourquoi "Survie" existe? Quel est le sens de son action?
Pourquoi et contre quoi se bat Noel Mamere.
Un peu de serieux , Monsieur le Premier Ministre.
Pour une certaine facon d'etre Centrafricain.

CREPIN MBOLI-GOUMBA
Washington, DC

Date: Fri, 17 May 2002 23:12:35 -0700
Re: kodro@yahoogroupes.fr - CENTRAFRIQUE_KIOSQUE: UN INTELLECTUEL CENTRAFRICAIN DANS LE MONDE


Salut les compat's

Je viens juste de finir de lire ce bouquin qu'a produit JPN.
Je vais le relire a tete reposee avant de donner mon point de vue.
La petite remarque que j'aimerais faire,cependant,c'est qu'il met le doigt sur certains blocages d'ordre culturel et surtout comportemental qui affecte notre zone francophone.
Au passage,il regle quelques comptes avec les caciques de l'Etat-MLPC ainsi qu'avec celui de l'Etat-RDC.
Je m'etonne un peu de la part belle faite aux gaulois dans ce livre.
A-t-il appris sa lecon apres la reaction qu'ont eu les gaulois quand il a eu le courage de denoncer,courageusement,"les represailles"des barracudas pendant qu'il etait PM?
Pour ceux qui ont lu le bouquin,voila au moins de quoi demarrer un debat sur les possibles pistes de sortie de la crise ethno-politico-militaire qui enfonce dans notre pays dans la desesperance absolue.
Poussant ainsi la majorite des "exclus"a la revolte ouverte avec tout ce que cela comporte de sang innocent verse.
A vos claviers,les compat's!

Joel Bombo-Konghonzaud

Date: Fri, 17 May 2002 10:34:40 -0700 (PDT)
kodro@yahoogroupes.fr - EN REVISITANT KAFKA


L'Afrique suicidaire, par Jean-Paul Ngoupandé

Le discrédit qui frappe les Africains n'a pas d'équivalent dans l'histoire contemporaine de l'humanité. Pendant les siècles de la traite négrière, nous étions assurément des victimes. Aujourd'hui, nous sommes nous-mêmes les principaux fossoyeurs de notre présent et de notre avenir. Au sortir de l'ère coloniale, nous disposions d'appareils d'Etat certes embryonnaires et répressifs, mais qui avaient le grand mérite de remplir efficacement les missions élémentaires qui leur étaient dévolues : sécurité, santé publique, éducation nationale, entretien des voies de communication.

Aujourd'hui, les Etats sont liquéfiés dans la plupart de nos pays, les gardes prétoriennes et les milices politico-ethniques ont supplanté l'armée, la police et la gendarmerie, qui ne sont plus que les ombres d'elles-mêmes. L'insécurité s'est généralisée, nos routes et les rues de nos villes sont devenues des coupe-gorge.

La tragédie du sida nous rappelle dramatiquement qu'avec des administrations efficaces et responsables nous aurions pu endiguer le fléau à ses débuts. Au lieu de cela, plus de 20 millions d'Africains, dont une majorité de jeunes et de cadres bien formés, ont déjà été arrachés à la vie, victimes des tergiversations de nos Etats et d'une ambiance sociale délétère et ludique où le sens de la responsabilité individuelle et collective s'est évaporé. Les crises politico-militaires et les violences de toutes sortes, l'appauvrissement des Etats pris en otage par des coteries prédatrices, la propension des dirigeants à se préoccuper essentiellement de leur sécurité et des moyens de conserver le pouvoir, tout cela a conduit au fait qu'un secteur aussi décisif pour le présent et l'avenir que l'éducation est naufragé un peu partout.

L'insécurité et le désordre général, la criminalisation rampante d'Etats de plus en plus contrôlés par des systèmes mafieux, les lourdeurs administratives et l'absence de règles transparentes occasionnées par une corruption endémique font que les investisseurs privés ne se bousculent pas à nos portillons, loin de là. Même les donateurs publics nous considèrent désormais comme des puits sans fond et des cas d'acharnement thérapeutique.

Plus de quarante ans après la vague des indépendances de 1960, nous ne pouvons plus continuer d'imputer la responsabilité exclusive de nos malheurs au colonialisme, au néocolonialisme des grandes puissances, aux Blancs, aux hommes d'affaires étrangers, et je ne sais qui encore. Il faut que nous acceptions désormais d'assumer : nous sommes les principaux coupables.

Le basculement de nos pays dans la violence, le laxisme dans la gestion des affaires publiques, la prédation sur une vaste échelle, le refus de nous accepter entre ethnies et régions, tout cela a des causes principalement endogènes. L'admettre sera le début de la prise de conscience, et donc de la sagesse.

On me dira que c'est dédouaner trop facilement la responsabilité de l'extérieur. Mais les accusations de ce type, nous n'avons fait que les proférer depuis quarante ans, surtout nous, les intellectuels. Le problème aujourd'hui, c'est que les accusés ne prêtent plus la moindre attention à nos réquisitoires qui ont, soit dit en passant, pris un bon coup de vieux, parce que le monde dont nous parlons n'est plus le leur.

Nos jérémiades, nos gesticulations ne touchent plus personne outre-Méditerranée et outre-Atlantique. Je crains en réalité que nous ne nous trompions de planète. Depuis la fin du conflit idéologique entre l'Est et l'Ouest, nous ne sommes plus un enjeu parce que nous ne pesons plus dans la nouvelle compétition, celle de la conquête de marchés porteurs.

Un et demi pour cent des échanges commerciaux dans le monde (dont 40 % pour le pays de Mandela) : voilà ce que représente l'Afrique subsaharienne sur le nouvel échiquier de notre planète. Autrement dit, nous ne sommes rien, et nous n'avons pas voix au chapitre. Cela se constate aisément, pour peu que nous prêtions attention aux préoccupations des grands décideurs, aux flux commerciaux et aux centres d'intérêt des médias.

Il y a donc pour nous, en ce début de IIIe millénaire, une urgence absolue : nous préoccuper de ce que nous avons à faire nous-mêmes pour tourner le dos à la logique de l'autodestruction, tenter de nous réinsérer dans l'économie mondiale, et tout essayer pour en finir avec la marginalisation.

Le premier signe attendu de nous par les rares bonnes volontés qui s'expriment encore en faveur de l'Afrique est que nous commencions enfin à pointer du doigt la racine du mal africain : nous-mêmes, autrement dit nos dirigeants, nos élites, et même nos populations dont la résignation parfois désarmante laisse le champ libre aux seigneurs de la guerre et offre une masse de manœuvre aux gouvernements tribalistes et prévaricateurs. Un début de visibilité de notre prise de conscience plaiderait en notre faveur et encouragerait ceux qui croient qu'il n'est pas raisonnable de gommer du jeu mondial plus de 700 millions d'Africains subsahariens. Car là est l'autre facette du débat sur l'Afrique : c'est le sens qu'il convient de donner à l'afro-pessimisme radical. Sous prétexte qu'il y a des blocages entretenus par les Africains eux-mêmes et qui créent des problèmes apparemment insolubles, le point de vue qui se répand de plus en plus dans les pays développés est qu'il faut ignorer définitivement le continent noir puisqu'il se révèle congénitalement incapable de se prendre en charge. Donc, l'Afrique, ça n'existe plus, c'est perdu pour le développement, et cela devient même problématique pour l'assistance humanitaire, la dernière chose que l'on puisse y faire.

Incroyable myopie ! Ce continent jouxte l'Europe : une quinzaine de kilomètres par le détroit de Gibraltar, et environ 200 kilomètres séparant le cap Bon de la Sicile. La décomposition d'un continent si proche ne peut pas ne pas poser de problèmes au nord de la Méditerranée.Le 11 septembre 2001 nous enseigne que l'interdépendance est plus que jamais la règle sur notre planète, et que les problèmes sont bien plus partagés qu'on ne le pense généralement. Il n'y a pas de cloisonnement étanche.

A l'occasion du sommet qu'il a organisé à Dakar le 17 octobre dernier, et qui n'a malheureusement pas mobilisé beaucoup de dirigeants africains, le président Abdoulaye Wade a eu cette formule tout à fait pertinente : l'Afrique est devenue une vaste passoire pour toutes sortes de trafics. Il suffit d'observer la "sécurité" dans nos aéroports et à nos frontières terrestres et maritimes, la facilité avec laquelle des étrangers peu recommandables peuvent se procurer nos passeports diplomatiques, les valises tout aussi "diplomatiques" servant à faire passer en fraude diamants, or, devises (y compris de la fausse monnaie), drogue et toutes sortes d'objets délictueux.

D'accord donc pour que nos amis français nous interpellent fermement quant au délitement de nos pays, dont nous portons la responsabilité principale. Il ne faut pas qu'ils aient peur de nous dire la vérité en face. Le complexe du colonisateur n'a plus lieu d'être : l'amitié doit désormais se nourrir de vérités, y compris les vérités crues.

Les pires pour nous, ce sont ceux qui jouent à nous caresser dans le sens du poil. La tape sur l'épaule est certes un geste amical, à condition qu'elle ne nous conforte pas dans l'idée infantilisante selon laquelle nous sommes les gentilles et innocentes victimes d'un complot international contre l'Afrique. Il ne faut plus nous flatter. Quant à nous, nous gagnerons en crédibilité à partir du moment où nous serons capables de nous regarder en face, pour reconnaître enfin que tout ce qui nous arrive est d'abord de notre faute. Nous serons plus crédibles pour dire à tous ceux qui considèrent l'Afrique comme un continent perdu qu'ils ont tort.

Elle est certes en panne, mais décréter sa mise hors jeu définitive ne règle aucun problème. Entre la condescendance, qui signifie mépris et infantilisation, et l'abandon qui ne dit pas son nom et qui est une forme de politique de l'autruche, il y a place pour un regard responsable sur la crise africaine.

Un tel regard commence d'abord par s'éloigner des idées reçues, en particulier les généralisations hâtives et les conclusions radicales. L'Afrique est un continent. C'est le premier rappel élémentaire à formuler. Sur 53 Etats, il s'en trouvera bien 2, 3 ou 4 pour prendre le chemin du sérieux. Seule une observation attentive et non dogmatique permettra de les identifier. Dans cette hypothèse, l'intérêt de l'Afrique, de l'Europe et du monde commanderait qu'ils soient franchement appuyés, au lieu du saupoudrage qui n'a jamais induit un cycle de développement. Un appui franc et massif accordé à des pays manifestant clairement une volonté de s'en sortir par le sérieux et le travail acharné servirait le contre-exemple pour les mauvais gestionnaires.

C'est d'ailleurs ce qu'avait indiqué le président Mitterrand lors du 16e sommet des chefs d'Etat de France et d'Afrique en 1990. Erik Orsenna était à ses côtés et aurait, dit-on, fortement inspiré le désormais célèbre discours de La Baule. L'attention excessivement concentrée sur les seigneurs de la guerre est, de ce point de vue, un autre piège qui guette le continent. Aujourd'hui, mieux vaut être un chef rebelle ou un président casseur pour retenir l'attention de la communauté internationale, plutôt qu'un gestionnaire sérieux et discret.

Jean-Paul Ngoupandé, ancien premier ministre centrafricain, est député d'opposition en exil.

[Article paru dans Le Monde, édition du 18 mai 2002 (paru le 17 mai 2002)]


Regards et points de vue des partis politiques et des mouvements centrafricains