L'analyse de Jean-Paul NGOUPANDE du "scrutin manqué" 1999 : "Les leçons d'un scrutin"

- Répondre aux questions que se posent des "amis"
- Analyse et autopsie du scrutin


Répondre aux questions que se posent des "amis" :

<< Ce texte destiné à une diffusion restreinte (journalistes et personnalités extérieures) reprend en fait la déclaration commune publiée dès le 3 octobre 1999 (lendemain de la proclamation des résultats de l'élection présidentielle) par les partis ASD, CNP, FC, MDI-PS, PUN, UPR qui avaient soutenu la candidature de Jean-Paul Ngoupandé.
L'essentiel de l'affirmation du 3 octobre 1999 est que l'opposition ne doit pas se contenter uniquement de dénoncer les fraudes qui ont été réelles mais qu'elle doit aussi faire une évaluation de ce qu'a été sa stratégie. C'est en fait l'appel à la réorganisation et la redynamisation de l'opposition centrafricaine.
Le débat a déjà commencé à l'intérieur du pays. >>


Analyse et autopsie du scrutin :

<< Les leçons d'un scrutin

Première partie : Pourquoi l'opposition a perdu ?

I.1 Je n'ai pas souhaité prend part à ce scrutin, à partir du moment où la stratégie que je préconisais au sein de l'opposition n'avait pas été retenue. Cette stratégie, qui me paraissait la mieux indiquée pour crée les conditions du succès, reposait su le principe d'une candidature unique ou, à tout le moins, des candidatures en nombre limité (deux ou trois tout au plus) ; cela autour d'un projet politique dont les grandes lignes seraient de créer les conditions d'accélération de la réconciliation nationale, de la mobilisation de toutes les compétences pour le redressement économique et social du pays, et de la remise de tous les Centrafricains au travail.

Ce choix stratégique partait du constat de la division du pays, aggravée par les violences consécutives aux mutineries de 1996 et 1997. L'objectif était de pouvoir freiner le développement de la haine tribale. Une ou deux candidatures d'union au sein de l'opposition pour éviter le clivage Nord-Sud (Savaniers" contre "Riverains et Forestiers) qui ne cesse de s'accentuer auraient rassuré les électeurs et crée les conditions de l'alternance. Je n'ai pas été entendu.

I.2 La position qui a finalement prévalu a été celle de l'abondance de candidatures destinées, affirmait-on, à mobiliser les fiefs ethniques pour obtenir des suffrages que l'on additionnerait au deuxième tour, autour du candidat le mieux placé.

Je savais, et je l'ai dit en son temps, que ce choix ouvrirait un boulevard au Président sortant dont le parti dispose d'un important réservoir de votes ethniques (Gbayas, Mandjas, Saras principalement). De plus le MLPC a toujours su jouer, ces dernières années, de " l'épouvantail Yakoma ". Toute sa campagne, dans sa zone d'implantation (Nord, Ouest, Centre), s'est résumée en un slogan simple, voire simpliste : les Yakomas - c'est à dire le Général André Kolingba - reviennent pour se venger. Seul le Président Patassé a le moyens de défendre et protéger le Savaniers contre les Yakoma.

Le climat de haine tribale qui prévalu pendant la campagne, sur le terrain, à la radio et à la télévision, le rappel des cadavres que l'on se jeta mutuellement à la figure, tout cela accentué la bipolarisation au profit du MLPC et du RDC. Aux yeux d'électeurs traditionnels du MLPC tentés de voter pour d'autres candidats pour sanctionner la mauvaise gestion du pouvoir, ces autres candidats, à commencer par moi-même, apparaissaient et étaient présenté comme des satellites du RDC. Cela, j'ai pu le vérifier concrètement sur le terrain en zone Mandja et Gbaya.

I.3 D'autres facteurs se sont ajoutés :

1.3.1 La mobilisation de moyens financiers et matériels considérables par le candidat du pouvoir face à l'indigence d'une opposition émiettée et minée par les rivalités et les calculs de positionnement de ses leaders.

1.3.2 Le " lobbying " actif du Président sortant qui multipliait les contacts au plan international et médiatique quand les leaders de l'opposition se cantonnaient dans des dénonciations rituelles sans effet notable.

1.3.3 La présence effective du MLPC sur le terrain, où ce parti a pris de l'avance pendant que l'UFAP (Union des Forces Acquises à la Paix) s'épuisait en réunions interminables à Bangui. Cette présence permettait également de concocter tout un dispositif de fraude basé notamment sur le surgonflement des listes électorales dans les régions favorables au MLPC, la corruption (y compris des membres de la Commission Electorale Mixte Indépendante et des bureaux de vote toutes tendances politiques confondues), l'intimidation et la pression.

1.3.4 La fragilité et/ou l'inexpérience des partis d'opposition, à l'exception notable du RDC, face à la machine électorale du MLPC, expérimentée dans la manipulation des cartes électorales et des bulletins de vote, et surtout le contrôle des bureaux de vote dans ses zones de prédilection. C'est ainsi que des dizaines de bureaux du Nord, de l'Ouest et du Centre enregistraient zéro voix pour la plupart des partis d'opposition, ce qui veut dire que même leurs représentants n'ont pas voté pour eux...

Mon parti, le PUN (Parti de l'Unité Nationale), est la parfaite illustration de l'inexpérience qui lui a fait perdre des voix même là où les électeurs lui en offraient amplement la possibilité (Nola, 8e arrondissement de Bangui, Kaga-Bandoro, Bouca, Kabo entre autres). Il est vrai que le PUN n'était âgé que d'un an et quatre mois au moment du scrutin ...

A propos des irrégularités, qui ont été réelles, j'affirme quelles ne sont pas pour expliquer la défaite de l'opposition face à un candidat dont le bilan après six ans de gestion ne plaidait pas en faveur de sa réélection. Nous ne préparerons pas sérieusement l'avenir si nous ne jetons pas un regard lucide sur l'état de cette opposition et sa stratégie de conquête du pouvoir qu'il faut revoir. C'est l'objet de la seconde partie de la présente note.

I.4 Avant d'y venir, je voudrais répondre à la question que beaucoup d'amis, surtout hors du pays, me posent : sachant dès le mois de mai 1999 que la stratégie de l'opposition allait conduire à l'échec, pourquoi me suis-je présenté? Que suis-je allé faire dans cette galère?

D'abord, j'ai tenté, jusqu'au dernier moment c'est-à-dire jusqu'en juillet 1999, de faire entendre raison aux uns et aux autres. Malgré la demande pressente du Congrès du PUN (30 juin - 4 juillet 1999), j'ai résisté et continué d'appeler à une autre stratégie et cela, jusqu'à. la clôture des candidatures.

Je me suis résolu à me présenter au tout dernier moment, lorsqu'il est apparu clairement que mon absence dans la compétition, ouvrirait une crise grave au sein du PUN, dont l'immense majorité des militants et des cadres voulait à tout prix que j'y aille.

J'assume ce choix, qui n'était pas facile. J'ajoute que malgré le résultat décevant, ma participation m'a permis d'avoir de la réalité politique de mon pays une connaissance que je n'aurais pas pu acquérir autrement. C'est important pour l'avenir.

 

Deuxième Partie : Une autre manière de faire de l'opposition pour mieux préparer l'avenir

II.1 S'inscrire dans la durée.

Il faut prendre acte du résultat de l'élection présidentielle tel qu'il est, et ne pas s'installer éternellement dans une contestation stérile de la légitimité du président réélu.

L'une des caractéristiques de la réalité politique Centrafricaine, c'est que les quatre " anciens " : Ange-Félix Patassé, André Kolingba, David Dacko, Abel Goumba totalisent à eux seuls près de 90 % des suffrages exprimés (environ 87 %). Il est vraisemblable que lors du prochain scrutin présidentiel en 2005, on ne les retrouvera pas tous sur la ligne de départ.

Il y a donc un espace politique à conquérir, à condition d'inscrire l'action dans la durée. Âgé de cinquante et un ans, j'ai la possibilité de m'inscrire dans la durée.

Cette démarche peut seule offrir le temps et les moyens de répondre aux cinq défis qu'il me faudra absolument relever avant la prochaine élection présidentielle. Cela suppose un travail sérieux, ardu et continu, avec de la détermination.

II.2 Implanter et développer l'organisation politique

Je ne crois pas que l'on puisse gagner des élections dans un pays comme .la RCA, où la population est majoritairement analphabète et où les réflexes démocratiques sont très insuffisamment ancrés, sans disposer d'une formation politique bien implantée, conduite par un appareil solidement organisé. La jeunesse et l'inexpérience ne pardonnent pas, les candidatures indépendantes ne payent pas non plus.

Ce travail demande du temps. Le PUN demande du temps pou s'implanter partout, faire émerger des cadres, les former et leur faire acquérir l'expérience du terrain.

11.3 Rassembler les forces du renouveau

Le second défi est celui du regroupement des forces politiques qui luttent pour la modernisation du pays.

Il y a officiellement une quarantaine de' partis en RCA (pour 3,6 millions d'habitants), dont 9 représentés à l'Assemblée Nationale. Mais en réalité, en dehors du MLPC et dans une certaine mesure le RDC, le reste n'est qu'un émiettement de petites formations dont beaucoup ont un caractère ethnique marqué et sont structurées autour d'une personnalité issue de l'ethnie concernée. Leur audience ne dépasse pas une, deux ou trois préfectures sur 16 (17 avec la ville de Bangui).

Cet émiettement a lourdement pesé sur la stratégie suicidaire adoptée par l'opposition (cf. plus haut). Le PUN se veut un début de réponse à cette situation, en offrant un cadre pluriethnique de mobilisation. Il a besoin de temps. Il a surtout besoin de se retrouver avec d'autres formations qui partagent ses convictions.

C'est ce qui est en train de se faire avec l'amorce de regroupement PUN-ASD (Alliance pour la Solidarité et le développement (Centrafrique Nouvelles Perspectives) FC (FORUM Civique)-MDI/PS (Mouvement pour la Démocratie, l'indépendance et le Progrès Social)-UPR (Union pour la République).

II.4 Recentrer le message politique et opter pour une opposition modérée et résolument démocratique

Malgré la bipolarisation régionaliste (et peut être à cause d'elle), les Centrafricains vivent la situation actuelle d'affrontement Nord-Sud comme un piège dangereux. A regarder les choses de près, on perçoit qu'ils aspirent à en sortir, s'il leur est offert une voie médiane, celle d'une opposition modérée, se tenant à égale distance des extrêmes, constamment soucieuse des conditions de vie du peuple, capable de proposer des solutions réalistes, prête à appuyer tout ce qui peut se faire de constructif, y compris par le gouvernement actuel, tout en jouant son rôle d'opposition. Une opposition d'affrontement verbal systématique prépare le terrain à l'affrontement tout court dans un pays fortement marqué par la division ethnique, et dans une région d'Afrique en proie à la violence.

II.5 Coller aux préoccupions concrètes des Centrafricains

Sida, école, Insécurité et donc restructuration des Forces Armées, prix du coton et du café, salaires non payés et pauvreté : ce sont là, aujourd'hui les principales préoccupations des Centrafricains. lis attendent du gouvernement qu'il travaille pour résoudre ces problèmes. lis attendent aussi de l'opposition qu'elle ne se contente pas de criques stériles et démagogiques mais qu'elle avance des propositions constructives, réalistes et modernes.

Les cinquante engagements pour sortir de la crise, document de base de ma campagne, d'ailleurs largement repris par mes concurrents, demeurent une référence à actualiser et enrichir par le dialogue avec les Centrafricains.

II.6 Pour une opposition de proximité

Pour les années à venir, c'est ce dialogue direct qu'il faut privilégier, par l'action sur le terrain, dans l'activité parlementaire, associative, etc... Plus que des discours politiciens, les Centrafricains veulent que les leaders d'opinion soient sur le terrain pour les aider à se prendre en charge, à régler leurs problèmes, à ne pas tout attendre d'un Etat qui n'est même plus en mesure de s'acquitter du minimum qui est attendu de lui.

Cette présence sur le terrain, que j'ai reprise en 1998, après l'avoir interrompue pendant huit ans (pour cause de carrière diplomatique à l'étranger), il faut la rendre permanente.

De ce point de vue, l'échéances électorales (municipales puis législatives en 2004) qui viendront avant les présidentielles de 2005 sont très importantes pour une implantation progressive sur le terrain.

Il faut les préparer dès maintenant.

Pour cela, il faut maintenir à tout prix un climat de paix dans le pays.

Je fais résolument le choix de la paix.

La priorité en RCA, immédiatement, c'est de préserver la paix, au moment où la MINURCA s'apprête à se retirer en février prochain.

Jean-Paul Ngoupandé

>>


Les leçons d'un scrutin manqué, présidentielle centrafricaine 1999 . Actualité Centrafrique