Le Premier Ministre a fait l'impasse sur le problème de la BEAC

Gbaraket Blaise, Économiste

 

Devant les députés, lors du débat sur la garantie que la direction nationale de la BEAC a donnée à un groupe de la mafia pour un transfert de 500 millions de dollars, le Premier ministre s'est contenté d'une réponse "technique " accompagnée comme dans ses habitudes d'une arrogance déplacée qui n'a convaincu personne y compris lui-même.

Il est nécessaire de donner quelques éléments pour la compréhension de ce phénomène qui est unique pour notre pays et qui le discrédite aux yeux du monde entier. A l'arrogance méprisable de Monsieur DOLOGUELE, il faut lui opposer son bilan négatif qui montre son incompétence à gérer la crise économique et financière de notre pays

  1. LES FAITS
  2. La direction nationale de la BEAC, sur ordre vraisemblable du gouvernement comme les intéressés, le disent déjà, a donné une garantie irrévocable et transmissible à un groupe d'italiens qui appartiennent à la mafia pour le transfert en direction de notre pays de 500 millions de dollars des États-Unis soit au moment de l'acte environ 325 milliards de Francs Cfa, un peu plus de la moitié du produit intérieur brut centrafricain de l'année 1999. Cette somme est destinée au blanchiment. L'opération a été accompagnée d'un document de 31 pages écrit en anglais expliquant entre autre l'objet du transfert : le développement. D'une certaine source, ce document qui aurait été suivi depuis par les agents secrets français aurait été aussi récupéré par les autorités financières françaises. Il y a donc bien eu tentative de transfert de fonds du reste du monde vers la RCA contrairement à l'affirmation du Premier Ministre.

    A ce niveau je peux déjà faire deux remarques : Comme ont affirmé certains députés de l'opposition, le gouvernement ne peut ne pas être au courant d'un tel transfert et par conséquent ne peut être l'initiative du seul directeur national de la BEAC, qui par définition est le conseiller économique et financier du Chef de l’État. Le Premier ministre, ministre des finances, étant l'autorité monétaire et chef hiérarchique du directeur national. Si la version du Premier ministre selon laquelle sa signature a été imitée est juste et qu'il aurait porté plainte, pourquoi le procureur de la République n'a pas inculpé sur-le-champ les responsables parce qu'il s'agit d'un délit pénal grave, de faux et usage de faux ? Or, rien n'a été signifié aux intéressés et aujourd'hui rien ne garantit leur retour à Bangui après leur passage devant le conseil de discipline de la BEAC surtout s'ils savent qu'ils sont poursuivis. Si cette plainte est réelle, le Premier ministre n'a qu'à l'exhiber à la presse et demander au procureur de la République de lancer un mandat d'arrêt international contre les contrevenants, dans le cas contraire se serait une contre vérité.

  3. LES CONSÉQUENCES POUR LA BEAC
  4. La réaction fâcheuse du gouverneur de la BEAC qui est un homme de rigueur et qui ne laisse indifférent les Français se justifie pour au moins deux raisons : La première est que cette garantie irrévocable et irréversible obligeait l'institut d'émission à payer cette somme dans le cas d'une opération ratée alors qu'au même moment la BEAC disposait dans le compte d'opérations que la moitié environ de cette somme. Deuxièmement, la BEAC serait perçue comme travaillant avec la mafia, groupe qui déséquilibre l'économie mondiale. Dans ce cas elle perdrait totalement son autorité monétaire en Afrique centrale et aussi vis à vis des institutions financières internationales.

    C'est pourquoi ceci constitue une faute grave. La révocation des deux hauts cadres n'est pas discutable. Par contre, si la responsabilité du Premier ministre et ministre des Finances centrafricain est reconnue, il n'aurait plus sa place à la BEAC. C'est en partie pour cette raison que les Français ne font plus confiance au Premier ministre DOLOGUELE et qu'il fait tout pour se maintenir à son poste actuel au prix de corruption des députés.

  5. LES CONSÉQUENCES POUR LA RCA
  6. Notre pays n'a jamais connu un tel événement. En fin de règne de l'ancien régime, un des conseillers de l'ancien Chef de l'État, de nationalité étrangère avait l'idée d'une telle opération mais pour une somme insignifiante. Il a été stoppé par le ministre des finances de l'époque, cadre de la BEAC qui avait saisi le Président de la République de l'époque et l'opération a été arrêtée.

    A Madagascar, une telle opération semblable a eu lieu et le Fonds Monétaire International avait exigé et obtenu la révocation du Premier Ministre et du Ministre des Finances et du gouverneur de la Banque centrale de ce pays.

    Aujourd'hui, notre pays est classé comme un pays qui a des rapports avec la mafia internationale et a sur son sol des hommes d'affaires étrangers qui se mettent en travers les résolutions de l'ONU notamment, et qui continuent à commercer avec l'UNITA de Savimbi en Angola.

    La déclaration du Premier Ministre devant la représentation nationale selon laquelle dans u pays comme les États-Unis, le développement est assuré par la mafia est scandaleuse et indigne d'un financier. Cette déclaration ajoutée à tant d'autres confirme la tolérance de la circulation de l'argent sale sur notre sol par le Premier ministre et méprise les efforts de développement menés par les pays occidentaux pendant des décennies pour atteindre les niveaux actuels de leurs développements respectifs. Si dans un pays comme l'Italie, l'économie informelle présente 30% du PIB, ce qui pendant longtemps a déséquilibré les fondamentaux de l'économie italienne, il n'en demeure pas moins que les autorités politiques mène inlassablement la lutte contre la mafia. Les États-Unis se sont toujours démarqués des pays qui constituent des plaques tournantes de blanchiment d'argent.

  7. UNE ARROGANCE MÉPRISABLE

Comme dans ses habitudes, le Premier ministre n'a pas raté cette occasion pour mépriser certains députés mais sans convaincre et a prêché à qui veut l'entendre qu'il est le meilleur, financier et économiste du pays. Dans sa carrière à la BEAC il ne s'est jamais fait remarquer sur les problèmes économiques et financiers comme certains de nos compatriotes qui travaillent dans cette institution. Il a été envoyé pendant plusieurs années à l'antenne de la BEAC à Paris où sa tâche principale était de préparer les voyages du Gouverneur de la BEAC.

C’est en faveur de la venue au pouvoir du chef de l'État actuel, que celui-ci a exigé du Gouverneur de la BEAC qu'il soit nommé Directeur aux services centraux de la BEAC à Yaoundé pour des raisons tribalistes. Quand il a déclaré à l'Assemblée Nationale que les explications du député du MDD sur le mécanisme du transfert sont erronées, je me demande s'il a les connaissances exactes du problème. En réalité, si les transferts internationaux pour le public se font aux guichets des banques commerciales, c'est au niveau des banques centrales que se réalisent les compensations des devises, pour la simple raison que ce sont les instituts d'émission qui centralisent les devises qui constituent une des contreparties de la création de la monnaie qui est la tâche de la banque centrale. Elles peuvent en fonction des mouvements monétaires et financiers internationaux intervenir dans un sens ou un autre pour soutenir une monnaie.

Dans le cadre de la BEAC, les opérations de transfert passent par le compte d'opérations géré par le trésor français mais logé à la Banque de France. Ces explications sont connues d'un étudiant de fin du premier cycle des sciences économiques. Il n'y a pas lieu de s'éterniser.

Au passage je fais remarquer que le député BONGOLAPE est un économiste diplômé et un ancien cadre de la BEAC. Je ne pense pas qu'il a besoin de prendre des cours chez le Premier ministre moins encore chez le président de l'Assemblée Nationale qui est un instituteur.

Ceci dit, la compétence d'un Premier ministre, Ministre des Finances ne se mesure pas par une explication (même si elle était juste) sur le mécanisme d'un transfert au niveau international, mais par sa capacité à atteindre les objectifs fixés et à résoudre les problèmes des Centrafricains. Or, depuis que Monsieur DOLOGUELE est Premier ministre, ministre des finances, j'ignore totalement les objectifs fondamentaux fixés par lui et qui ont été atteints.

Les arriérés des salaires qui représentaient 4 mois au moment de sa nomination comme Ministre des Finances sont passés à 12 mois et ne sont jamais tombés à un niveau inférieur depuis deux ans, alors qu'il avait déclaré à plusieurs reprises en 1997 qu'il allait les résorber ou les stabiliser à 5 mois. Il n'a pas démontré sa capacité à faire une réforme fiscale pertinente, pour augmenter les recettes publiques qui restent en dessous de 9% du PIB, niveau le plus bas du monde.

Par contre, il effectue des dépenses ostentatoires, passe des marchés de gré à gré à un niveau où un appel d'offre est exigé conformément à la loi des finances et pour cause. C'est ce qui explique les réticences du FMI quant au financement du programme signé sous le gouvernement GBEZERA et qu'il gère mal depuis qu'il est Premier ministre. Il est le Premier ministre qui a favorisé et développé plusieurs scandales politico-financiers jamais connus dans notre pays.

Cette année, et c'est historique, le coton n'est pas acheté à cause d'une mauvaise politique de la filière alors que les cours mondiaux montent. Je peux encore citer plusieurs exemples de politiques économiques non réussies que les Centrafricains connaissent suffisamment pour ne pas les lasser.

Au total le Centrafricain a de la peine à croire que le gouvernement est dirigé par un financier de carrière et économiste de formation.

Le pari de Monsieur DOLOGUELE, pour qu'il reste dans les annales de la République serait sa capacité à retrouver les équilibres financiers de notre pays, condition d'un développement harmonieux et durable. J'ai peur qu'il reste un homme qui n'aurait trouvé aucune solution aux problèmes des Centrafricains et de la Centrafrique. " Le Citoyen - N° 824 du 28 avril 2000."


Regards et points de vue des partis et mouvements politiques centrafricains