LA COUR CONSTITUTIONNELLE EN PERIL

Par Jean Claude LENGA1

 

Instituée par le référendum du 24 décembre 94 et consacrée par la Constitution du 14 janvier 1995, la Cour Constitutionnelle marque, à n'en point douté, une avancée, ne fût ce que théorique, vers un État de Droit au pays de Zo-Kwé-Zo.

Cependant, force est de constater la manifestation accrue d'un décalage entre l'esprit de la lettre l'instituant et la réalité à laquelle elle ne cesse de se confronter. La politique, telle qu'elle s'exerce au quotidien par les gouvernants, la transformant en un "machin politique et juridique". Ce qui rend d'autant très pessimiste le plus piètre des observateurs des faits socio-politiques centrafricains. A tels points que l'on serait tenté de s'interroger sur la place et le rôle, d'une institution juridictionnelle de cette envergure, tels que consacrés par la Loi fondamentale, dans la consolidation des acquis démocratiques et le développement judicieux de la protection efficace des Droits Humains et de la Citoyenneté.

  1. La mission réductrice de la Cour Constitutionnelle au juge électoral :
  2. Après l'entrée en fonction de la Cour Constitutionnelle, celle-ci s'est vite vue cantonner par les différentes saisines en juge électoral.

    Il est certes vrai que selon une partie de l'article 70 de la Constitution, qu'elle a reçu mission de veiller à la régularité des élections présidentielles, législatives, régionales, municipales ; d'en examiner la préparation et le déroulement des scrutins. Elle est aussi chargée de veiller à la régularité des opérations de référendum et d'en proclamer les résultats ; de trancher les contentieux électoraux portés à sa connaissance ; de présider à l'investiture du Président de la République.

    Mais ce qui est moins connu, c'est qu'elle est aussi juge de la réparabilité du pouvoir, c'est-à-dire qu'elle peut être saisie pour dire le droit en statuant sur tout conflit de compétence entre les différents pouvoirs [exécutif, législatif, judiciaire, collectivités territoriales.]. Pour exemple le Parlement peut refuser une injonction gouvernementale de constituer sous autorité du pouvoir exécutif une enquête parlementaire (cas de DIMBI) ou de se prononcer hors délai sur la loi des Finances en saisissant le juge constitutionnel.

    Le rôle le plus significatif des "neuf sages" est d'interpréter la Constitution. Par un mécanisme de contrôle à priori ou à posteriori de l'Assemblée nationale, la Cour Constitutionnelle est juge de la constitutionnalité des lois ordinaires ou organiques.

    Par le biais de son président, elle participe à la constatation de la vacance du pouvoir présidentiel ou à l'empêchement du président de la République à exercer. Elle est consultée par le président de la République pour toute dissolution de l'Assemblée nationale.

    La spécifité de la Constitution centrafricaine, par rapport au modèle français, c'est d'offrir l'initiative à toute personne qui s'estime lésée de la saisir sur la constitutionnalité des lois directement par la procédure de l'exception d'inconstitutionnalité, invoquée devant une juridiction, dans une affaire qui la concerne.

    En dehors des contentieux inhérents aux élections, les Centrafricains, individuellement ou collectivement, peuvent donc porter les affaires relatives aux violations de la Constitution ou touchant aux Droits Humains et des peuples devant la juridiction supralégale. Toutefois, le dysfonctionnement apparent de la Cour Constitutionnelle résultant de la pression politique du pouvoir en place fait que, jusqu'à présent, elle ne s'est prononcée sérieusement et constitutionnellement sur aucun dossier !

    Les contentieux relatifs aux dernières élections législatives et présidentielles confirment cette affirmation. Sans doute, devant la "résistance" du juge YANGONGO qui s'obstinerait à dire le droit, le "réélu démocratiquement" l'a révoqué. Mais en a t-il constitutionnellement le pouvoir sinon le droit ?

  3. Le pouvoir inconstitutionnel du président de la République pour la révocation d'un juge constitutionnel : cas de Barthélémy YANGANGO-BOGANDA.

A tout égard, la Constitution centrafricaine attribue une étendue très importante au président de la République au détriment de l'Assemblée nationale et du pouvoir judiciaire, rompant de facto l'équilibre institutionnel entre les trois pouvoirs.

A propos de l'institution constitutionnelle, le Chef de l'Exécutif centrafricain partage le pouvoir de nomination avec le Président de l'Assemblée nationale2.

Cependant, la Constitution ne confère aucun pouvoir de révocation à l'une ou l'autre des deux autorités politiques de nomination. Elle met en exergue simplement l'incompatibilité. En effet l'article 72 stipule que "les fonctions de membre de la Cour Constitutionnelle sont incompatibles avec toute fonction politique, administrative ou tout emploi salarié".

Le statut du juge constitutionnel est protégé par son indépendance et son inamovibilité !

Malgré les deux détenteurs du pouvoir politique de nomination et en dehors des pairs électeurs, les membres de la haute institution ne sont pas des politiques. Ils ont le même statut que le juge ordinaire sauf que leur révocation ne répond pas aux même règles de parallélisme de forme, c'est à dire nommés par telle autorité politique et révoqués par elle.

C'est le collège des juges constitutionnels - par principe- qui décide, pour question de normalité, du bon fonctionnement de la Cour et de l'incompatibilité, de demander à un de ses membres de démissionner ; s'il ne remplit plus les conditions posées, dès lors qu'il ne le fait pas de son propre chef.

L'autorité de nomination ne peut qu'intervenir pour remplacer un membre en cas de décès, de démission ou d'empêchement définitif !

La révocation du juge Barthélémy YANGONGO BOGANDA, par le président de la République, est un acte anticonstitutionnel, c'est à dire contraire à la Constitution.

Untel acte met à mal la démocratie politique et rompt davantage l'équilibre institutionnel. En foulant une fois de plus aux pieds le principe de l'autonomie d'initiative et d'indépendance du juge constitutionnel, l'acte ainsi posé consacre, si besoin était la manie dictatoriale du pouvoir exécutif de tout régenter.

Après la mal-gouvernance, les atteintes répétées aux Droits Humains, la participation active à la criminalisation de l'État, la mise à mal de l'unité nationale et de l'intégrité territoriale, le bradage de l'indépendance nominale par la mise sous tutelle, le contrôle anticonstitutionnel de l'Assemblée nationale, la confiscation du pouvoir et des aspirations démocratiques et citoyennes, le chef de l'Exécutif maintient le pays dans une instabilité qui ne cesse de lui profiter.

Mais jusqu'à quand ?


1. - Jean Claude LENGA est doctorant en Droit. Il est chargé de cour à l'université des Antilles-Guyane.

2. : Conformément à l'article 71, les membres de la cour sont désignés comme suit :

En outre, les anciens présidents de la République en sont membres


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