LA DEMOCRATIE EN PANNE DANS LA DIASPORA CENTRAFRICAINE-FRANCE (1)

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Henri GROTHE, enseignant, Marne. Claude LENGA, enseignant, Guyane.(2)

Depuis les élections présidentielles de 1993, la République Centrafricaine a rénové avec la culture de vote et de choix démocratique caractéristiques du libéralisme politique moderne. Pour les élections présidentielles centrafricaines du 19 Septembre 1999, le rendez-vous manqué pose, cependant, le problème de solidité des institutions et de la culture démocratique dans le pays d'une part, de la compétence et de la lisibilité politique des centrafricains, notamment ceux de la Diaspora, à participer pleinement et efficacement à la régulation de la vie politique centrafricaine, d'autre part.

Si l'on considère les faits, tout porterait à croire que la Diaspora centrafricaine n'est pas encore prête de se constituer en lobby, c'est à dire en une force sociale ou politique et/ou en modèle démocratique, capable d'influencer la destinée nationale. Cette incapacité, souvent constatée, récuse d'autant la tendance communément admise, par l'opinion nationale centrafricaine, qui voudrait faire croire que les réponses et mieux encore les solutions aux questions centrafricaines, à défaut des métropoles occidentales, viendraient assurément de ses filles et fils formés à l'étranger.(3)

I - DE LA COORDINATION AUX COMITES

Par une note d'information datée du 22 Avril 1999 - mais rendue publique seulement deux mois plus tard, par affichage dans les locaux de l'Ambassade - Monsieur POLOKO(4), ambassadeur de Centrafrique en France, invitait les Centrafricains à s'inscrire sur les listes électorales auprès des services consulaires.

Très curieusement, aucune campagne médiatique ne vint appuyer "l'effort" administrative. La presse - journaux, Africa n°1, RFI - ne fût pas mis à contribution afin de sensibiliser la communauté centrafricaine. Les autorités diplomatiques et consulaires n'ont pas, non plus, effectué des missions en province pour informer les compatriotes éloignés de Paris. Par contre, elles activèrent le réseau MLPC(5) pour établir, au grand secret, une liste sélective des votants de France. Leur manœuvre "bouclé", un second texte, signé par l'Ambassadeur le 9 Juin 1999, fixa la date de clôture des inscriptions au 30 Juin 1999.

Ce dernier texte souleva la réprobation générale des centrafricains de France. Alertés, les partis politiques et associations centrafricaines de France décidèrent de faire barrage aux machinations des autorités centrafricaines. Leurs objectifs étant de faire respecter l'expression des Droits civiques des centrafricains, quelque soit le lieu de leur résidence.

Ainsi, suite aux démarches répétées du Collectif des Centrafricains en France - CCF- et de la section Île-de-France du Front Patriotique du Progrès - FPP-IDF - une première réunion fixée pour en débattre, le Dimanche 4 Juillet 1999 à 13 heures, avorta. Déjà un rendez-vous manqué avec l'Ambassade! Les représentants des partis politiques et des associations trouvèrent ce jour les portes closes. Ils constatèrent aussi l'absence de l'ambassadeur et de toute autre autorité consulaire. Pourtant, de commun accord avec le chef de mission, cette réunion devait envisager la prorogation de la date de clôture et établir le cadre institutionnel et juridique des préparations de la consultation électorale: supervision et contrôle des élections présidentielles centrafricaines de 1999 en France.

Malgré le mécontentement général, cette situation inattendue (!) fut mise à profit pour créer la Coordination pour les Élections Présidentielles 1999 - CPEP.99. Interlocutrice des autorités diplomatiques et consulaires, pour toutes négociations relatives aux Présidentielles, la Coordination souhaitait étudier, avec l'ambassadeur, les modalités de la création du Comité d'Ambassade de Paris, conformément aux textes en vigueur.

Une fois mise en place, son porte-parole reçu mandat de se rapprocher desdites autorités afin d'envisager une nouvelle rencontre qui permettrait de sortir de cette impasse. C'est dans ce cadre que, le lundi 05 juillet 1999, M. POLOKO a reçu M. Claude LENGA. Leur entrevue déboucha sur la fixation d'une réunion, le jeudi 07 juillet 1999. Celle-ci rendit possible la création du Comité d'Ambassade de Paris - CAP.

Contrairement aux nombreux espoirs suscités, le Comité n'a pu mener à terme ses travaux. Une crise ouverte par l'ambassadeur a contraint ses membres à la démission, à l'exception (bien sûr!) du MLPC-France qui pratiqua la politique de la chaise vide.

Stratégiquement, cette démission devrait amener le chef de mission diplomatique à descendre de son piédestal afin d'adopter une démarche civique et démocratique, en vue de la reprise des travaux d'un Comité d'Ambassade souverain et autonome.

Pourtant, succombant à des analyses tendancieuses, sans attendre une réponse définitive de M. POLOKO, le FPP Île de France - FPP-IDF -, suite à une "résolution" du bureau de section, crut bon reprendre langue avec le chef de mission. Ils pensaient ainsi le mieux contraindre, facilitant la débâcle symbolique du candidat Mlpc en France, au profit sans doute du candidat GOUMBA. Mais peine perdue! Ils se contentèrent d'accepter la proposition des autorités diplomatiques et consulaires , la mise en place d'un Comité Technique Provisoire - CTP. Au regard des Textes, ce Comité est un organe illégal et illégitime.

Dans la foulée, le FODEM, le MESAN, le MLPC, le RDC, le PSD, le PUN y participèrent. Du côté de l'ambassade, le maître de cérémonie, l'ambassadeur était secondé par le Premier Conseiller, M. Loth KITODJIM, et l'Attaché Militaire, M. DOKO.

De part son caractère illégal et l'absence de garanties juridiques et politiques, les associations et le Collectif des Centrafricains de France refusèrent d'occuper les strapontins qui leurs étaient réserver.

Simple structure technique et provisoire, le CTP est très vite devenu une coquille vide à la solde de l'ambassadeur, l'aidant malgré tout à accomplir ses objectifs politiques inavoués: établissement de listes fictives d'électeurs et empêchement de l'expression civique et démocratique des Centrafricains.

Le flou entourant le travail du CTP a conduit inéluctablement au résultat négatif qu'on a connu le 19 Septembre 1999, la non tenue des élections Présidentielles en France, pénalisant l'expression démocratique et les compatriotes venus massivement remplir leur devoir civique ce jour là.

Un clash cinglant !

 

II- Le droit au suffrage universel condamné d'avance

Ce qui vient de se passer en France dénote, pour le moins, une tendance suicidaire. L'entretien par les autorités centrafricaines de manœuvres d'obstruction systématique de toute manifestation démocratique. Qu'elle soit plurielle, collective, individuelle ou citoyenne, dans l'espace politique centrafricain, l'expression politique est simplement niée par le régime autocrate de Bangui.

La crise ouverte trouve son origine dans les conditions même de la création du CAP. Si les membres de la CPEP-99 ont su exploiter la stratégie unitaire, conçue pour imposer légalement la création de cet organe citoyen, il fallut compter avec la résistance néfaste du MLPC-France qui s'y opposa. Les déclarations intempestives de M. LIN BANOUKEPA, membre de la délégation MLPC et le refus du MLPC de parapher le communiqué final de la création du Comité d'Ambassade de Paris l'attestent aisément.

Il est à souligner que le comportement antidémocratique du MLPC résulte d'une entente partisane entre sa délégation et M. POLOKO - qui finira par avancer publiquement son appartenance au dit parti. Nul besoin de préciser qu'une séance de travail les a réunis, dans les bureaux du chef de mission, quelques instants avant la réunion fondatrice du CAP. C'est à cette occasion, sans doute, qu'ils mirent en place une stratégie de blocage systématique.

Invoquant la constante pression du Président de la CEMI Nationale, M. Michel ADAMA-TAMBOUX, le chef de mission prit, plus d'une fois, la liberté d'envoyer à la CEMI des listes sélectives.

Mis devant le fait accompli, le CAP réagit vivement en dénonçant de telles pratiques. Pour ses membres, non seulement ces listes sélectives étaient doublement illégales, au regard de la procédure et de la conformité au code électoral - et aux textes subséquents -, mais elles constituent une entrave au bon fonctionnement du CAP et un empiétement de sa souveraineté.

Le Comité d'Ambassade est aux électeurs Centrafricains de l'étranger ce qu'est une Cemi-locale pour leurs compatriotes de l'intérieur. Il joue donc le rôle et remplit les fonctions d'une Cemi-locale; maillon primordiale, plus que nécessaire, entre les électeurs et la CEMI-Nationale.

Pour régler ces questions, le CAP somma M. POLOKO de s'en expliquer, lors de sa prochaine réunion hebdomadaire. Ses membres souhaitaient qu'il s'engage solennellement à renoncer définitivement à l'envoi unilatéral et inégal de listes sélectives à la CEMI.

Hélas! Absent et non excusé, M. POLOKO délivra à l'attention de l'assemblée et par la personne interposée de M. DOKO, l'Attaché Militaire, un message inapproprié dans lequel il attesta de sa volonté de suspendre les activités du CAP. Pour lui untel organe était nul et non avenu. Il n'y voyait donc aucun intérêt! Arguant de l'absence de la CEMI-Nationale, le Comité ne pourrait fonctionner.

Tout en avançant dans sa stratégie, M. POLOKO imposa de fait une fin de non-recevoir à la manifestation souveraine, civique et citoyenne de l'organe appelé à organiser, superviser et contrôler les Présidentielles 1999 en France. Ce qui amena le CAP à passer à la phase ultime de la stratégie: la démission collective en vue de redéfinir ses rapports avec les autorités diplomatiques et consulaires de Centrafrique. Ce qui devrait nécessairement conduire au rétablissement de la souveraineté et de l'autonomie absolue du Comité d'Ambassade. Seulement, des actions conjuguées des autorités et de quelques membres de la coordination entravèrent lourdement ce projet de réhabilitation.

Pris de court par cette démission inattendue, l'ambassadeur de Centrafrique tenta effectivement de reprendre langue. Pour ce faire, la tactique bien connue de diviser pour régner, soutenue par une campagne de désinformation, fut mise en place.

M. POLOKO monta au créneau!

M. Yves DESSANDE, Président du Collectif des Centrafricains en France, fut approché. Il déclina l'invitation de l'ambassadeur en lui rappelant que pour la coordination, seul M. Claude LENGA, son porte-parole, est habilité à négocier avec les autorités compétentes pour la résurrection du Comité qu'il souhaita ardemment.

Au lieu de prendre contact avec le porte-parole de la Coordination, il sollicita l'appui du FPP par la personne de M. Auguste GOUANDJA. Autant il invoqua la notoriété du Président du CCF, auprès de la communauté centrafricaine, pour l'aider à s'en sortir, autant M. POLOKO sema les graines de la division en faisant miroiter une alliance positive entre les partis politiques centrafricains, en vue de sortir de la crise qui ne devrait pas faciliter sinon empêcher le "libre choix" du futur Président par les Centrafricains de France.

De cet habillage de la réalité, des Centrafricains, membres de la Coordination, développeraient des stratégies individuelles, toutefois convergentes, vers la réalisation de ce qui semble être dénoncé. Pour M. POLOKO, notamment des associations centrafricaines de France agiraient contre les intérêts des partis politiques qui doivent seuls concourir à l'expression de la vie politique nationale. Il conviendrait donc d'exclure leurs représentants de toutes opérations relatives aux élections présidentielles.

De telles velléités trouvèrent leur accomplissement. D'abord dans un soutien silencieux puis actif de certains représentants des candidats aux élections. Ensuite par la collaboration de la section FPP-IDF qui donna mission à M. Simon Pierre KOYT de reprendre langue avec M. POLOKO. Enfin par la mise en place d'un Comité technique Provisoire, contrairement aux textes légaux.

III- L'ASSURANCE DE L'ADHESION A LA REALITE

La tentative de prise en charge de revendications citoyennes des centrafricains en France par un groupe quel qu'il soit ne saurait aboutir sans la détermination et l'implication, sans commune mesure, d'une majorité des citoyens centrafricains suffisamment avertis.

Pour autant, cela ne doit pas interdire ces groupes, appelés à se multiplier, à assumer leur rôle et leur responsabilité dans la régulation de la vie démocratique et citoyenne tant au niveau national que celui de la Diaspora.

Les débats sans enjeu véritable qui ont émergé depuis les mutineries, alimentés par des situations de crise et un conflit de génération politique non avoué, sont réputés définitivement clos. L'incapacité des aînés face à l'Histoire nationale se relativise d'autant que, seuls des hommes aussi puissants et cruels, n'ont pas pu nous conduire aussi bas. Un système prédateur multiforme, clientéliste et patrimonial, instrumentalisé aussi bien par des réseaux nationaux qu'internationaux agirait contre l'intérêt tant du citoyen que de la nation toute entière.

Un discernement entre l'intérêt particulier et l'intérêt collectif des Centrafricains est à encourager, nécessitant, dans certains cas, une interaction objective.

Le renouvellement de la classe politique tant souhaitée ne trouverait pas son accomplissement dans une logique étriquée de rajeunissement du personnel politique. Tous les régimes politiques en Centrafrique ont perduré grâce aux jeunes élites civiles ou militaires qui ont profité des avantages liés à leur situation de dépendance administrative et politique.

Contrairement au rajeunissement biologique tant souhaité, il conviendrait désormais d'opposer efficacement, sinon d'imposer par la force, une autre manière de faire, fondée sur le triptyque idée-action-évaluation, sans cesse renouvelé. Des idées, produit d'une contradiction féconde, débouchant sur des actions concrètes soumises à une lecture critique afin de parfaire les actions futures.

Loin d'être des idées abstraites et étrangères de nos réalités quotidiennes, elles doivent partir d'une observation méthodique de la situation locale, nationale et sous-régionale. L'essence des actions communautaires et nationales s'enracinant intimement dans les contradictions socio-économiques et politiques à l'échelle des réalités centrafricaines - les questions centrafricaines y trouveraient efficacement leurs résolutions. Celles-ci étant appelée à se renouveler continuellement en fonction de l'évolution intégrale ou partielle de la société centrafricaine.

Il est fort probable que l'absence d'une telle lucidité méthodologique a conduit, inévitablement, le Comité à sa perte. Une mauvaise appréciation des acteurs, des forces en présence et des tensions conflictuelles, avouées ou non avouées, liée à des intérêts partisans, individuelles et collectives, mais aussi à l'immaturité politique des uns et des autres, a débouché fatalement à la non expression des Droits civiques des Centrafricains en France.

Le Comité Technique Provisoire, en voulant s'écarter de la stratégie unitaire de l'opposition initiée par la Coordination, s'est fragilisé lui-même et a fourni à M. POLOKO les moyens de lui porter un coup politique fatal; en lui attribuant l'origine du dysfonctionnement et l'incompétence notoire caractérisée qui ont conduit à la non tenue de la consultation électorale. Malheureusement les faits en disent long et la responsabilité ne peut être que partagée.

Cette situation très malheureuse et préjudiciable, pour la démocratie électorale, ne doit aucunement servir de précédent. Pour ce faire, il appartient à des citoyens avisés de faire barrage à des initiatives antinationales tel que le modèle vichyssois(6) que le Comité Technique Provisoire a servi aux centrafricains résidant en France.

 

La Varenne Saint Hilaire - Gonesse, 1-5 octobre 1999.

A la demande de M. Antoine Panguéré-Poucra, du Bureau de section FPP-Bouches du Rhône, cet article est destiné à être publié dans Ezingo, journal de la section FPP de Marseille. Il présente et analyse très brièvement l'activité du Comité d'Ambassade de Paris. Le rapport est encours de rédaction.

2 Membres fondateurs du Comité d'Ambassade de Paris, pour les Présidentielles centrafricaines de 1999, M. Claude LENGA et Henri GROTHE y ont occupé respectivement les fonctions de Porte-parole et de Rapporteur.

3 L'expression "möléngé ti mbi aké na France" le rend assez bien. Son acception large le précise d'autant; Parti se former à l'étranger, de préférence en France, la fille ou le fils saura matérialiser l'espoir d'une vie meilleure pour toute la famille et plus largement le village, voire la nation.

4 Abusivement gratifié du titre d'ambassadeur, M. POLOKO est arrivé à la diplomatie par la grâce du pouvoir en place. Prétendu parent du président Patassé, il a pu bénéficier d'une nomination sur persistance de son fils, M. Alfred POLOKO, conseiller du président et candidat malheureux aux Législatives de 98. D'abord nommé en poste à Yaoundé dès la première année du sextenat de Patassé, il succédera, à l'Ambassade centrafricaine en France, à M. Jean-Paul NGOUPANDE nommé Premier Ministre (suite aux mutineries de 96 ). M. POLOKO n'a jamais présenté ses Lettres de créance en France!

5 Deux listes sélectives d'électeurs furent contestées par le Comité d'Ambassade de Paris lors de ses réunions de travail. La première provenait de Lyon. Dénommée Liste de militants et de Centrafricains de Rhîone-Alpes, elle n'était qu'un montage du Mlpc-Rhône-Alpes. La seconde, de Bordeaux, était fourni par des Centrafricains membre de la Convention Nationale.

6 En aidant, bien malgré eux, les autorités centrafricaines à réaliser "aisément" leurs desseins, les partis politiques centrafricains et leurs satellites se rendent coupables de collaboration néfaste contre le Peuple centrafricain. Très souvent, aux motifs de préservation de la paix ou de l'unité nationale, ils font le lit de la dictature, voire du fascisme. La référence au modèle vichyssois nous permet de mieux rendre compte du niveau de complicité de ceux qui participent à la déchéance nationale et à l'infantilisation des Centrafricains.


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