SE BATTRE OU MOURIR
par Crépin M'BOLI-GOUMBA
(Washington, États-Unis)

 

La politique étant l'histoire entrain de se faire, nous devons admettre que cette histoire, une fois de plus, sera lamentable, tant l'est la pratique politique actuelle. Pis, sans une vigoureuse réaction de la part des Patriotes, la politique à venir, donc l'histoire préfigurée, ne sera pas bien meilleure non plus. Aujourd'hui, toute illusion dissipée, le bilan d'une quarantaine d'années de politique antinationale est éloquent.

La Centrafrique, notre pays, celui de Karinou, de Boganda, de tant d'autres Patriotes, hommes et femmes dont la mémoire collective ne retiendra jamais le patronyme, mais qui, dans l'anonymat de leur combat, ont mérité de la patrie, notre Centrafrique se meurt.

Au moment ou le destin hésite encore, mais ne laisse aucun doute quant à l'issue du combat mené par le vaillant peuple Centraficain, notamment une jeunesse héroïque organisée dans le F.L.A.C et KITE, que je tiens à saluer particulièrement, il importe d'écrire quelques lignes sur la vision politique des Patriotes. Ceci, afin d'éviter à l'histoire de bégayer, comme en 1979. En effet, nous avons tiré les leçons de la révolution manquée de 1979. Nombre de Patriotes avaient cru devoir laisser la direction du mouvement à des hommes déjà faillis, manipulés par quelques puissances. Infiltré, le mouvement était voué à l'échec, notamment faute de programme politique clair. Sans oublier que par une incroyable négligence, les questions fondamentales, qui servent de ciment à toute révolution furent soigneusement évitées. L'on se battait contre les effets, non contre les causes.

Ainsi, en demandant la démission de Bokassa, qui voulait-on comme successeur ?

Si tout le monde était d'accord pour le rétablissement de la République, quel type de République voulait-on ?

Afin de pas rééditer cette tragique méprise, il s'impose à tous ceux qui se sentent investis de la mission de se battre, de rédiger un document de référence. Karinou, déjà, avait montré le chemin, unique, qui, à travers les générations, libéré l'homme de l'oppression et de la misère. C'est celui de la lutte organisée, expliquée, préparée, disposant du redoutable support d'un idéal, qui l'érige au rang de révolution. Il rêvait de liberté, de prospérité pour ses frères, sur la terre de leurs ancêtres. Boganda, en digne héritier, poursuivit cette oeuvre, éblouissant de son intelligence politique toute l'Afrique, au point que Nkrumah, cet autre grand Africain, en hommage, proposa de faire de Bangui, la capitale de l'Etat Fédéral Africain à venir. Disposant de la somme de leurs expériences, sous leur ombre tutélaire, nous devons affirmer avec force, notre indéfectible volonté de poursuivre leurs oeuvres. Telle est la logique de l'histoire. Lorsqu'un pays a tout, et que son peuple n'a rien, il n y a qu'une seule alternative. Soit, ce peuple accepte son sort et prend le risque certain de disparaître. Soit, il décide de s'organiser afin d'arracher ce qui lui revient de droit.

Mao, en affirmant que la Chine était une page blanche sur laquelle il écrirait le plus beau des poèmes, ne prétendait nullement faire l'impasse sur l'histoire plusieurs fois millénaire de son pays. Il tenait simplement compte des réalités peu honorables qui faisaient passer la Chine pour un géant aux pieds d'argile. Aujourd'hui, demain davantage encore, simple coïncidence de l'histoire ou prescience d'un homme hors du commun, la Chine est la seule vraie puissance susceptible de faire jeu égal avec la très puissante Amérique.

Qui pouvait prendre au sérieux les prédictions de cet homme, du côté d'un Occident plein d'orgueil, de condescendance, parfois même de racisme, convaincu que la Chine était à tout jamais engluée dans ses féodalités.

Qui davantage a pris au sérieux les discours incendiaires du jeune juriste Fidel Castro, si congénitalement suspect du fait de ses origines sociales, pestant contre la transformation de son pays en casino géant, pour le bon plaisir des Américains et la bienveillance d'un dictateur corrompu.

Qui pouvait prendre au sérieux les réquisitoires contre la corruption du jeune Capitaine Sankara, dans une Afrique où pourtant la corruption est la règle dans la classe dirigeante ?

Les grandes avalanches de l'histoire ont souvent commencé par des paroles souvent prononcées dans l`incrédulité.

Qu'elles soient religieuses ou politiques, les grandes révolutions sont nées et ont prospéré grâce à la détermination, la foi de ceux qui en ont reçu la révélation comme une mission sacrée. Elles naissent toujours dans des périodes de crises, identitaire, morale, économique, etc. Le moment est donc propice à l'avènement d'une grande révolution en Centrafrique.

Alors que les rues de notre pays sont encombrées de désespérance, c'est le moment que choisissent les Patriotes pour dire au peuple Centrafricain qu'il existe l'avenue de l'espérance qui passe par les chemins de la lutte, sans concession, contre tous nos oppresseurs.

Alors que tout va si mal, c'est le moment que nous devons choisir pour parler à ce peuple de solidarité, d'unité.

Alors que la paresse s'empare des esprits, installant une certaine défiance vis-à-vis des grandes oeuvres, nous devons dire à ce peuple que nous ne saurons faire l'économie de la sueur et du courage pour bâtir un pays respecté.

Nous pouvons le faire.

Nous devons le faire.

Nous devons être, dans ce long tunnel sombre du non-être, la lueur d'espoir susceptible d'embraser toutes les énergies insoupçonnées, les muant en feu de l'action, au service de la révolution. Au milieu de ces décombres doit surgir quelque chose d'inédit en Centrafrique, une autre vision incarnée par des hommes prêts à faire le sacrifice suprême pour le triomphe de cette cause.

Loin d'être une invite à la martyrisation, il s'agit plutôt d'un conditionnement mettant les objectifs à atteindre au-dessus de tout. Au demeurant, le patriotisme, sans lequel aucune révolution n'est possible, ne va pas sans idée de sacrifice. Cette notion tient compte de certaines idées bien simples. Lorsque, dans un espace donné, des hommes sont porteurs d'idées qu'ils savent justes mais novatrices, ils doivent s'attendre et se préparer psychologiquement à une résistance de la part des tenants de l'état existant. C'est tout naturel.

L'opposition prendra plusieurs formes, pour des raisons diverses, dans le but de faire échouer la révolution. Il y a en premier lieu ceux qui sont les bénéficiaires directs et visibles du régime corrompu existant. Leur situation sociale est étroitement liée à l'existence du régime. La virulence avec laquelle ils s'en prendront aux Patriotes est à la hauteur de leur peur panique à l'idée de quitter la mangeoire. L'avantage, dans ce cas d'espèce, c'est qu'il s'agit d'un combat à visage découvert. Aucun compromis n'est envisageable avec ceux-ci, ni aucun renoncement, qui ne tendraient qu'à une illisibilité de la part du peuple, ainsi qu'à une dénaturation de notre combat qui puise aux sources d'un nationalisme intransigeant.

En deuxième lieu, il y a ceux, de nationalité étrangère, qui croient disposer d'un droit de regard éternel sur nos ressources naturelles qui ne manqueront pas de s'épouvanter de tant d'ambition pour notre pays. Ceux-là réagiront comme ils l'ont fait avec les Grands Patriotes que furent Karinou et Boganda, c'est à dire, après le constat de notre incorruptibilité, la liquidation physique. La méthode a déjà été éprouvée en Centrafrique, et ailleurs sur le continent. Ces liquidations physiques sont suivies d'un adoubement d'hommes servant tout sauf les intérêts de leurs peuples. C'est la sainte alliance des oppresseurs. La seule façon de triompher de cette hostilité est de disposer de moyens appropriés afin de faire face à toutes ces tentatives de liquidations. Cette deuxième catégorie est à combattre avec la même énergie que la première, chaque fois que son ombre hideuse sera reconnue.

Il y a, pour finir, la masse des sceptiques, qui doutent de tout, par habitude ou des déceptions répétées ou par peur du contenu du message révolutionnaire, peur inculquée par le biais d'un travail de conditionnement psychologique. Comme si le mot Révolution ne pouvait renvoyer qu'à l'instauration d'un régime totalitaire !

Comme s'il n y avait eu de Révolution que celle d'Octobre 1917 !

Comme s'il n'y avait pas eu la Révolution française !

Comme s'il n'y avait pas eu la Révolution américaine !

Cette dernière catégorie est au coeur de notre combat pour la persuasion, car la mise en branle de la révolution dépend de son adhésion. Mais une fois l'osmose faite, les choses sérieuses commenceront. La communication est donc capitale, afin d'éviter de tragiques malentendus. En effet, il ne suffit pas d'avoir des idées justes pour que celles-ci s'imposent d'elles-mêmes. De même, il faut éviter de prendre les discours sur les choses pour les choses elles-mêmes, en se berçant d'illusion que, en embouchant la trompette, les murs tomberont la septième fois.

La révolution à venir transcendera le cadre traditionnel des Partis politiques. La transition doit avoir donc comme priorité les moyens de convergence vers la révolution, sans laquelle il ne s'agira que de remplacement, non d'un changement de système.

Par principe, les Patriotes considèrent tout ce qui contribue au renforcement du régime Patassé comme une faute politique, et une faute tout court. Fort de ce principe, l'"entrisme" est donc la plus détestable des combines politiques pour tout bon Patriote, qui ne peut manquer de poser le juste diagnostic que c'est le système qui est en cause.

Cela ne mène nulle part et n'est en réalité qu'une argutie trouvée par certaines de nos élites pour intégrer la mangeoire. Ainsi, le Premier Ministre Dologuélé a commis une faute politique, et une faute tout court. Je le soupçonne même d'avoir voulu profiter de sa position pour se créer une clientèle politique, dans le but évident de se positionner pour le futur. Même s'il convient d'ajouter l'indécence qu'il y a à s'offrir villas et appartements, alors que les salaires, bourses et indemnités ne sont pas payés, bref, alors que le Centrafricain est chaque jour plus pauvre.

Les Révolutionnaires, pour une fois, vont devoir changer le cours de notre histoire.

Pour qu'enfin être centrafricain veuille dire quelque chose dans le monde !


CONTRIBUTION : TRANSITION OU ALTERNANCE EN REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE - CONTEXTUALISATION POUR UN SCHEMA THEORIQUE DE "L'APRES-PATASSE"