REFLEXION : AMNISTIE ET RECONCILIATION NATIONALE


1 - Amnistie et Impunités : Narcisse Komas, Animateur Kodro, New-York, Etats-Unis  2 - A Propos de l’Ordonnance 03.003 Portant Amnistie Relative aux Evènements du 28 mai 2001 par : Roger Langue , France

1 - AMNISTIE ET IMPUNITES 

La question de l’amnistie vient de refaire surface et accessoirement l’impunité dont jouissent de nombreux compatriotes et certains agents de l’Etat ayant servi les différents régimes depuis l’indépendance jusqu’aujourd’hui. Il serait intéressant que les Kodronautes ainsi que les compatriotes au pays et la diaspora centrafricaine puissent engager un débat réel de fond et franc sur AMNISTIE ET IMPUNITES, deux aspects importants de pratique sociale qui déterminent et relèvent de manière générale du comportement individuel du centrafricain aussi bien civiquement que politiquement. Cette question est d’actualité et mérite amplement le point de vu de chaque citoyen pour la construction d’une DEMOCRATIE PARTICIPATIVE ET DELIBERATIVE ou le CITOYEN EST L’ELEMENT CENTRAL DE LA REFORME DE SA SOCIETE. Elle est importante et interpelle chaque citoyen centrafricain quant à sa conception de la justice et de l’Etat républicain. Il y a donc lieu de réfléchir et d’engager un débat sans passion sur le rôle et le devenir de la justice dans notre pays. Lorsque l’on considère les nombreux crimes (de sang et économiques) commis sous les différents régimes, il s’agit pour nous d’apporter notre contribution par un débat citoyen pouvant déboucher sur des propositions claires et pratiques définissant une stratégie d’ensemble cohérente pour résoudre les questions de justice à deux vitesses et de complaisance, de procès politiques, ethniques et tribaux.

Notre position de principe ainsi que notre intime conviction vont à l’encontre de tous types d’amnistie. L’amnistie ne rend pas service à un Etat de droit surtout dans le cas de notre pays où l’impunité a été érigée en méthode de gouvernement, d’enrichissement illicite et de règlement de compte. Elle ne permet pas non plus au citoyen d’évaluer à sa juste valeur le degré de sa responsabilité dans une opération illégale, incivique, illégitime et criminelle.

Fallait-il ‘amnistier toutes les infractions commises en relation avec les événements d'ordre politique du 28 mai 2001’ ? Question casse-tête pendant la période post crise où il est prioritaire de restaurer la confiance entre les Centrafricains des diverses composantes ethniques. La dynamique actuelle est de chercher les meilleurs moyens de réconciliation nationale pour une synergie positive permettant la relance de toutes les activités (politique, économique, sociale et culturelle) sur le plan national. La possibilité donner aux tiers de poursuivre les auteurs des crimes sera-t-elle effectivement exploitée ? C’est donc au citoyen de prendre ses responsabilités (en poursuivant en justice les auteurs de crime de leurs proches) prenant ainsi au mot l’engagement des nouvelles autorités pour une justice indépendante et responsable. Nous voici à l’orée d’une nouvelle ère que nous voulons juste, équitable, citoyenne et transparente. C’est dans cet ordre d’idée que la Renaissance Centrafricaine ne devrait pas souffrir des mêmes tares que nous avions vécu depuis plus d’une quarantaine d’année où l’impunité a prédominé faute de vigilance citoyenne. La Justice et le Droit doivent primer sur l’arbitraire et la Vengeance dans la nouvelle centrafrique. Il revient à chaque citoyen de se poser des questions par rapport :

A la fin de l’IMPUNITE ;
A l’EQUITE ;
A la garantie du respect des droits de l’homme ;
A la dignité et droits du citoyen souvent bafouée par les autorités politiques et judiciaires ;
A l’INDEPENDANCE de la justice ainsi que la Justice pour tous dans un Etat de Droit ;
Aux tripatouillages et autres manœuvres politico-politiciennes ;
Aux décisions et lois arbitraires.

Face à ces genres de dérives qui peuvent à tout moment resurgir, il est clair que la justice indépendante et républicaine doit être instaurée et renforcée. Ceci ne peut se faire que par une volonté affichée et synergique des deux (2) chefs actuels de l’exécutif. Ils doivent garantir l’indépendance de la justice et la redéfinir en initiant un séminaire de réflexion nationale sur cette Justice. Il apparaît donc nécessaire de remettre la justice au sein des grandes questions nationales de sécurité, de criminalité et d’incivisme pendant la période de transition. Il faut d’une part, préalablement faire l’inventaire des moyens matériels, sociaux, formels et financiers permettant une justice efficace et effective dont disposent notre pays et d’autre part recenser celles qui font défaut telle que  :

La garantie de l’Indépendance de la Justice 
La définition du rôle des prisons dans un Etat de droit ;
La Réhabilitation de la prison centrale de Bangui;
La Construction de nouveaux établissements pénitenciers à Bangui et également dans les grandes villes des Préfectures ;
L’Exploration  si possible de la voie d’établissements pénitenciers privés répondant aux conditions strictes de cahier de charges bien défini ;
Les Maisons de redressement pour Jeunes Délinquants ;
La Formation des gardiens de Prisons en leur inculquant le respect des droits des prisonniers et surtout le respect des droits de l’homme ;
L’Instauration de la formation civique du citoyen à travers les médias en mettant l’accent sur le Respect des LOIS en VIGUEUR ;
La Respect de la chose publique ;
Etc.

La reconstruction du pays nécessite une autre vision de la chose publique dans son ensemble. Il n’appartient pas seulement à une élite d’imposer ses désirata à notre société. L’intéressement de la population nationale dans son ensemble à la chose publique et à l’intérêt supérieur de la nation nous permettra de gagner un pari qui est celui de pouvoir évoluer vers la paix, la concorde nationale et la réconciliation nationale, atouts majeurs dans la relance économique de notre pays. La transition aura, dans ce cas, permis à de nombreux centrafricains, qui frileusement s’étaient repliés au sein de leur composante ethnique compte tenue de la tournure des évènements de ces dernières années, de participer effectivement et de manière dynamique à l’érection du Centrafrique nouveau .

L’amnistie en tant que telle apparaît comme un encouragement à l’irresponsabilité lorsqu’elle est perçue comme rhédibitoire. C’est l’engrenage qui mène à l’impunité, aux actes criminels ainsi qu’a l’incivisme. Ces derniers constituant évidemment les pires cauchemards de tous les centrafricains intègres et épris de paix et de justice pour la construction d’un Etat de Droit.

L’occasion est belle de réitérer la demande de rendre publique les résultats de la COMMISSION D’AUDIT sur les douze (12) années de Kolingba et de lancer un AUDIT sur la période Patassé de 1993-2003.

Narcisse Komas, Animateur Kodro, NY, Etats-Unis


2 - A PROPOS DE L'ORDONNANCE 03.003 PORTANT AMNISTIE RELATIVE
AUX EVENEMENTS DU 28 MAI 2001

Les débats passionnés que suscite l'ordonnance du 23 avril 2003, nous interpellent quant à la portée et au sens qu'il convient d'attribuer à cette mesure tant sur le plan éthique, économique, social que politique, dans cette période postconflictuelle, et de reconstruction nationale. A l'évidence, il serait réducteur d'appréhender cette ordonnance dans la seule optique légale, ou judiciaire en faisant fi du contexte qui la génère, quand bien même en nous limitant à l'approche évoquée précédemment, le seul fondement dogmatique ne serait pas exhaustif pour la compréhension du concept dans sa globalité.

Face aux tenants de la thèse maximaliste qui souhaitent le rétablissement total dans leurs droits et leurs fonctions des auteurs de la tentatives du coup d'Etat du 28 mai 2001, les dogmatistes qui exigent du pouvoir exécutif la stricte application de la loi en s'en tenant plus à la lettre qu'à l'esprit, les passionnés de part et d'autre qui crient vengeance, la sagesse impose manifestement à l'exécutif la recherche d'un consensus, d'un compromis, un "modus vivendi" dans l'intérêt de la paix sociale pour la sauvegarde d'une cohésion nationale encore fragile mais enfin retrouvée, en témoigne le retour massif des réfugiés qui constitue autant de gages de confiance aux nouvelles autorités de notre pays.

Du point de vue juridique, l'amnistie comme tout problème juridique soulève la question de l'application de la loi dans le temps, du pouvoir politique dans l'Etat, ainsi que de la place du citoyen dans l'Etat.

I - LES PRINCIPES GENERAUX DE LA LOI APPLICABLE
Pour la cohérence de notre développement, nous faisons notre le postulat selon lequel le droit positif centrafricain est d'essence romano germanique tel que issu du droit français qui en est la matrice. Toute réflexion sur la nature, les fondements, le but et la signification du droit pose des problèmes qui ne peuvent être résolus par la voie et les moyens purement juridiques car ils procèdent plus globalement de la pensée rationnelle. En réalité, toute relation sociale est porteuse de droit, bien qu'en général on n'en prenne conscience que négativement ou du moins partiellement à propos des conséquences qu'entraîne la violation d'une des règles. Dans le cas d'espèce, aussi louable que puissent être les intentions à savoir libérer le pays du joug d'une dictature sans âme, un coup d'Etat a été perpétré dans la nuit du 28 au 29 mai 2001, la légalité constitutionnelle est objectivement violée, mais aussi justifiable que pourrait être la sanction, elle perd tout fondement légal en dégénérant en chasse à l'homme aux aspects génocidaires. Le souci du pouvoir actuel est alors d'apaiser les tensions nées entre les populations à partir de ces événements. La réflexion philosophique et sociologique sur cette triste expérience nous permet déjà de déterminer un certain nombre de caractères du droit. Il joue tout d'abord un rôle régulateur dans la société en vue d'harmoniser autant que possible les relations entre individus entre eux, des individus et des groupes et plus généralement de la collectivité comme telle. Non point qu'il empêcherait les conflits, mais il est surtout l'instrument social destiné à leur trouver une solution. Ainsi compris, le droit a une double fonction: l'une que l'on pourrait appeler directe, qui consiste dans la régulation positive, normale, et pour ainsi dire naturelle de la société, l'autre, qu'on pourrait appeler indirecte, en ce sens qu'elle essaie de redresser les irrégularités, les anormalités et les écarts. Son rôle consiste dans ce cas à dépassionner les antagonismes, à réduire l'affaire à ses données objectives, et à trouver la solution la plus équitable.

En second lieu, le droit a un caractère dogmatique. La règle ou la loi est posée, même imposée, et vaut telle qu'elle est posée, péremptoirement, aussi longtemps qu'une modification n'est intervenue. On peut éventuellement la tourner ou la violer, mais au risque de subir une sanction. Il n'importe donc pas qu'elle soit logiquement correcte, scientifiquement exacte ou empiriquement adéquate: elle prescrit une ligne de conduite et autorise l'exercice de la contrainte en cas de défaillance ou de transgression de la part des individus. Il ne faut cependant pas attacher un sens péjoratif à cette notion de dogmatique et y voir les vestige d'une période rétrograde ou anticritique. Le rôle du droit en introduisant des règles valables pour tout le monde est de nous délivrer de l'incohérence oppressive des arbitraires individuels.

En troisième lieu, le droit fonde un ordre conventionnel ou volontaire, établi par accord tacite ou explicite, et de ce fait artificiel et modifiable au gré de la volonté humaine. Aussi, la loi au sens juridique n'est ni universelle, ni immuable. Elle est limitée dans l'espace et le temps par les frontière territoriales de l'autorité politique qui détient le pouvoir de contrainte. Enfin, le droit a une signification pratique. Il n'est pas un concept abstrait applicable à une situation théorique, mais il est destiné à déterminer normativement un ordre réel. Il possède donc une finalité d'ordre matériel et institutionnel. N'étant donc valable que pour un ordre réel, le droit est un instrument de la stabilité sociale, et comme tel, il consacre souvent un état de fait en le légitimant. Tout droit suppose un but, et ce but consiste dans un bien juridique à réaliser ou un mal juridique à éviter. C'est dans le cadre général du postulat ainsi posé que nous situons l'ordonnance 03.003 du 23 avril 2003 portant amnistie relative aux événements du 28 mai 2001. L'amnistie est donc ici pour le pouvoir politique un moyen d'apaisement, de rétablissement de la paix, et de cohésion sociale.

II - L'AMNISTIE MOYEN DE RETABLISSEMENT DE LA PAIX CIVILE ET DE LA
COHESION SOCIALE
:
L'amnistie est étudiée dans le cadre du droit pénal général et se définit comme: une mesure législative exceptionnelle qui dépouille rétroactivement de leur caractère délictueux certains faits. Ceux-ci ne peuvent plus être considérés comme tels et sont censés n'avoir jamais été incriminés par le législateur. Aux termes de cette définition l'amnistie est une mesure exceptionnelle, elle ne concerne donc pas toutes les infractions, ni toutes les infractions d'une même catégorie, c'est une clémence à caractère spécifique et exceptionnel. Dans son essence originel, l'amnistie intervenait surtout pour apaiser les divisions politiques. C'est dans ce contexte que s'inscrit l'ordonnance du 23 avril 2003.

L'amnistie efface une condamnation pénale et non pas civile. On a pu reprocher à l'ordonnance précitée d'effacer la condamnation pénale tout en maintenant les sanctions civiles, ou les procédures civiles pendantes devant les juridictions compétentes. Pour comprendre le sens de l'article 2 de l'ordonnance incriminée, il nous paraît utile de le rapprocher de l'article 133-10 du nouveau code pénal français (loi du 93-913 du 19 juillet 1993). L'article 2 de l'ordonnance du 23 avril 2003 cite: l'amnistie ne préjudicie pas aux droits des tiers. De même ne peut être opposée aux administrations de l'Etat agissant comme partie civile … L'article 133-10 du nouveau code civil français cite: l'amnistie ne préjudicie pas aux tiers. Si le principe en matière de procédure est que " le pénal tient le civil en l'état", en aucun cas il n'est dit que la disparition de la sanction pénale annule la procédure civile. C'est ce que rappelle très explicitement l'article 133-10 de la loi 93-913 du 19/07/1993, repris par l'ordonnance du 23/04/2003. La procédure civile est donc maintenue de même que toutes autres voies d'action, notamment administrative ou sociale.

Une partie de la doctrine reproche même à l'amnistie d'être nocive et injuste. Certaines lois d'amnistie subordonnent leur application à un comportement donné du délinquant pour bénéficier de la rémission. En principe l'amnistie est du domaine du pouvoir législatif, mais dans le cas d'espèce, compte tenu de la situation d'exception que connaît le pays la tradition libérale peut admettre que le pouvoir exécutif légifère par ordonnance. Cette hypothèse se rencontre également dans le cas de la grâce amnistiante.

III - L'AMNISTIE ET SES CONSEQUENCES SOCIALES
Le droit comme nous l'avons vu , n'est pas un concept abstrait, ce n'est pas qu'une vue de l'esprit, mais il s'applique à des cas concrets. En tant qu'œuvre humaine il a ses imperfections et doit constamment évoluer pour s'adapter aux exigences du temps présent . Dans le cas d'espèce, il subsistera certainement quelques amertumes. De part et d'autres il y aura des frustrations à inhiber. Tout dépendra de la capacité des centrafricains à dépasser les rancœurs d'un passé récent. Gageons que le temps fera son œuvre, et que peu à peu la vie reprendra le dessus. Ni la loi du talion, ni le jugement de Salomon, ni celui de Ponce Pilate n'apporterons la paix sociale, et en aucune manière ne nous ramèneront ces êtres chers ainsi que ces biens à jamais disparus. Il est toujours loisible aux victimes de saisir les juridictions internationales. Dans le cadre du Tribunal Pénal International pour le Rwanda par exemple, nous entendons en coulisse certains juristes dire qu'il faudra plus d'un siècle pour que la procédure aboutisse cela ne ressemble t'il pas à une mission désespérée? Alors que le Tribunal Pénal International pour le Rwanda est financé par les Nations Unis, la République Centrafricaine dans l'état exsangue où elle se trouve peut-elle organiser un procès de cette ampleur pour génocide ? La solution ne serait-elle pas à rechercher comme en Afrique du Sud à travers une sorte de commission "vérité réconciliation"? il nous appartient à tous de réfléchir en adultes pour une solution responsable.

Roger Langue, France.


Regards et points de vue des partis politiques et mouvements centrafricains
Actualité Centrafrique de sangonet  - Dossier 16