Où devrait commencer le developpement?

Tous ceux qui avaient voulu se donner la charge de gouverner la Centrafrique avaient manqué l’imagination nécessaire pour motiver le peuple, obtenir sa confiance et le remettre sérieusement et délibérement au travail. Nul est besoin de rappeler ici que l’imagination et la production de travail sont deux des éléments essentiels au développement d’un pays. Et dans le cas de la Centrafrique, les bras forts n’avaient jamais fait défaut pour attaquer cet adversaire redoutable qui est le sous-développement. Ce qui avait manqué et qui manque toujours, c’est une imagination féconde de la classe politique pour penser les meilleures stratégies et donner le change à ce sempiternel ennemi. Et si réellement d’imagination il y avait, celle-ci avait toujours donné lieu à des petites ou grosses combines qui avaient spolié les intérêts du peuple.

Nous observerons aussi que ce qui avait surtout fait et qui fait toujours défaut au processsus harmonieux du développement de la Centrafrique, avait été et, est l’absence d’une vision d’émancipation fondamentale de la société, qui ait été à la fois pratique, saine et cependant ambitieuse, et, qui définisse clairement les objectifs nationaux à atteindre, ou plus simplement qui précise les bénéfices pour tous les citoyens. Malheureusement, l’on avait observé l’incohérence et l’inadéquation des stratégies des gouvernements successifs, qui n’avaient abouti dans la pratique, qu’à la recherche du maintien en place des pouvoirs d’un individu ou d’un groupe dont les agissements et les décisions étaient devenus impopulaires. Les gouvernements successifs à Bangui avaient chaque fois refusé la matérialisation du rêve de bien-être social et économique à laquelle aspirait toute la nation centrafricaine.

Mis à part la notoriété des ressources financières, c’est donc bien de cette combinaison – imagination et mobilisation d’énergie – que tous les citoyens civils, religieux ou laïques et militaires devraient débattre en des termes pratiques, et, qui devraient aboutir à des initiatives économiques, bénéfiques et durables. Et cette combinaison ne devrait pas attendre l’accord d’un individu pour autoriser la tenue des assises d’un dialogue qui soit national. Le dialogue devrait être permanent et offrir autre chose que des recommendations à un gouvernement qui n’en peut, mais. Ceux qui sont avisés savent que le gouvernement en place aurait, le moment venu, cet argument qui ferait croire que l’absence de revenue ou de financement aurait été l’obstacle majeur à la réalisation de toutes les recommandations du dialogue national et donc au développement de la Centrafrique. Mais parlant d’argent, quel est donc le montant total de l’aide que les gouvernements successifs avaient reçu pour le développement de ce pays? Qu’en ont-fait les gouvernements à Bangui? Où est donc passé le développement?

Et si ce débat profond, qu’ensemble l’on recherche, ne profite pas à ceux qui veulent le pouvoir et les postes ministériels à Bangui, peut-être que le peuple et les partis politiques devraient revoir respectivement leurs aspirations et leurs stratégies, et, accepter le moment venu l’option qui serait de donner à chaque région géographique ou à chaque préfecture du pays son indépendance administrative et son autonomie, afin que ces habitants mènent, de leurs propres chefs, leurs propres initiatives économiques et actions de développement, à l’écart des tâtonnements et des incompétences politiques, chroniques, en cours à Bangui. C’est peut-être seulement à ce prix que le développement réel des régions se fera et qui pourrait profiter à la nation toute entière. Face à l’immobilisme des politiques et à la confusion des militaires, le peuple devrait peut-être regarder vers de nouveaux horizons pour se sortir de l’emprise de ces chefs de guerre centrafricains et autres aspirants au pouvoir.

Toutefois, nous voudrions bien nuancer nos propos par ce qui suit. D’imagination il y en avait eu certes. Mais aucune des initiatives, prise par certains gouvernements, n’avait produit l’élan nécessaire et suffisant pour entraîner une relance de l’ensemble de l’économie centrafricaine.

L’obervation du secteur minier, par exemple, indique que celui-ci est très dynamique et actif. Cependant, aucun gouvernement à Bangui n’avait réellement pris à coeur la mission de protéger les intérêts de tous ces "artisans" miniers qui s’épuisent à longueur d’année dans les "chantiers", souvent au péril de leurs vies. Aucun gouvernement ne s’était réellement soucié de les protéger des intermédiaires malhonnêtes, faux monnayeurs et autres qui avaient essaimé et essaiment encore les régions minières de la Haute Kotto, de la défunte Haute Sangha, de la Nana Mambéré et de la Lobaye, pour ne citer que ces régions. Vous constaterez que cette mane minière n’avait jamais profité à la population indigène de ces régions. Par contre, ceux qui y avaient trouvé leurs comptes étaient ceux qui avaient profité de l’ignorance et de la naïveté de cette population laborieuse. Ceux qui avaient profité de cette mane avaient été les autorités administratives, judiciaires ou militaires, envoyées par Bangui et, qui avaient su avec ingéniosité, user des moyens légaux de coercision, d’intimidation et des outils de répression de l’état pour extorquer et détourner à leurs profits les ressources qui auraient dû profiter aux populations locales ou aller dans les caisses de l’état. Ceci dit, la seule initiative gouvernementale qui avait eu du mérite à Bangui, avait été la mise en place d’une bourse nationale du diamant pour permettre une meilleure comptabilisation des ressources que ce secteur produirait à l’état.

Dans le secteur agricole, en dépit des réformes agraires qui avaient apporté des résultats désastreux à l’agriculture, Bokassa avait peut-etre été le seul de tous les chefs d’état centrafricains, qui avait réussi à remettre, bon gré mal gré, la majorité de la masse rurale et des populations urbaines sur la voie de la véritable production agricole et de l’auto-suffisance alimentaire. Toutefois, les initiatives caféières, la tentative de la relance de la culture du coton, par exemple, n’avaient pas donné les résultats escomptés, à cause de la forte compétition sur le marché mondial, face à laquelle les économistes, agronomes, agents d’encadrement, paysans et agriculteurs centrafricains n’étaient préparés en aucune manière. Faisons aussi reamrquer que la qualité de ces produits centrafricains à l’exportation n’égalait ni celle du café en provenance d’Amérique Latine, ni celle du coton égyptien. L’autre théorie que l’on évoquait était que les prix aux paysans étaient manipulés par divers "investisseurs nationaux" aux intérêts occultes. Dans le secteur de l’élevage, la Centrafrique avait, à la suite de la grande sècheresse de 1983, accueilli les éleveurs transhumants venus du Nord et qui recherchaient de la pâture pour leurs bétails; ceux-ci avaient alors migré à travers tout le territoire centrafricain, jusqu’à sa limite sud où la végétation était luxuruante. Des facilités avaient alors été mises à la disposition de ces éleveurs pour essayer de les sédentariser, offrir de meilleurs soins vétérinaires aux bêtes, et, pour augmenter l’importance de la valeur du cheptel national.

Ceux sont là quelques rares exemples, tirés par les cheveux, de ce que l’on pourrait qualifier de bonne politique. Certaines initiatives bien réfléchies avaient donc été essayées. Cependant, pas en assez grand nombre pour apporter un bénéfice durable. Comme nous l’avions dit plus haut, la masse critique nécessaire pour entraîner et conserver le mouvement n’avait pas concerné tous les autres secteurs, afin d’engager un niveau de production nationale qui soit compétitif, soutenu et économiquement viable. La machine de bonnes intitiatives s’était très vite essoufflée. L’engrenage s’était mise très rapidement à pâtiner. Et aujourd’hui, l’on va chercher très loin les raisons de la crise centrafricaine, par exemple, dans l’irrégularité du paiement des salaires et autres petits maux de la société centrafricaine.

Faites donc le tour des chantiers miniers, vous constaterez l’ingéniosité de ces hommes et femmes, jeunes et adultes, à retourner par la force des bras de grands volumes métriques de terre et à détourner des cours d’eau à fort courant. Lorsque l’Université de Bangui, la Cité de l’OCAM, les 36 villas, l’hôtel de 500 chambres, certaines avenues de la capitale et les routes nationales avaient été en chantier, il y avait eu des bras et des mains pour les réaliser. Ce n’est donc pas que le peuple centrafricain soit fainéant ou feignant. Le problème du pays est l’absence de grands chantiers et l’incapacité des dirigeants politiques et administratifs à penser plus grand que leur petits quotidiens de petites magouilles pour préserver leurs intérêts et maintenir le statu-quo. Il ne s’agit point ici des travaux de construction de petites villas par des hommes et femmes proches du pouvoir. Ce genre d’initiative ne saurait, à lui seul, nourrir les nombreuses familles dont les maris et les épouses ne demandent qu’à travailler. Ceux ne sont pas non plus les petits projets de développement, financés une fois sur deux, tous les 5 ou 10 ans, par les institutions multinationales ou à travers une coopération bilatérale quelconque, qui apporteraient le changement espéré et la prospérité au pays. Nous sommes-nous jamais posés la question de savoir ce que sont devenus la COTONAF, l’UCCA, la SOCADA, l’ORD, l’ONCPA, l’ADECAF, le PDRB, la FNEC, la CAISTAB, la FCAT, la SCAT, l’ONAF et autres sociétés ou projets d’état qui avaient vu le jour voilà 10 ou 20 ans? Que reste-t-il aujourd’hui de ces institutions dites de développement? Quelles en sont aujourd’hui les retombées économiques? Enfin, quel est le montant total de la dette que toutes ces initiatives avaient occasionnée au pays et que l’état cherche toujours à éponger? Tout ce mécanisme ressemblerait fort bien à une forme d’usure dont le pays ne pourrait se débarasser sans une détermination radicale. Si ce n’était pas l’usure, pourquoi donc en dépit de tous ces financements le pays est toujours dans ce bourbier? A qui profite donc cette usure? L’irrégularité du paiement des salaires des fonctionnaires, les détournements, les faux et usages de faux, les mutineries et les tentatives de coup d’état devraient-ils suffire, à eux seuls, à expliquer le marasme économique que connait le pays? L’on pourrait même faire mieux et ajouter à cette liste d’incuries, la non réalisation des intérêts importants du pays par la classe politique, l’absence de la représentation réelle du peuple dans la prise des grandes décisions nationales, le despotisme des chefs des partis politiques, etc.

En 1870, le français Léon Gambetta donnait la définition suivante de la souveraineté nationale: "la souveraineté nationale n’existe, n’est reconnue (et) n’est pratiquée […] que là ou le Parlement, nommé par la participation de tous les citoyens, possède la direction et le dernier mot dans le traitement des affaires politiques" et d’ajouter; "s’il existe un pouvoir quelconque qui puisse tenir le Parlement en échec, la souveraineté nationale est violée." Cette citation quoique centenaire devrait donner matière à réflexion à Bozizé, au Premier Ministre, aux membres du CNT, et aux autres hommes politiques qui pensent que la Centrafrique est simplement leur territoire de chasse. Si non, tous devraient se demander pourquoi la Centrafrique est arrivée au point où des forces étrangères font la loi sur le territoire centrafricain. Enfin, le peuple ne vera jamais le bout du tunnel, si le problème national et les solutions à débattre devrait se résumer à la révision des grilles salariales du secteur publique, à la présentation ou non de Bozizé aux prochaines élections présidentielles, aux arriérés de salaires, aux détournements et autres. Mais ne voyez-vous donc pas que vous cherchez uniquement à soigner les différents symptômes d’une maladie chronique et pernicieuse dont les causes résident réellement dans l’incapacité de la classe politique à identifier les véritables maux et à les résoudre!

Quelle serait donc l’issue de secours? A cause de la grande souffrance de la population, des voix discordantes à propos des choix politiques, de l’essoufflement des institutions, je n’en vois qu’une seule pour le moment. C’est le rétablissement immédiat d’une démocratie véritable et totale, le rétablissement puis le renforcement de la Constitution, et, le respect des lois républicaines et des institutions, qui serviront à guider les débats en vue de la mise en place d’un environnement sain et d’un projet de société solide, dynamique et prospère auquel tous les centrafricains aspirent et voudraient vraiment participer. Mais est-ce que Bozizé, Kolingba, Patassé, et les autres anonymes de l’apparatchik politique centrafricain comprennent vraiment cet enjeu? Il s’agit de la Centrafrique et de l’avenir des enfants et des petits-enfants; il ne s’agit point ici de petites ambitions individuelles à satisfaire, histoire de se constituer une petite fortune sur le dos du peuple ou de satisfaire son petit égo. Réalisent-ils que dans 20 ou 30 ans, le peuple se souviendra à peine d’eux, parce que ces présidents et autres n’avaient jamais pensé à faire que de la figuration? Le peuple voudrait-il engager immédiatement la lutte contre le sous-développement? Bozizé rétorque que celui-ci n’a qu’à attendre la suite des élections de 2005. Cette approche est typique des décisions de la classe politique centrafricaine et, comme pour les arriérés de salaires, reporte chaque espoir du peuple aux calendes grecques.

Jean-Didier Gaïna
Virginie, Etats-Unis d’Amérique

Regards et points de vue des partis politiques et mouvements centrafricains