Hommage au Gouverneur Louis SANMARCO (1912 - 2009)

 

Cinquante ans (50) après Barthélémy BOGANDA, dont il est demeuré un des fidèles admirateurs de la vision politique, le Gouverneur SANMARCO vient de tirer sa révérence en cette année de grâces 2009, cinq mois à peine, après le professeur Abel GOUMBA, cet autre combattant de la liberté.

Rendre un vibrant Hommage à cet ancien Gouverneur de la France d’Outre-mer, relève d’un exercice délicat s’il en est. Il pourrait, en effet, donner lieu à des interprétations diverses selon les sensibilités; polémiques d’une part, mais à la réflexion, inviter à beaucoup de nostalgie et susciter de l’admiration lesquelles  mériteraient d’être retenues d’autre part!

Le caractère humaniste, ainsi que la richesse du parcours de ce grand commis de l’Etat, m’ont convaincu de l’utilité à vous faire partager quelques confidences sur cet homme de dimension exceptionnelle !

Oui! SANMARCO m’a séduit ! Séduit par la profondeur et la sincérité des sentiments d’Amour qu’il a toujours porté à la République Centrafricaine, mon pays, et par son indéfectible engagement au service de l’Afrique en général et surtout de l’Agence pour la Sécurité de la Navigation Aérienne en Afrique et Madagascar (ASECNA) en particulier.

Un bienheureux hasard, comme il n’en existe que par le fait Divin, m’offrit la généreuse rencontre de cet homme atypique. IL m’est apparu d’un esprit vif et alerte malgré le poids de l’âge et de la sournoise maladie qui commençaient à lui faire perdre la mémoire, en s’incrustant insidieusement dans tout son être.

Par devoir de mémoire, et par amitié pour les peuples africains, il publiera en 1983 « le colonisateur colonisé » et les » Non-dits de la Décolonisation » dans un livre entretien avec SAMUEL MBAJUN (2007).

En ce 11 Janvier 2005, par un temps de douces Alizées berçant les côtes des Almadies de Dakar, le bonheur d’organiser l’Agenda du Premier Président du Conseil d’Administration de l’ASECNA, m’aura conduit à partager avec ce grand homme des moments privilégiés d’échanges palpitants.

Animé du désir de se recueillir sur la tombe de son ami, feu Amadou AHIDJO, ancien Président du Cameroun décédé à Dakar quelques années plus tôt, Louis SANMARCO me révéla un trait de son caractère ; la fidélité en Amitié.

Cette journée particulièrement riche en révélations, me fera connaitre certains aspects inédits de l’histoire de mon  pays. L’entretien s’est naturellement déroulé en Français,  évidemment, me direz-vous ! Mais aussi et à ma grande surprise,  en SANGO, pour une large part. Il s’amusait à me montrer qu’il avait encore la parfaite maîtrise la langue nationale centrafricaine, en souvenir de l’amitié qu’il n’a cessé de porter à ses habitants.

Dans un langage direct, parfois cru et déroutant, cet homme me fait entrevoir sous un éclairage nouveau sa connaissance profonde de l’Afrique. 

En 1936, jeune élève administrateur, fort de ses vingt quatre (24) printemps, Louis SANMARCO, pose ses malles à Ngotto, subdivision de Boda en Territoire de l’Oubangui Chari. A cette époque, l’administration de cette colonie Française relève de l’autorité des différents échelons administratifs (districts, régions et subdivisions) tandis que  sa mise en valeur (exploitation) est  (sous traitée)  aux sociétés concessionnaires.

 La Compagnie Forestière Sangha Oubangui, rendue célèbre par son exploitation féroce et éhontée des populations locales, s’appuyant sur un monopole de fait, achète le caoutchouc à bas prix tout en accordant aux vendeurs des crédits de campagne à des taux usuraires. Son agent local faisait coïncider l’achat du caoutchouc avec la date de paiement des impôts. Les malheureux vendeurs rentraient bredouille, et à nouveau très endettés. Après des mois de dur labeur, ils n’avaient plus rien pour faire vivre leur famille. Clin d’œil à l’histoire, le Système n’a guère fondamentalement changé, Ironie du sort…...

Outré, le jeune administrateur demanda aux cueilleurs de différer dorénavant le paiement de l’impôt. De ce fait, ils n’avaient plus besoin de crédit de campagne de La Forestière. Par la suite, il fit doubler le prix d’achat du caoutchouc et ouvrit ce marché à la concurrence pour casser le monopole. Cette décision salutaire rendit fou de joie les populations locales. Quelques temps après, il rétablit Samba NGOTTO dans ses fonctions de chef de Canton qu’il avait perdu par une décision arbitraire, pour avoir délibérément informé André GIDE  des comportements répréhensibles de la compagnie Sangha OUBANGUI. Ces témoignages serviront de trame au livre d’André Gide : Voyage au Congo,  publié en 1927.

« Dans cette œuvre, André Gide relate avec une description virulente les relations que les Français ont avec le pays colonisé notamment au Congo. Il y dénonce les maltraitances infligées aux indigènes de race inférieure et la forte ségrégation raciale qui y règne. Pour autant, ce texte ne saurait constituer une dénonciation du colonialisme. La mission civilisatrice de la France est souvent rappelée et André Gide entend rappeler à chacun ses responsabilités : des sacrifices doivent être consentis par les populations africaines au nom du bien-être à venir de la collectivité ; la France ne doit pas abandonner ses prérogatives aux concessionnaires, souvent très critiqués pour leur dangereuse cupidité ; des administrateurs compétents doivent pouvoir limiter l’action néfaste de quelques aventuriers en quête d’argent. »

SANMARCO s’attachera de toute sa fougue juvénile à combattre et dénoncer l’exploitation et l’arbitraire érigé en loi par les concessionnaires. L’audace insouciante de ce Jeune Administrateur incarne l’idéal de justice envers les populations indigènes, et qui souhaite donner de la France une tonalité plus en conformité avec les idéaux de la révolution de 1789 dont elle se réclame.

En 1954, il revient en OUBANGUI CHARI, en qualité de Gouverneur par intérim, poste dont personne ne veut et accepte de relever le défi. Bien lui en prend car dans ce pays qu’il aime et connait déjà, il rencontrera un homme en pleine ascension politique, l’ex-Abbé Barthélémy BONGANDA, l’un des plus brillants hommes politique Africain en ces années cinquante (50).

De 1954 à 1958, les deux hommes entretiennent une relation apaisée malgré la singulière diabolisation de BOGANDA par les colons.

Au lendemain de son élection à la Mairie de Bangui, la foule se pressait le long du fleuve, « pour voir BOGANDA marchant sur les eaux» ! Il n’aimait pas ça, me confiât paternellement SANMARCO; car le père fondateur de la République Centrafricaine souffrait réellement de l’état d’esprit arriéré et de la grande crédulité des masses populaires et mesurait déjà  l’impact négatif de ces croyances qui constituent de véritables obstacles à tous progrès.

Le commerce entre les deux hommes évolue en dents de scie, et pour palier aux différents inhérents à ce genre de relations, l’administration de manière subtile finira par trouver le moyen de neutraliser Boganda en mettant son parti en minorité à l’Assemblée territoriale par la technique bien rodée, consistant à « retourner» quelques élus du camp adverse, ce que nous appelons encore avec ironie de nos jours «le Koudou Farisme»; du nom du fameux Député Koudou FARA, rendu célèbre pour avoir fait basculer la majorité Parlementaire en 1998.

Sur la Décolonisation, SANMARCO, avec un franc parler et le sens de la formule croustillante qu’on lui reconnaît, avoue sans ambages : » c’est un marché de dupes « : d’un coté, la Métropole n’avait plus les moyens d’assurer tous les couts de  l’assimilation à l’Empire; de l’autre coté, les africains n’étaient pas suffisamment préparés à assumer les lourdes charges d’un Etat moderne; en vérité, les aspirations profondes de nombreux leaders étaient de bénéficier de l’égalité des droits et devoirs au sein de « la France Immortelle, Une et Indivisible » .

Le problème  d’intégration à la société française, peu ou prou à l’origine des indépendances africaines, demeure encore d’une actualité brulante  avec les récurrentes revendications des populations immigrées d’origine africaine.

Aux débuts des Indépendances Africaines, SANMARCO est Directeur des affaires Sociales au ministère de la Coopération. C’est sous son impulsion, qu’est créé le célèbre service Hygiène Mobile et Prophylaxies, l’Office Central de lutte contre les grandes endémies et le fameux Centre International des Etudiants et Stagiaires (C.I.E.S) qui accueillera de nombreux cadres Africains.

Sa philosophie de la Coopération est basée sur un principe immuable: la coopération ne doit pas être perçue comme une Pénitence pour racheter les péchés de la colonisation, mais doit être limitée dans le temps. Sa finalité est de disparaitre après avoir rapidement appris aux Etats africains à se prendre en charge avec les meilleures chances de succès possible.

De 1960 à 1976, il présidera aux destinées de l’ASECNA, en faisant prévaloir le même principe de transfert des responsabilités aux Cadres AFRICAINS après une rigoureuse formation. Il fit de cette Agence, un formidable outil de coopération Franco - Africaine et d’Unité Africaine, dont  l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI), reconnaitra l’efficacité, en lui décernant le Prix Edward WARNER en 1972.

L’ASECNA, jouit encore aujourd’hui du respect de la communauté de l’Aviation Civile Internationale, grâce à l’œuvre fondatrice du Gouverneur SANMARCO.

A la veille du 50eme anniversaire, 12 Décembre 2009 prochain, quels florilèges d’hommages, les ASECNIENS d’hier et d’aujourd’hui, légitimes motifs de fierté du Gouverneur,  seraient en devoir de rendre à ce Grand Homme!

Comme le disait le Président Abdou DIOUF « Tout au long de sa carrière Il se fit le Champion de la Justice de la tolérance et de la vérité, envers les populations qu’il administra pour l’Honneur de la France et l’Amour de l’Afrique »

Adieu Cher Doyen, « l’Oubangui Chéri de Tonton » ainsi qu’aimait à le dire ta nièce lors de ses séjours à Bangui, terre de Zo kwe Zo, (Un homme vaut un homme), si chère à BOGANDA, t’exprime sa profonde reconnaissance et restera fidèle au Souvenir de ton Amitié.

THEODORE JOUSSO

 

NDLR :
Le gouverneur SANMARCO s'est éteint le 9octore dernier à l'âge de 97 ans (né le 12/04/1912)
Entretiens sur les non-dits de la décolonisation, de Louis Sanmarco et Samuel Mbajum, Préface du Président Abdou Diouf - Le compte rendu de lecture et le point de vue

 

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