Au Frère André Kolingba,

Président-Fondateur du Rassemblement Démocratique Centrafricain (RDC)

                                    Paris (France)

 

 

Frère Président-Fondateur,

 

C’est  la pression de l’actualité qui me guide vers vous, convaincu que vous prêterez une oreille attentive au contenu de la présente.

 

Avant toutes choses, je voudrais vous exprimer ma gratitude pour le poste de Représentant et Porte-parole du parti en Amérique du Nord (Canada-USA), poste occupé par mes soins dans le Bureau exécutif sortant.

 

Frère Président Fondateur, il vous souviendra que, courant avril 2007, au regard de la léthargie ambiante, j’avais, dans une correspondance adressée au Secrétaire Général, sous votre couvert, proposé des pistes tendant à redynamiser l’action du parti.

 

Le présent document s’inscrit dans le même esprit; mais, sans en être la suite, il en est plutôt la résultante.

Il est regrettable que les suggestions d’alors soient demeurées lettres mortes, tant la situation actuelle est préoccupante. A preuve, les soubresauts, dont la presse se fait l’écho, à savoir:

 

-                     la crise de la représentation du parti au sein de l’UFVN;

-                     l’installation d’un Directoire National de Transition;

-                     le contenu de l’interview du 17 mars courant, donnée par vos soins au journal

     «Le Confident» 

-                     les échanges aigres-doux suite aux démissions du parti;

 

Un bien triste spectacle pour un mouvement  qui se veut «rassemblement». Ceci occulte mal une crise existentielle, conséquence cumulée des différents échecs électoraux, de l’inoccupation du terrain, faute d’épine dorsale. Jadis parti unique, ayant géré la transition vers la pluralité, ce grand parti, enrichi par les leçons de ses trois échecs électoraux, devrait être en mesure de constituer une alternative politique crédible, par son projet gouvernemental et sa présence dans l’espace social.  Rien ne le laisse transparaître.

 

Cela interpelle la conscience citoyenne profonde de tout militant, de tout sympathisant et autre compagnon de route, parce que Centrafricain avant tout. C’est aussi ce qui motive la présente.

 

Frère Président-Fondateur,

Je voudrais bien résumer les préoccupations qui fondent ma présente intervention en deux points, qui sont: Le leadership et l’état des processus politiques au sein du parti.

 

1°) De la qualité du leadership.

 

Frère Président-Fondateur, il ne peut être sérieusement contesté que, depuis quelques lustres,  sur la scène politique, le parti manque de vie et de forme, faute d’initiatives propres, faute de personnalité forte. Durant tout ces longs moments, les inquiétudes ont été bien grandes quant à l’avenir, et ceux qui les ont exprimées, de plus en plus nombreux.

 

Reprenant votre place légale, après une longue «période de réflexion», à ceux qui se sont manifestés, vous n’avez pas cru mieux faire que de les renvoyer aux textes vous donnant pouvoir d’organiser les instances du parti.

 

Peut-être, eût-il mieux valu faire preuve d’un peu plus de pédagogie? Expliquer, communiquer, le plus amplement possible, n’est-ce-pas la première tâche d’une direction? Le leader politique est celui qui a le génie de gérer les contraires et de transcender les oppositions internes en fusionnant différents courants autour d’un projet, d’un programme et d’une vision qu’il incarne en toute humilité et modestie.

 

Le renvoi froid à des textes, eux-mêmes peu loquaces, n’est certainement pas de nature à susciter l’adhésion massive aux décisions arrêtées. C’est tout le contraire. Il est assurément contre-productif. L’effet prévisible, l’incompréhension, entraînera la répulsion de nombres de militants et compagnons de route et, avec eux, des sympathisants. Autant d’électeurs potentiellement perdus

 

À l’absence du parti sur la scène politique nationale, il est simplement suicidaire d’ajouter le manque d’esprit de conciliation, d’ouverture et d’unité; trois attitudes, qui expriment l’humilité dans une démarche d’ensemble de diriger.

 

Comment, dès lors, envisager la conquête majoritaire du pouvoir? Qu’est ce que le RDC a-t-il appris de ses trois échecs électoraux et que fait-il des étiquettes, qui lui sont collées à tort?

 

Mieux encore, Frère Président-Fondateur, la lecture, qui est faite des textes du parti par rapport à son fonctionnement et ses engagements, en tant qu’association politique d’intérêt public, est bien curieuse.

 

Une lecture qui semble épargner le chef de toute responsabilité, par rapport aux dures épreuves existentielles que le mouvement a connues et les différents résultats obtenus depuis 1993. Il lui est ainsi réservé tout le pouvoir de décider seul et d’agir à la lumière exclusive de ses propres analyses et évaluations, dans la discrétion absolue, ne laissant au militant que le souci de la discipline: «Un bon militant est celui qui est soucieux de la discipline interne de son partie.», sinon aux électeurs, et seulement à eux, «l’obligation de tout faire pour ne pas se faire voler leur victoire.»

 

Les évènements de ces derniers mois au sein du RDC surprennent. Ils légitiment toute interrogation sur la place réservée au débat, autre pilier du parti. Car le message du leader manque de méthode,  de conviction, de vision et d’esprit d’innovation, surtout à la sortie d’une longue période de réflexion. Autant des facteurs qui inquiètent et assombrissent l’avenir du parti.

 

Enfin, ces évènements brossent un schéma non approprié du partage des tâches et des responsabilités au sein du parti. Ce parti qui se veut avant tout un lieu de travail collectif de ses organes dirigeants et de responsabilité partagée entre eux.

 

Ce schéma unilatéral d’intervention et de restructuration, à l’épreuve du temps, des évènements et de la réalité, aboutira, il faut en être sûr, aux mêmes résultats que depuis 1993. Unilatéral, même en termes d’informations: Systématiquement du haut vers le bas. Jamais rien du bas vers le haut. Tout conseil à la revalorisation du processus est jugé de «contenu creux et déconnecté des réalités du terrain», comme la réponse que j’avais reçue de l’ancien Secrétaire général, en guise d’unique réflexion sur le document du mois d’avril 2007. Et, les opinions différentes, les interrogations sur le statu quo et les démissions, sont qualifiés «des tintamarres et des manœuvres intéressées», comme a servi, à son tour, le président du Directoire national aux autres militants de première heure.

 

Ce manque de jugement et ce rejet systématique des critiques, même les plus fondées et constructives, nous placent à la limite de l’intolérance. Voilà un tableau peu reluisant d’un parti, supposé avoir beaucoup de cadres.

 

Frère Président-Fondateur, l’ampleur et l’importance des enjeux de l’heure, aussi bien au sein du parti, qu’à l’échelle nationale et internationale, imposent une sérieuse réévaluation globale des structures du parti, ainsi que de ses activités. Et, le leadership ne saurait en être épargné, car le pronostic vital de notre parti, dans l’état actuel des choses, en dépend.

 

 

2°) Des processus politiques du parti

 

Frère Président-Fondateur,

 

Est-il besoin de rappeler que ce sont des vaillantes filles et des vaillants fils de ce pays qui, autour de vous, indépendamment de leurs origines socioprofessionnelle, régionale, ethnique et religieuse, ont constitué ce parti, si justement dénommé Rassemblement Démocratique?  Conscients et responsables de leurs actions, ils sont convaincus de pouvoir servir leurs concitoyens, des Centrafricaines et Centrafricains, pour lesquels, le RDC existe et sans lesquels il ne saurait exister.

 

Comment comprendre que vous n’indiquez gracieusement à certains que la porte, quand vous affirmez: «Puisqu’ils parlent de démission collective, qu’ils le fassent…». De quel «Rassemblement véritable» s’agit-il?

 

Point n’est besoin de dire que c’est d’un débat franc, et pourquoi pas, houleux s’il le faut, mais toujours séant,  que le parti forgera une culture de rassemblement, une culture de gouvernement. C’est aussi cela l’apprentissage de la démocratie.

 

A ce propos, l’esquisse ébauchée par le Directoire de transition, et qui se reflète dans la mise en place de  cette structure elle-même, tend à opposer cadres de la diaspora et cadres du terrain. Elle porte en elle les prémisses de la division. Au stade où il se trouve, le RDC n’en a pas vraiment besoin.

 

Tout le contraire. C’est le moment où jamais nous devons être unis. C’est pourquoi, je dirai avec le roi GHEZO que «Si tous les fils du royaume venaient, par leurs mains assemblées, boucher tous les trous de la jarre percée, «le RDC» serait sauvé».

 

Frère Président-Fondateur, la résurgence de l’État dans le monde s’impose. Les conséquences sont multiples et  les enjeux abondent sur l’avenir des sociétés. Ils appellent à la revalorisation des processus et des acteurs politiques.

 

Dans de tel contexte animer la vie politique d’un parti devrait se mériter par la pertinence de sa vision et ses capacités éprouvées, intrinsèques ou acquises, à consolider les structures du parti, détendre les tensions internes, et proposer des voies de réponses claires aux si nombreux et importants défis de l’heure, à tous les niveaux, du local à l’international, sans oublier le national.

 

Ce sont là des aptitudes qui foisonnent pourtant, auprès des filles et fils du pays, dans leur globalité, et dont se serviraient  volontiers et sainement des formations politiques légales, en quête du pouvoir d’État.

 

Le président du jeune Directoire national, même s’il fait de la dictée, servirait mieux son parti, en observant l’humilité, la plus élémentaire valeur, quand on se met au service de ses concitoyens. S’il reconnaît que le parti a plié, s’il est convaincu de la pertinence et la justesse des actions entreprises et à entreprendre pour le relever, eh bien qu’il l’explique de long en large aux membres. A défaut, qu’il agisse de façon à préserver la cohésion en son sein, en attendant le moment opportun.

 

A ces renégats, comme il a l’air de les traiter, il pourrait dire, par exemple, pourquoi un congrès, qu’ils demandaient légitimement depuis bientôt quinze ans, ne puisse se tenir qu’à une date non encore fixée, mais avoisinant les prochaines échéances électorales, qui, elles, sont arrêtées par la Constitution et connues de tous depuis cinq ans?

 

Au lieu d’apporter la contradiction factuelle, engageant chacun, et de laisser à la base le soin d’apprécier, à défaut d’arguments, il se contente d’invectiver, et de gratifier d’emblée des attributs aux gens et gestes, au mépris des sacrifices, parfois inestimables, consentis par certains frères et sœurs.

 

Il est particulièrement regrettable, frère Président-Fondateur, que l’étanchéité de l’accès au chef et l’immobilisme généralisé puissent faire que tous ces derniers évènements, plus teintés d’émotion que de raison, se retrouvent sur la place publique.

 

                                                                                                                     

 

Frère Président-Fondateur,

 

On dit de l’échec qu’il est l’épreuve qui conduit au succès. Parce que, de ses leçons, il enrichit. Le Rassemblement Démocratique Centrafricain  devrait en être rempli à ras bord.

 

Certes, l’ampleur, le volume de la tâche et les responsabilités requises exigeaient une période de réflexion conséquente,  après tant d’épreuves, pour regrouper les filles et les fils de Centrafrique, capables de formuler une vision d’ensemble, des objectifs à court, moyen et long terme et des projets mobilisateurs, en vue de rencontrer les vœux légitimes des militants et des électeurs.

 

Aujourd’hui, l’urgence est de comprendre le réel, pour aller avec plus d’assurance, vers l’idéal, via un  examen contradictoire sincère des processus politiques et de toute l’organisation du parti. C’est pourquoi, il n’est pas osé de croire que le congrès envisagé sera effectif pour une fois. Il est le forum par excellence d’un tel exercice. Il permettra d’élaborer le nouveau paradigme du RDC, qui sera la base de légitimité, de la confiance en un leadership nouveau et constituera son offre politique.

 

Mais, quand le dynamisme ne coïncide plus avec la conviction, la sagesse devrait prévaloir, afin de préserver le sens de l’État et de réserver le meilleur de l’Homme au Patrimoine politique national et à l’Histoire.

 

Tel est, frère Président-Fondateur, le produit des réflexions que je tenais à soumettre à votre appréciation. Dans l’intérêt du parti, je m’autoriserai l’initiative de porter ce document à la connaissance du Directoire national.

 

Je vous prie, d’accepter mes sincères respects.

 

 

Fait à Montréal, Canada, ce 08 juin de l’an 2009.

Vincent BIANDÉ BAGUIWÉ,