Point de vue : Relations Afrique-France, relations République Centrafricaine-France et francophonie, par l’ancien Premier Ministre Michel GBEZEA-BRIA

 

Michel GBEZEA-BRIA Je représente la République Centrafricaine au Sommet de France et d´Afrique de Ouagadougou de 1996 qui entérinera la décision du groupe francophone de dépêcher à Bangui quatre Chefs d´Etat africains, Bongo, Deby, Compaoré, Konaré pour essayer de résoudre la crise dans laquelle se débattait notre pays.

 

Lors d´une pause, je me retrouve avec des collègues des pays dits de la Ligne de front qui, fers de lance de la lutte contre l´Afrique du Sud raciste, en constituaient la base arrière. Ces pays, idéologiquement engagés alors à gauche soit dans le marxisme léninisme soit dans le socialisme africain, ont conquis généralement leur indépendance par la lutte armée. L´un des collègues de la Ligne relève la contradiction de la lutte des Africains et surtout de ceux de la Ligne contre la France et leur présence, remarquable, à ce Sommet et de laisser tomber : « ces Français sont forts ».

 

En effet, ces Français sont décidément forts qui ont réussi à élargir à l´Afrique anglophone, arabophone, lusophone c'est-à-dire à assembler un continent autour d´un seul pays, une réunion restreinte de francophones dont le premier Sommet en Afrique s´est tenue à Bangui sous le régime du Président Bokassa, si j´ai bonne mémoire. L´affluence quantitative et qualitative africaine à ces Sommets est telle qu´elle ne souffre pas souvent de la comparaison avec un Sommet panafricain.

 

C´est ainsi que le Sommet de Ouagadougou, assurément aussi à cause de la forte et attachante personnalité du Burkina Faso, a connu l´une de ses plus grandes affluences, notamment par le nombre des Chefs d´Etat et non des moindres comme la présence de celui du Nigeria.

 

En cette journée de la francophonie, il m´a paru utile de prolonger, avec mes Compatriotes, la discussion que j´ai eue avec mes collègues sur les relations entre l´Afrique et la France en privilégiant, bien entendu, les relations entre la République Centrafricaine et l´Hexagone.

 

VOCATION MONDIALE, LOCOMOTIVE DE L´EUROPE

 

La première considération générale est un constat : celui de l´ancienneté historique et l´enracinement du pays de Talleyrand dans une partie appréciable de notre continent à laquelle appartient la République Centrafricaine où ses intérêts sont étendus, vitaux, divers. Ceux-ci vont notamment de la captation des intelligences par le rayonnement d´une langue à l´exploitation des richesses naturelles, au contrôle de la finance, de celui de la sécurité de l´espace aérien que terrestre par singulièrement une présence en matériel et surtout en hommes sur le terrain. Ces intérêts français ont depuis toujours voulu dépasser ce cadre francophone pour embrasser toute l´Afrique. Bolloré, Areva et Total le démontrent.

 

Cette ancienneté que la France partage avec le Portugal, la Belgique , l´Angleterre, les Pays Bas et l´Espagne lui confère une grande expertise à laquelle ont recours d´autres Etats. Paris serait un passage de consultation pour ceux qui veulent en savoir davantage sur la partie francophone de notre continent. L´une des manifestations éloquentes de cette expertise de l´Hexagone est la compétence particulière à secourir les étrangers dans les pays africains en conflit. La dernière évacuation du Tchad des personnes de diverses nationalités l´atteste comme ce le fut en République Centrafricaine, en Côte d´Ivoire et au Zaïre du Président Mobutu. Les remerciements qui, de l´Europe, de l´Amérique et de l´Asie, sont allés au pays d´André Gide renforcent un rayonnement qui est sans commune mesure à un poids intrinsèque.

 

Quand on la compare en effet à l´Allemagne, la France est surévaluée surtout que l´industrie allemande vaut celle de la France et de la Grande Bretagne réunies. Mais voilà, malgré cet extraordinaire atout, l´Allemagne ne dispose pas de ce « plus » : une profondeur géographique par delà la Méditerranée , dans le Pacifique, l´Océan indien et l´Atlantique. Elle souffre aussi d´un autre déficit, celui d´un espace lié à une langue internationale, officielle des Nations Unies comme le français qui permet à la patrie de Malraux, entres autres considérations liées à la seconde guerre mondiale, de tenir son siège de membre permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies et son rang de puissance nucléaire assise sur une des économies les plus riches dans le monde.

 

Il faut noter ici que l´Afrique francophone contribue remarquablement à la diffusion de la langue de Voltaire et cette Afrique est, s´il faut schématiser, le rempart solide du français dans ce rude assaut que lui mène la langue de Shakespeare, l´anglais.

 

Ainsi, malgré l´afro pessimisme et le « sanglot de l´homme blanc », la France a besoin de l´Afrique dont elle se considère d´ailleurs l´interprète et l´avocat. La parole française n´est pas de charité. Elle est celle de la clairvoyance car, il n´est pas de l´intérêt de la France ni d´ailleurs de l´Europe si proche de notre continent que celui-ci n´avance pas ou avance contre les intérêts de l´Occident. Au demeurant, l´importance désormais acquise par Bruxelles tient de cette volonté occidentale de renforcer la volonté européenne dans ce sens.

 

C´est pourquoi, il convient alors de prendre les mots de désengagement avec la plus grande prudence. En effet, la sauvegarde du rayonnement français et l´élargissement de son spectre voudront une volonté d´implantation toujours plus forte, directe ou indirecte, dans notre mère Afrique d´autant que le recul des idéologies dénude absolument le fondement constant de la compétition entre les grandes puissances que ces idéologies voilaient et qui est la maîtrise des richesses.

 

Cette rivalité sera d´autant plus rude que d´autres puissances contesteront le privilège de Paris dans ses anciennes colonies ou que ces ex colonies, croyant à la souveraineté, agiraient, sans évaluation des enjeux, en souveraines. Reconnaître la République Populaire de Chine avant l´Hexagone altier d´un De Gaulle ou choisir d´effectuer son premier voyage officiel en Israël au lieu de celui-ci pour Dacko, contrebalancer l´influence du pays de Foccart par une coopération agissante et visible avec le bloc de l´Est pour Bokassa, appelaient à cette souveraineté. Cette « indépendance » ne pouvait perdurer surtout que ces deux Centrafricains agissaient dans le contexte général de la guerre froide et de la division du monde en deux blocs. Le réalisme en politique étrangère de ces compatriotes était donc  dangereux. Y mettre fin était impératif et les causes endogènes de mauvais gouvernement ou de violation des droits de l´homme en fournissaient la raison apparente.

 

Un autre facteur aggravera cette compétitivité. En effet, les nouvelles générations africaines, plus instruites, plus ouvertes, plus aguerries notamment en affaires qui, s´interrogeant sur l´état de leur pays et estimant également ne rien devoir à la France , regarderont vers d´autres horizons surtout vers ceux où ils auront été formés ; ces générations contesteront un tête à tête avec Paris dans un monde désormais plus ouvert surtout qu´elles seront mieux averties que les précédentes que l´Afrique est terre de si grandes richesses qu´elle sera ,demain, la terre d´opportunités si elle ne l´est déjà pas en certaines de ses parties. Ces générations montantes, plus sûres d´elles mêmes, accepteront alors difficilement un centre qui en imposerait en tout dans une chasse gardée surtout que les liens avec ce centre seront devenus lâches ou inexistants.

 

La France , puissance « à vocation mondiale », attachée à préserver ce rang, a devant elle une République Centrafricaine qui tient le peloton de queue des Nations, incapable encore d´assumer ses propres obligations régaliennes. C´est pourquoi, la deuxième considération conséquente et primordiale de ce qui précède est de ne point, pour la République Centrafricaine , se payer des mots que démentira aussitôt son extrême faiblesse.

 

DES PSEUDO-ETATS DANS LES LIMITES DE LA DEMOCRATIE

 

Cette faiblesse est d´abord économique, financière et est celle de la puissance de feu.

En effet, dans l´essai de classification des pays fait par Hubert Védrine dans « les Cartes de la France à l´heure de la mondialisation », la République Centrafricaine répond aux critères des « pseudo-Etats » c'est-à-dire « incapables d´exercer effectivement leur souveraineté formelle, qui vivent souvent de l´aide internationale et sont trop souvent la proie des forces transnationales, légales ou illégales ».Lors d´un débat à l´Assemblée Nationale, j´avais rappelé le mot connu de « l´indépendance du drapeau » qui, parait-il, est du premier Président du Ghana, le grand africain N´Kwamé Nkrumah.

 

La crise armée que vient de traverser le Tchad comme les turbulences sous le régime du Président Patassé et l´attaque par les rebelles des villes du nord de la République Centrafricaine sous celui du Président Bozizé justifient cette classification. En effet, pour exercer « leur souveraineté formelle » et notamment celle d´assurer la sécurité, ces pseudo-Etats auront recours à des Etats tiers. Ainsi, les crises susnommées ont ramené et ramènent pour leur solution ou tentative de solution à la France et plus largement aux relations de France et d´Afrique. Les différentes médiations dans les crises qui affectent la zone francophone le témoignent.

 

Car, les voies  « souveraines » de manoeuvre de notre pays, à commencer donc par une puissance de feu, une robustesse économique et financière sont étroites. Ces voies sont aussi rétrécies par une instabilité politique, une dispersion des énergies dans des ambitions, certes légitimes, mais si singulières que l´on n´y perçoit encore, ni le privilège, ni la vigueur de l´intérêt général d´une part ; d´autre part ces voies sont également resserrées par l´immensité d´un territoire et sa vacuité  qui singulières sont des facteurs objectifs d´insécurité qu´attestent l´immigration rampante, le grignotage des frontières, les incursions des forces régulières ou irrégulières étrangères sur notre sol.

 

S´agissant de la puissance de feu, l´Etat centrafricain ne dispose pas encore, malgré les efforts certains de restructuration, de cet indicatif de respect qui est une armée républicaine qui puisse, tout en imposant une volonté politique de paix et de sécurité sur toute l´étendue du territoire, être capable de défendre les intérêts centrafricains contre l´extérieur. Or, toute considération politicienne mise de côté, cette immensité et ce vide de notre territoire où n´importe qui peut faire n´importe quoi, invitent à prendre la mesure de l´effort titanesque en hommes et en matériel et donc financier pour assurer la couverture sécuritaire de notre pays.

 

Que faire en effet pour que nos forces de défense, par leur présence, leur capacité d´intervention et leur mobilité terrestre et aérienne, puissent surveiller ces vastes zones dépeuplées ? Comme on peut tenir pour certaine que notre capacité d´écoute et de survol est nulle, il convient de pallier à cette grave carence par une coopération avec des pays amis et l´on revient à la question de la confiance et de la sérénité dans les rapports d´Etat à Etat.

 

Une incise ici. La grande pauvreté en hommes de notre pays induit deux questions vitales. La première est quelle politique démographique mener qui ne soit pas évidemment nataliste? Bokassa l´avait menée et il convient d´en tirer les conséquences et de l´actualiser au regard de l´éducation, de la santé et bien entendu financier. La deuxième est quelle politique d´immigration mener ?

 

Cependant, plus que les moyens nécessaires pour l´accomplissement de sa mission, c´est l´essence de la mission de l´armée qui emporte interrogation. Parce que l´armée est moins au service d´un pouvoir qu´à celui de la nation dont d´ailleurs elle est censée être le creuset puisqu´un pouvoir passe et l´armée demeure comme demeurent la gendarmerie, la police, la justice notamment pour la pérennisation des lois de la République et de la République. En effet, l´irruption au sein de la Grande muette des considérations qui lui sont ou devraient lui être étrangères, notamment comme la politique, la vicie et fragilise ce lien « armée nation ». Corps le mieux organisé dans tout pays, l´exigence de son contrôle, surtout quand elle parvient au pouvoir de l´Etat dans une Afrique qui se départit difficilement des solidarités particulières, rime avec ces solidarités qui, parfois, sont sans liens ou de liens éloignés avec le fil conducteur de l´Etat et de sa modernisation comme en Turquie avec Mustapha Kemal.

 

Par ailleurs, la présence de plusieurs forces étrangères sur notre sol rend impérieuse la nécessité d´une force nationale puissante. Ces armées venues d´ailleurs savent tout de notre pays devenu des terrains d´entraînement où elles vont et viennent, connaissant les coins et les recoins, mesurant la faiblesse de la République Centrafricaine. Or, ces forces étrangères, quelles que soient la fraternité ou l´amitié que la République Centrafricaine entretient avec leurs pays, sont la traduction des intérêts nationaux.

 

Y aura-t-il toujours concordance entre les intérêts de ces pays et les nôtres ? N´y a-t-il pas à s´inquiéter que ces forces ressortent des pays voisins qui, il faut le concéder, tâtonnent encore pour la démocratie  et où la force de l´arme gouverne bien souvent ? Et si l´une quelconque de ces forces refusait de quitter une portion de notre pays, comment répondre ? Déjà un Etat voisin entre profondément sur notre territoire, exerçant « un droit de poursuite » qui pourrait également se poursuivre sur toute l´étendue de notre pays et se transformer en « droit de changement de régime » acquis à ses intérêts. D´autres pays voisins s´installent sur notre sol et même si cette situation n´a pas vraiment dégénéré, l´on ne saurait prédire.

 

Certes, l´Afrique doit se prendre en charge pour sa défense et les puissances occidentales, notamment la France qui ne veulent plus, semble t-il, intervenir physiquement, sont disposées à aider à la constitution d´une armée africaine. Les forces actuelles semblent répondre à cet objectif. Cependant, ce but ne doit pas, bien au contraire, affaiblir l´acuité centrafricaine de faire plusieurs lectures de ces contingents. Procéder ainsi est dépasser l´amitié des hommes ou femmes au pouvoir, les intérêts d´un pouvoir pour essayer de lire les intérêts de la République Centrafricaine dans le temps.

 

L´accent qui est mis ici sur l´armée ne signifie nullement que privilège est à l´arme. L´arme, c'est-à-dire l´arme régulière, est un facteur de stabilité mais elle n´est pas la stabilité. La préséance demeure à l´urne et à l´urne vraie dont la conséquence est le respect des décisions qui en émergent. Celles-ci sont certes le choix des dirigeants mais, surtout l´obligation pour ceux-ci de ne pas oublier ce qu´ils ont promis, prompts à rejeter sur le tiers intérieur ou extérieur la cause de difficultés qu´ils auront engendrées.

 

Mais il est tout aussi vrai que la gestion des affaires de l´Etat, qui parait facile quand on est dans l´opposition et dans la critique, révèle sa nature difficile, ingrate quand on est aux commandes. Il faut avoir alors le courage de se remettre en cause. Courage parce que la sincérité, même avérée, de la personne aux affaires de l´Etat , est toujours sujette à caution d´abord pour l´opposition et aussi à cause de l´incrédulité et la versatilité inhérente à l´homme.

 

De toutes les manières, la politique revient aux politiciens au sens noble du terme, c'est-à-dire à ceux qui ont une« idée » de la gestion de la Cité et cela dans le sens évident du bien. Mais qu´est-ce le bien pour une société comme la centrafricaine  qui ne soient pas la santé, l´éducation pour la majorité, l´emploi et bien sur la sécurité pour tous ? Même ce point est discutable car, le concept du bien et sa mise en oeuvre sont multiples et c´est pourquoi, il y peut y avoir plusieurs politiques pour un pays.

 

En effet, la politique obéit à d´autres règles dont celle de la contradiction, de la proposition et contre-proposition. Elle est contestation. Elle est donc aux antipodes de l´armée où l´obéissance sans discussion est la règle, puisque l´armée est d´abord action et parfois action rapide. Mais cette action doit avant tout être décidée par le politique. Car, l´armée est un moyen à la disposition de l´Etat et non le contraire, c'est-à-dire que l´Etat n´est pas un moyen d´action de l´armée et qui serait dirigé comme une caserne. La baïonnette obéit aux règles voulues par la Nation auxquelles est soumise l´armée.

 

C´est pourquoi, l´effacement de celle-ci, c'est-à-dire son obéissance à la loi, est la mesure de l´avancée démocratique dans un pays. Quelle armée s´aventurerait sur l´arène politique comme armée en Angleterre, en France, dans les pays nordiques, aux USA ou même au Sénégal ?

 

J´entends la contradiction : il ne faut pas généraliser ;tous les africains ne sont pas sénégalais ; l´Occident n´est pas l´Afrique qui est un continent encore dans les limbes pour la démocratie. On arguera aussi qu´avancer de telles idées est porter atteinte à l´honneur et au sacrifice du soldat. Toutes considérations qui font de la réflexion sur l´armée un sujet tabou.. Je réponds ceci : j´entends, citoyen, être fier du soldat de mon pays et que sa vue me rassure et ne pas soulever en moi répulsion, effroi et désarroi puisque que je ne suis pas armé et que je lui ai confié la mission de me protéger. Aussi simple que cela et en plus la défense d´un pays n´est pas que coup de fusil.

 

C´est pourquoi, il faut tenir pour positive l´initiative de portes ouvertes sur l´armée et la gendarmerie qui, entre autres , permet de mieux faire connaître ces corps, susciter des vocations et donner l´occasion au citoyen de constater que le militaire et même le policier n´est pas seulement un porteur d´armes ; il a une tête et même une tête bien pleine de lettres, de droit, d´économie, de sciences exactes, de médecine qui, ajoutée à son sens de sacrifice, accroît l´estime envers lui . Fierté était mienne que l´un des premiers aviateurs en Afrique Centrale à piloter un avion à réaction fût le commandant Goengonda, un de mes collègues du lycée Barthélemy Boganda.

 

Il était bon, lors de ces journées, d´avoir laissé le citoyen donner son opinion sur son armée et sa gendarmerie et d´avoir entendu les commandants des différents corps relever que l´armée est aussi la représentation du peuple. S´il en est ainsi, la conduite de cette armée doit être à la hauteur de cette représentation pour emporter la confiance et la fierté de ce peuple.

 

A la faiblesse économique et financière et celle de la puissance de feu, s´ajoute une faiblesse pernicieuse, dévastatrice, la lézarde de l´unité nationale.

 

L´INTELLECTUEL FACE AUX TRIBUS

 

Depuis plus de vingt ans en effet, la fragilisation de l´unité nationale est telle que la récurrence de l´appel à cette unité indique tout simplement que celle-ci est devenue désormais un défi majeur. Les impératifs de la conservation des différents pouvoirs, la nécessité d´une base en politique qui épouse la proximité ethnique dans les pays sous développés et sous scolarisés, l´absence de contradictions sur la nature de la société ont donné, à l´exception de quatre partis ou mouvances, aux assisses politiques des bases identitaires telles que l´on s´interroge si c´est bien cette République Centrafricaine, fière de son unité qui s´étale.

 

La traduction de ce malaise engendre des concepts comme « République du Logone » agitée à tort ou à raison, de « savaniers », de « riverains », de « grand nord » ou de « petit sud », d´ « ethnie nationale » ou de « bonne ethnie ». Les mutineries, tentatives de coups d´Etat et autres rébellions ont porté et portent leur marque de repli identitaire.

 

Que ce repli vienne de ceux qui n´ont pas été à l´école se comprend et s´explique. Leur proximité peut être immédiate puisque leurs valeurs sont celles du terroir, de la famille, de la région. Or, les valeurs qu´enseigne l´école sont universelles et théorisées. Cependant, l´on constate que, même ceux qui ne sont pas allés à l´école, appliquent ces valeurs et font preuve d´humanité vis-à-vis de l´autre, de l´ « étranger ». C´est qu´il y a en chacun de nous un tréfonds qui tient du bien.

 

C´est pourquoi, il y a un motif de grande inquiétude quand la catégorisation des Centrafricains vient de ceux qui ont été à l´école et disposent d´outils conceptuels pour approprier et mettre en pratique ces valeurs universelles. Si cela n´est pas le cas, c´est que la levure de l´école n´a pas pris. A ce propos, il y a quelque désarroi et froid au dos à lire par exemple le forum des discussions de Centrafrique Presse tant y ont cours des propos teintés d´une incroyable, insultante,voire haineuse catégorisation des Centrafricains. C´est de l´engagement politique, parait-il. Mais, est ce là l´engagement pour la République ?Ce sont des Compatriotes instruits pourtant, vivant la plupart outre méditerranée dans ces pays où le débat, de niveau élevé, est ailleurs qui tiennent ces propos.

Pourtant, l´école de la République confère l´ouverture et une certaine manière de voir les choses. Elle conduit « à s´élever au dessus de ses adhésions ancestrales, familiales et spontanées » comme l´observe Régis Debray dans « Intellectuel face aux tribus » ; car, l´école est le premier pas vers le fondement d´une nation. Ce premier pas est celui de l´égalité qui est de l´essence de l´homme. Ce que démontre la nudité première avant que l´environnement ne vienne apporter l´inégalité.

 

Or, l´environnement est dénudé pour la quasi-totalité des Centrafricains.. Je suis ainsi fort étonné que des Compatriotes instruits, inconscients ou conscients du hasard des naissances, oublieux de leurs origines, fabulent sur une supériorité et font montre d´une suffisance dont on trouverait difficilement la cause, acceptent ou incitent au rejet de l´autre. Cet étonnement se transforme en perplexité quand certains, fondant argument des leurs au pouvoir, ont front altier  qu´ils avaient normal ou bas. Ils ignorent ou feignent d´ignorer que tout pouvoir est une procuration du peuple et qu´en tout cas, l´intérêt de celui-ci doit prévaloir ; on éviterait alors que cette procuration ait une courte durée ou qu´elle ne se termine en des conditions non voulues, ravalant ainsi les propos hauts et forts d´arrogance en « murmures amers » qui oublient sa propre responsabilité pour rendre responsables les autres.

 

Mais voilà, la République Centrafricaine est réputée ne pas tirer les leçons de l´histoire d´hier, adepte qu´elle est de la répétition et de la tragédie car, dit on, l´histoire ne peut se répéter qu´en tragédie.

 

Les graines endormies de la division ont donc ressuscité et germé avec force, pour éclore avec cette virulence qui indique que celle-ci couvait en nous et n´attendait que l´occasion pour embraser. L´accalmie est provisoire et, en tout cas, trompeuse. Les évènements récents de Bossembélé, de Batangafo, de Bossangoa, ceux de Miskine à Bangui, les mises en garde et autres surenchères, le prouvent. D´ailleurs ces multiples rébellions méritent une réflexion profonde, neutre, détachée qui puisse interroger leur nature, leurs soutiens et ses objectifs, l´environnement géographique de notre pays, la tentative de comprendre les enjeux des grandes puissances entre autres. La difficulté dans notre pays est que la réflexion critique est tenue pour de l´opposition alors que cette réflexion est une incitation à mieux faire ou à saisir les contours d´un cas que l´on n´a pas saisis.

 

Les racines de la violence sont là, résistantes. Les dessoucher demande le sacerdoce de ceux qui sont aux affaires de l´Etat, à quelque niveau que ce soit. A commencer, puisqu´ils ont la décision, de saisir que l´adhésion sans discernement à la communauté d´origine et sa traduction dans les affaires de l´Etat sont des perversités dangereuses pour la nation et surtout pour une nation en voie de construction comme la nôtre. Les moyens de l´Etat doivent ainsi concourir mieux que les moyens particuliers à rassembler les Centrafricains. La défense d´un régime n´exclut nullement cette affirmation. Ce sacerdoce est également celui du citoyen qui ne peut rester indifférent quand l´unité est en cause au motif de « laisser les faire » et que ce n´est pas « mon régime ».

 

La République Centrafricaine , « pseudo état » connaît donc de grandes limites dues à la faiblesse économique, financière, à la faiblesse de la puissance de feu, le tout aggravé par la lézarde de l´unité nationale.

 

NECESSITE D´UN ETAT FORT

 

C´est justement à cause de celles-ci qu´il convient de cerner notre ambition nationale, la recentrer sur nous, autour des besoins fondamentaux, hiérarchisés de notre population qui me paraissent, et de loin, moins compliqués que dans d´autres pays notamment de l´Afrique Centrale. En tête de cette hiérarchie vient la reconstruction de l´Etat fort qui pourrait assumer sa mission de protecteur du Centrafricain et du bien commun à travers une administration civile et militaire qualifiée et effective sur tout le territoire. Il sera aussi le garant d´une bonne justice et de son indépendance ; il saura également préserver la sécurité juridique des affaires.

 

Cet Etat en assumant sa mission éviterait à notre pays d´être gérée par les organisations humanitaires qu´il est difficile de contrôler et dont d´ailleurs on peut se demander les objectifs. La République Centrafricaine a produit et peut produire de quoi nourrir ses enfants et même produire de quoi pour ce grand marché que sont le Nigeria, la République Démocratique du Congo, le Soudan et même l´Éthiopie. L´humanitaire soulage ; elle ne favorise pas le développement, bien au contraire, et sa multitude indique qu´il y a de gros problèmes dont le premier est la carence de l´Etat.

 

Cet Etat fort est possible pourvu qu´il soit d´abord l´objectif principal et qu´ensuite soient distraits des moyens pour l´atteindre. Les moyens peuvent se trouver sans attendre le pétrole. La manne pétrolière, si jamais elle tombait, exige un sens aigu de la solidarité nationale pour éviter qu´elle ne se dissipe pas en des dépenses qui seraient sans lien ou de faible lien avec cette solidarité, générant en conséquence plus de problèmes qu´elle n´en résolverait. Le pétrole, en saupoudrant l´intérieur, enrichit l´ailleurs, mais surtout, il tue les hommes et tue tout autour, comme l´agriculture. On s´étonne donc peu que certains pays africains, producteurs de pétrole manqueraient de pétrole pour la consommation locale comme il manquerait de l´argent en République Centrafricaine. C´est pourquoi, je persiste aussi à croire que la bonne gestion des richesses connues et exploitées peut déjà autoriser le début ferme de la résolution de nos besoins.

 

Cette bonne gestion qui, par elle-même, est facteur de multiplication de richesses, puisqu´elle appelle les capitaux, induit aussi que l´on doit préserver celles naturelles comme la forêt, la faune et même le sulfureux pétrole pour les générations qui viennent car, un pays ne se s´arrête pas au présent. C´est curieux d´ailleurs que ce soit l´extérieur qui nous incite à penser à la postérité. En effet, la nécessité de réserves n´est nullement un privilège des grandes puissances. J´entends l´objection : on réserve quand on est rassasié ! La réponse est : la tempérance et la prévoyance garnissent un grenier !

 

Je me répète : Chef d´un gouvernement, j´ai mesuré, avec peine, la difficulté de notre pays de faire face immédiatement, par ses propres moyens, aux conséquences des catastrophes en attendant l´« aide » de la Communauté Internationale. Les dégâts comme ceux dus à des tornades donnent lieu à des agitations alors que ces tempêtes sont prévisibles comme leurs dégâts. En effet, nous manquons d´un minimum de réserves, mais assurément cette inquiétude tient du passé.

 

A la souveraineté donc déclamatoire, à l´éloquence de tribune et à la suffisance remplie de vide qui flattent notre « indépendance de drapeau » et qui divertit, essayons alors de substituer le silence de l´action humble, persévérante, ardue de tenter de bien faire déjà ce que nous pouvons faire et éviter d´épouser des querelles qui ne sont pas nôtres même si une frontière se défend loin de sa frontière.

 

Le silence et l´apparente neutralité du Cameroun dans cette turbulence de l´Afrique Centrale sont indicatifs alors que ce pays, locomotive économique de la Communauté Economique et Monétaire des Etats de l´Afrique Centrale, a des atouts pour jouer un rôle international à la mesure de ceux-ci.

 

Mais, c´est aussi vrai que ce pays, qui affiche avec constance depuis son Premier Président un profil bas à l´extérieur, a su tirer les leçons de sa guerre civile et se concentre désormais à préserver sa paix, sa stabilité et poursuivre sa construction, sourcilleux qu´il est pour ses intérêts. Il est, par ailleurs, de l´intérêt de notre pays que la sérénité et la stabilité se maintiennent chez ce voisin qui est notre principale porte économique. Ce qui ne nous empêche pas, bien au contraire, de penser à éviter l´étouffement en passant à plusieurs voies de sorties et à redonner notamment de la vigueur au transport sur l´Oubangui.

 

Au demeurant, notre diplomatie ne s´est toujours pas accordée sur l´importance qu´est le Cameroun. Et autant pour moi même si, sous le Président Kolingba, les diplomaties centrafricaine et camerounaise ont réactivé la commission mixte entre les deux pays qui languissait depuis si longtemps et j´ai conduit à Yaoundé la délégation centrafricaine.

 

DES RAPPORTS SOUVENT AMBIGUS ET COMPLEXES

 

« Pseudo Etat », la République Centrafricaine a ainsi besoin de la France et du monde francophone, dût notre orgueil en pâtir. Plus que notre premier partenaire, celle-ci accepte que notre pays recoure à ses connexions auprès de grandes institutions économiques et financières ou politiques comme les Nations Unies où la République Centrafricaine est depuis si longtemps absente. Elle a aussi porté le Tchad devant un des organes principaux de celles-ci, le Conseil de Sécurité comme elle a porté et porte encore la République Centrafricaine.

 

Le pays de Jules Ferry et de Raoul Follereau agit ainsi parce qu´elle a pareillement besoin de la République Centrafricaine. En effet, celle-ci est, non seulement le maillon de la chaîne France et Afrique, mais également et surtout un maillon faible situé au coeur d´une zone névralgique pour ses richesses, névralgique à la croisée de deux conceptions religieuses qui se disputent le monde avec des conséquences sur la sécurité et la stabilité des Etats. Elle ne peut donc laisser indifférent l´Occident. L´Eufor et aujourd´hui la Minurcat le prouvent.

Les grandes puissances ont les moyens d´attendre, de faire oeuvre de prospective à très long terme. J´ai visité, sous son ancien régime, la Guinée Equatoriale. C´était, en deux battements d´aile de Bangui, un monde de désolation qui vivotait sur des fortunes inexploitées. Aujourd´hui, c´est l´eldorado, première puissance financière de la Communauté Economique et Monétaire de l´Afrique Centrale. Bien sûr, les circonstances politiques et économiques internationales ont permis l´exploitation du pétrole équato-guinéen; ce qui n´aurait pas été possible dans un contexte national de troubles.

 

La République Centrafricaine est pressée, a une vue journalière, assaillie qu´elle est par des urgences de toute nature qui veulent des moyens immédiats pour leurs résolutions.

 

Apparemment les conditions internationales sont à la recherche des minerais. Si tel est le cas, il faut continuer à travailler assidûment à restaurer la paix et la confiance nationale, mais également travailler à l´aménagement de nos intérêts. L´aménagement de ces intérêts avec ceux de notre premier partenaire me parait une approche susceptible de bonifier l´action déjà dense de ce pays dans le nôtre. C´est ici, dans la détermination et la défense des intérêts propres, dans l´opposition ou la complémentarité de ceux-ci, que gît le noeud de nos relations avec la France.

 

 

Ce processus comporte des obstacles

 

Le premier obstacle est qu´il faut avoir à l´esprit que la justesse d´une cause ne signifie nullement que celle-ci l´emportera. Les exemples foisonnent. Je ne cite qu´un que j´ai vécu au plan diplomatique. En effet, voter, seul, contre le programme indicatif de planification de l´Afghanistan comme je l´ai fait au nom de la République Centrafricaine à Genève lors d´une réunion du PNUD, témoigne de cette assertion.

 

L´Afghanistan, comme la République Centrafricaine, était classé parmi les pays les moins avancés. La solidarité aurait dû jouer entre ceux-ci. Mais ce pays, à l´époque, était occupé par l´URSS et les pays faibles avaient à choisir un camp : approuver le programme de l´Afghanistan revenait à approuver l´intervention soviétique et être contre l´Occident ; le désapprouver est sauvegarder nos relations avec celui-ci. Rouge ou Blanc ! Rouge de la révolution et blanc de la contre révolution russe! La tierce voie qui était d´approuver le programme puisqu´il s´agissait du sort de la population d´un pays pauvre qui était exclue.

La frustration qui peut naître de ce genre de situation due à la prééminence de rapports de forces est parfois immense. L´Etat est insensible à cette flétrissure mais l´homme s´élève souvent en vain pour atteindre cette insensibilité puisqu´il est de chair même si l´essentiel est la primauté de l´intérêt de l´Etat, d´un pays.

 

A ce propos, Hubert Védrine souligne ce qui suit : « il est vrai que c´est très difficile- pour ne pas dire plus- d´être l´ami et l´allié de l´hyperpuissance américaine sans que l´on considère que l´on doit, pour cette raison, s´aligner automatiquement sur elle ».

 

Si telle est l´appréciation de la France , « puissance à vocation mondiale », jamais colonisée et membre permanent du Conseil de Sécurité à l´égard des Etats-Unis, il est au-delà du « très difficile » pour la République Centrafricaine , dans son extrême faiblesse, le mot qui peut parfois qualifier sa relation avec les grandes puissances.

 

Le deuxième obstacle du côté centrafricain est d´éviter cette grave méprise de penser qu´un changement de régime en France ou dans les grands pays aura pour conséquence des changements à l´extérieur qui remettraient en cause les intérêts de ces puissances. Comme on célèbre Obama. Certes, l´élection d´un noir à la tête de la première puissance est remarquable comme a été remarquable l´élection de Nelson Mandela. L´Afrique, qui a tant souffert dans sa chair le mépris qui lui niait le statut de l´homme, a donné naissance sur le plan politique à ces monuments de la liberté de l´égalité. L `élection d´ Obama est emblématique de la formidable capacité de ce « melting pot » américain et de ce que les valeurs qui conduisent cette nation imprègnent maintenant, après tant de lutte, la majorité des citoyens de ce pays. Mais Obama est américain et il faut se garder de l´euphorie.

Car, en vertu de cette méprise on a célébré en Afrique et en République Centrafricaine la victoire de la rose en 1981 en France comme l´avènement d´une ère nouvelle. Jusqu´à ce que le ministre de la Coopération , Jean Pierre Cot quitte le gouvernement et rappelle à la réalité, celle de la prévalence des intérêts de l´Hexagone et de leur permanence. Le socialiste Cot, semble t-il, voulait donner un contour  nouveau  aux relations entre l´Afrique et la France.

 

Une autre rupture était aussi celle voulue par La Baule qui instaurait la liaison entre la démocratie et l´aide au développement. Cette liaison ne pouvait faire qu´illusion et elle l´a fait. En effet, elle occultait les intérêts des Etats en laissant accroire que la prime à la démocratie était détachable de ces intérêts alors que toute « aide » est un acte de politique étrangère visant justement à les préserver. L´on ne saisit point ou l´on ne saisit que trop bien que des régimes, qui sont bien loin d´appliquer des valeurs démocratiques ,ne fût ce que celles des élections de leurs dirigeants, soient si courus. Ces pays disposent du pétrole, des richesses minières et comme on le dit parfois, la démocratie s´arrête là où l´intérêt de l´Etat commence. Il était donc normal que la République Centrafricaine qui, à l´époque, entretenait des rapports en dents de scie avec la France et par voie de conséquence avec l´occident, ne puisse que revendiquer, en vain, comme de « justice  « la prime à la démocratie ». Ceci mérite un autre développement et d´ailleurs, l´évaluation de la rupture voulue par La Baule reste à faire.

 

Le Président Sarkozy a annoncé la refondation ou la rénovation des relations entre la France et l´Afrique lors de son voyage en Afrique du Sud. Une dimension particulière de cette refondation concernera les accords dits de défense qui doivent être adaptés pour « reposer sur les intérêts stratégiques de la France et ses partenaires africains ». Il a également annoncé une  initiative de soutien à la croissance économique  de l´Afrique. Ainsi, le temps d´une nouvelle « rupture » serait venu. Il est encore trop tôt pour mesurer l´amplitude de la nouvelle rupture annoncée. Cependant, comme son prédécesseur socialiste Cot, le ministre de la coopération de Sarkozy qui voulait réformer les rapports entre l´Afrique et la France a subi le même sort. Au lieu de le laisser créer des remous, on l´a envoyé s´occuper d´un front inerte, celui des anciens combattants. Dans ce contexte, le voyage des officiels français à Libreville ressemble fort au voyage de Canossa qui est la quête d´une amende honorable. Les eaux agitées devaient redevenir planes.

 

Cependant, Il y aura toujours des remous entre l´Afrique, la République Centrafricaine et la France puisque le passé colonial continuera longtemps de porter ombrage.

 

C´est le troisième obstacle à franchir

 

D´abord du côté d´Outre Méditerranée ou Atlantique, persiste en effet une tendance à ne voir que des incapables dans les ressortissants des anciennes colonies et dans les Centrafricains. Pourtant, au niveau de la connaissance, de l´expertise, et de plus en plus au niveau des affaires, rien ne justifie parfois, bien au contraire, cette appréciation. En effet, Il y a comme un refus à regarder la réalité de cette égalité qui confine parfois le ressortissant d´Outremer au travail de seconde, voire de troisième zone, tout simplement parce qu´il est de couleur noire ou basanée. Car, l´interlocuteur des pays développés continue d´agir selon ce mot qui serait d´Alexis de Tocqueville  qui est qu´: « il y a un préjugé naturel qui pousse l´homme à mépriser son inférieur longtemps après qu´il est devenu son égal ». Cette déconsidération, consciente ou inconsciente, qui est parfois portée à l´ex colonisé dans son propre pays et frise le racisme , peut entraîner des conséquences étonnantes. Dans les pays comme les nôtres, qui ne se sont pas encore suffisamment affirmés par rapport au passé colonial et contre celui-ci, la suffisance du ressortissant de l´ancienne puissance coloniale est telle qu´ il n´est donc pas étonnant que lors des élections françaises de 1981, la République Centrafricaine soit le pays d´Afrique où le vote favorable à Le Pen soit venu en tête. C `est à dire que l´expatrié qui vit ici et même y vit très bien adopte la politique exclusive de l´extrême droite. Cependant l´ancien colonisé peut camper aussi des attitudes qui peuvent choquer. L´ « immigré » est virulent des fois à l´égard de son pays d´accueil. Par ailleurs, l´ « inférieur » de Tocqueville peut avoir, dans sa quête d´affirmation de soi et de justice, des réactions dommageables parfois pour sa propre cause surtout qu´oubliant les rapports de force dans les affaires de l´Etat, il constate que le « supérieur » l´exploite et qu´en plus, ce dernier ne lui arrive parfois pas à la cheville et n´est ni un modèle de bonne gestion ni celui d´intégrité.

 

Nous semblons oublier cette maxime qui est « à bon mentir qui vient de loin » de telle sorte que des personnes à crédibilité douteuse trouvent voie royale dans notre pays, pontifiant sur tout et rien pour faire écran de fumée pour se remplir les poches.

 

Un exemple : une institution financière internationale a fait recruter un économiste pour enseigner dans un ministère centrafricain un modèle macroéconomique. Il s´est trouvé que cet « expert » n´en savait pas plus que les cadres centrafricains : il en savait même moins ! Pourtant, il a été payé c'est-à-dire que la République Centrafricaine a jeté de l´argent par la fenêtre.

 

La compétence existe dans ce pays. Il faut la reconnaître et lui accorder confiance jusqu´à ce qu´elle se dévalorise elle-même par son incompétence notamment. Il n´y a pas que des têtes de cailloux en République Centrafricaine. Mais reconnaître cette compétence est alors lui assurer un minimum de sécurité matérielle, bien sûr, mais surtout la sécurité physique, morale et lui éviter des querelles d´a priori qui la bloqueront. I

 

C´est pourquoi, lors d´une conférence que j´ai donnée sur le thème «  quel leadership pour l´Afrique Centrale » organisée par « LEAD francophone », organisation financée par le Canada à l´intention de la jeunesse de notre sous région, j´avais estimé qu´il ne fallait pas jeter la pierre aux cadres restés en dehors de l´Afrique tant que ce minimum ne leur aura pas été garanti. Il est trop facile de demander des sacrifices aux autres. Je relève ici ces maux qui maintiennent insidieusement ce « complexe » de supériorité et infériorité : un ressortissant d´outre Méditerranée ou outre Atlantique est un expatrié » avec tout ce qui concerne la peine d´être en dehors de sa patrie qui a plus de valeur que celui de l´ « immigré ».qui quitte son enfer pour rejoindre cette « patrie ». Cependant, accepter une immigration choisie est avouer que dans ces « enfers », il y a des qualités qui équivalent ou dépassent celles du lieu d´immigration.

 

Cela dit, il est vrai que nous faisons, Centrafricains, oeuvre souvent d´une si grande dextérité pour le mauvais notamment dans l´imprévoyance, l´inorganisation, la méfiance et le discrédit de nous mêmes que la politesse affichée par l´extérieur recouvre, à peine, le mépris dont parle Tocqueville et qui se transforme, entre quatre murs, en rires aux éclats qui font le pourtour de la tête de l´étranger.

 

Car, l´âge adulte que nous réclamons n´est pas seulement opposable à l´extérieur mais à nous-même d´abord. En effet, persiste du côté africain et spécialement Centrafricain, une tendance à justifier notre piétinement principalement par l´action de l´ex puissance colonisatrice. Certes, elle demeure ce partenaire historique dont l´influence, ne fût ce que celle de la langue et de la culture, reste prépondérante. Ce coéquipier a eu quelques fois avec nous des crocs en jambes qui ont heurté notre sensibilité et sa compagnie peut être étouffante. L´on déduirait alors que les Etats, qui sont sans passé colonial, seraient d´excellents équipiers, « altruistes », porteurs d´un bol d´air de grande pureté.

 

C´est bien sûr une illusion. Ces Etats « altruistes » exploitent, commercent et profitent aussi. Ils sont d´autant plus froids et mus par le gain qu´ils ne sont nullement tenus par une quelconque « responsabilité historique » qui pourrait leur être reprochée comme exutoire à nos problèmes.

Au demeurant, cette responsabilité devient de moins en moins justifiable. Car, cette prééminence de la France n´a pas empêché notre pays, comme les anciennes colonies, de nouer d´autres coopérations même dans des domaines sensibles comme celui de la défense. Cette responsabilité est aussi difficilement invocable partout et en tout après plus de quarante ans de vie « indépendante » et que les précédents à éviter sont légion comme en République Centrafricaine.

 

C´est ce qui faisait dire au Président Tandja du Niger, qui coprésidait l´atelier sur les infrastructures au Sommet sur le NEPAD à Dakar en 2002 où j´ai conduit la délégation centrafricaine, qu´« un demi siècle de tâtonnements est un peu trop ». Ou, comme le Président Laurent Gbagbo de Côte d´Ivoire de soutenir que « prolonger une histoire n´est pas répéter les échecs, les oublis, les frustrations. Il s´agit d´explorer les voies non empruntées, de libérer les voix étouffées et les aspirations occultées. . .», dans la préface de « Fonder une nation africaine démocratique et socialiste ».

 

D´ailleurs, l´on ne voit pas en quoi la prééminence de l´extérieur et de la France nous empêche d´accorder nous mêmes la prééminence à notre intérêt général et d´agir en conséquence.

 

A commencer par sérieusement prendre, comme je l´ai, en tant que Directeur de Cabinet, souhaité lors d´un de mes voeux au Président Patassé, la mesure du monde actuel si ouvert, qui va si vite, et où des valeurs comme ceux des droits de l´homme, notamment ceux de la préservation de la vie humaine, sont désormais un principe évaluable de gouvernement. Ne pas le faire est courir le risque d´un fracassant divorce, car les aspirations de 2000 sont celles de 2000 et l´on dépenserait une grande énergie et de l´argent à chercher vainement des boucs émissaires du divorce si celles-ci n´étaient pas perçues.

 

La République Centrafricaine est donc ouverte à toutes les coopérations. Cependant, la réalité est qu´avec la France ou d´autres Etats, le partenariat « égal », si jamais celui-ci existe, est une vue de l´esprit. Notre pays pratiquera longtemps l´art du partenariat le moins inégal possible, que ce soit avec les autres Etats et les grands groupes dont les budgets dépassent, et de fort loin parfois, celui de la République Centrafricaine.

 

L´objectif de ce partenariat ou de cet « échange inégal » si l´on emploie un langage militant, est d´attirer le plus grand nombre possible les affaires et des vraies qui constitueront, si possible avec un capital national, un tapis générateur de richesses. En payant ses impôts, ces affaires régulières permettront déjà à l´Etat de disposer de moyens pour assumer de manière continue ses obligations de solidarité.

 

Car, il y a des étapes à tout et surtout des étapes à cerner et à franchir dans la vie des Etats.

 

 

CONNAITRE UNE LANGUE ET PARTAGER NOS TOURNURES DE PENSER

 

Le Gabon, le Cameroun et la Côte d´Ivoire, notamment ont construit principalement d´abord avec les entreprises françaises, une infrastructure économique. A une foire exposition de l´agro-industrie à Genève, j´étais stupéfait par le stand du pays du Président Houphouët- Boigny. Ce stand n´avait rien à envier à ceux des pays occidentaux et je me suis senti si petit à côté de mon collègue ambassadeur Amara Essy, futur Secrétaire Général de l´OUA, qui me présentait aux visiteurs ; moi dont le pays, mal famé, n´était même pas là et dont le titre pompeux d´ambassadeur que je portais ne déplaçait que du vent. Bien sûr, je me suis éclipsé à la première occasion, maudissant mon indécrottable curiosité.

 

Sans m´aventurer dans un domaine que je ne maîtrise pas, j´entends la critique de « croissance sans développement » et d´un endettement excessif faite alors à la Côte d´Ivoire. Mais, j´observe d´abord que ce pays n´a jamais, à ma connaissance, connu de retards de salaires et je pense aussi que les services sociaux, l´ensemble scolaire et universitaire ainsi que les voies de communication n´ont aucune mesure avec les nôtres.

 

Je présume ensuite que la mutation de politique, professée par le nouveau régime disposera, en l´améliorant, de moyens que lui fournira cette infrastructure économique valorisante qui a été préservée et qui permet à ce pays de demeurer la locomotive de l´Afrique de l´Ouest malgré une partition de fait. Quant à l´endettement, elle devrait nous inspirer pour éviter de transférer aux générations futures un lourd fardeau qui justement ôtera la capacité de manoeuvre que le présent est censé leur préparer.

 

Houphouët- Boigny, dont j´ai bu, malgré l´âge avancé de l´auteur, la magistrale intervention non écrite pendant presque une heure sur l´Etat du monde et des relations franco-africaines au Sommet France- Afrique de Casablanca où j´ai accompagné le Président Kolingba, a laissé un héritage économique assurément imparfait mais qui est une base solide.

 

La question n´est donc pas de justifier un quelconque monopole de la France , au demeurant difficilement admissible, dans ce monde ouvert désormais. La question est de jeter fermement avec un partenaire que nous connaissons et qui nous connaît, les fondements fermes d´une infrastructure économique qui puisse avoir un effet d´entraînement sur le plus grand nombre possible des secteurs du pays.

 

Il y a un élément important pour le renforcement de cette coopération : celui de partager une langue et même de connaître, dans une certaine mesure, nos tournures de pensée. Mais plus que ce partage, la Francophonie devra ou véhiculer une langue assise sur une économie forte ou elle s´anémiera, se sèchera et mourra après avoir mené en vain une bataille d´arrière garde.. Je peux postuler que l´initiative de soutien à la croissance annoncée par la France en Afrique du Sud n´est pas sans lien avec cette économie francophone puissante et où ne doit pas être absente la République Centrafricaine.

 

Comme également sont des pas appréciables vers cette économie les expositions sur les métiers organisées par l´Alliance française de Bangui avec le concours du Rotary Club et le patronat centrafricain pour inculquer l´esprit des affaires chez les jeunes. Car, la bataille principale pour les générations à venir sera économique.

 

Franchissant individuellement ou de concert ces obstacles, la République Centrafricaine, la France et la Francophonie ont un bout de chemin à parcourir ensemble. Ce parcours requiert un cadre de sérénité dans les relations des Etats propice à la franchise comme cela doit l´être entre de vieux partenaires. Cette franchise est gage de l´amitié fondé sur les intérêts qui savent préserver les personnalités et celle de la République Centrafricaine, même dans sa faiblesse.

 

La France a des intérêts planétaires, d´une grande puissance, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies. Elle tient le haut du pavé. La République Centrafricaine est « pseudo Etat » dont les intérêts sont si petits et devraient d´abord être tournés sur elle-même, sur la satisfaction des besoins élémentaires de sa population qui sont santé, école notamment. Elle tient le bas du pavé. Il est de l´intérêt de la France de renforcer ce pavé comme il est de l´intérêt de la République Centrafricaine , voyant se fendiller ce pavé, de chercher des concours autres que ceux de la France si celle -ci estime qu´il faut seulement tenir le haut du pavé sans se préoccuper de sa fondation.

 

La journée internationale de la Francophonie me fournit ainsi l´occasion de participer, comme citoyen, au débat, somme toute normal, sur les relations de la République Centrafricaine , de l´Afrique et de la France. Ces relations ont un âge adulte et doivent être dépouillées des entraves, notamment de cette sensibilité et ne laisser subsister que le nécessaire besoin de l´un et de l´autre qui n´exclut nullement toute ouverture.

 

Ces Français sont décidément forts mais ils ont besoin des faibles comme la République Centrafricaine.

 

DES RELATIONS PARFOIS DIFFICILES A GERER

 

Écrivant ces lignes, je me remémore l´exquise gentillesse dont j´ai été gratifié, celle d´appartenir au « lobby colonialiste », comme si les berges de l´Oubangui et de l´Ouham étaient celles de la Seine ou de l´Escaut, lors d´un débat à l´assemblée nationale quand mon gouvernement a été interpellé sur la question « de la paix par rapport au retrait imminent de la troupe française basée en Centrafrique ».

 

En réalité, cette interpellation était motivée par un article du journal « Libération » qui annoncerait la déstabilisation du régime.

 

Ébranlé, blessé doublement et profondément à travers mon épouse et dans la foi en mon pays , j´ai répondu avec cette verdeur qui a surpris et m´a même interrogé après. Mais celle-ci a affleuré parce qu´elle a été précédée par une forte contrariété.

 

D´abord, je trouvais inapproprié, disproportionné qu´un gouvernement et un parlement, supputant à partir de l´article d´un journal, fût-il français et proche du parti socialiste aux affaires, tiennent une séance publique alors qu´il y a des voies idoines comme le droit de réponse ou des démarches diplomatiques.

 

Ensuite, la défense étant du domaine réservé du prince, j´ai été tenu loin des discussions sur la question du retrait des troupes françaises quand le ministre français de la défense est venu en débattre, tout ancien directeur de cabinet, ancien ministre des Affaires Etrangères et Premier ministre en exercice que j´étais. Je n´étais donc pas l´autorité indiquée pour répondre aux questions des députés. Je me refusais de porter le chapeau d´un autre. Enfin, même s´ils se percevaient comme une volonté légitime d´affirmation, je trouvais inopportuns les propos parfois d´une rare violence qui, tranchant avec cette faiblesse de la République Centrafricaine, rejetaient la France tout en l´appelant, donnant un cours chaotique à nos relations avec ce pays et avec nos principaux partenaires, compliquant ainsi l´action du gouvernement.

 

Dans ce contexte de méfiance, insister sur la sérénité dans les relations d´Etat à Etat pouvait paraître comme ne pas admettre la position du souverain ; pouvait aussi paraître comme faisant le jeu de la France que de mettre notamment en exergue la disponibilité de la famille francophone d´aider notre pays à sortir des crises répétitives comme cette famille l´a décidé au Sommet de Ouagadougou. J´ai pris, par trois fois, la parole à ce sommet, la plus importante étant celle au dîner restreint des Chefs d´Etats, de gouvernement et des représentants des Etats du groupe francophone où la République Centrafricaine était le plat de résistance. A mon corps défendant, j´ai dû, sur instructions du Chef d´Etat en Conseil des ministres, me présenter devant les députés où entres autres, j´ai reçu cette retentissante claque. Mais c´est le rôle aussi de l´homme public que de recevoir des claques. Les encaisser est parfois difficile mais en l´espèce, l´important était ailleurs. Cette interpellation traduisait la grande crainte de la République Centrafricaine, malgré les propos vigoureux de nationalisme entendus ce jour. Ainsi, la conscience de notre faiblesse serait-elle répandue ? C´est alors une assurance pour l´espérance.

 

Car, si tel est le cas, cette conscience autorise, avec quelque justesse et humilité, la mesure de l´ambition de notre patrie et les étapes de sa réalisation avec le concours de ses partenaires dont le principal demeure avec l´Union européenne, la France.

 

Construire une infrastructure solide avec ces partenaires pourrait ainsi mieux ouvrir la voie à d´autres partenaires. Car, une chose est de s´affirmer patriote, une autre est de construire, dans la dureté, l´adversité, la confrontation des intérêts, le patriotisme dont la dimension de préparer l´avenir de nos enfants est essentielle.

 

Vendredi 27 Mars 2009

 

Michel GBEZERA BRIA ancien premier ministre, ministre d´État à la Présidence de la République «DE LA REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE, DE L’AFRIQUE, DE LA FRANCE ET DE LA FRANCOPHONIE»

Origine : www.leconfident.net