Lettre ouverte de Prospère INDO au président DJOTODIA

Monsieur le Président,

Je vous remercie de l’attention que vous accorderez à cette missive. J’en avais adressé une à votre prédécesseur, à un moment où vous lui teniez la dragée haute. Je lui prodiguai quelques conseils et recommandations. En particulier, je lui demandai de ne point trop tirer sur la corde de la ruse pour se sortir d’affaire, lui enjoignant au contraire de jouer carte sur table.

Il ne m’a pas écouté ni crû ; vous voilà donc installé au faîte du pouvoir à sa place.

Vous y êtes parvenu, usant à la fois de la malignité qui était reprochée à votre prédécesseur et de la violence de vos factions rebelles. Vous voici coiffé de la tiare invisible du souverain. Qu’allez-vous en faire ?

Si l’on en croit vos parrains, les dix chefs d’Etat des pays membres de la communauté économique des Etats en Afrique centrale, vous allez organiser des élections libres et transparentes dans maintenant 15 mois, et introniser un vrai élu du peuple.

Comment y croire ? Vos prédécesseurs disaient pareil ! Et pourtant, dix autres présidents africains vous font confiance. Justement ! Je n’y crois pas car eux-mêmes ont emprunté la même voie pour s’installer au pouvoir. Depuis, aucun n’a abdiqué, la raison pour laquelle vous me voyez sceptique.

1 – La patience infinie du peuple.

La seule chose en laquelle j’ai confiance, c’est la patience du peuple. Elle est immense et bienveillante ; celle du peuple centrafricain l’est encore plus, sinon comment expliquer qu’il ait pu tolérer tant de médiocres à sa tête ?

Il leur trouvait des circonstances atténuantes :

André Kolingba a échoué car trahi par une cohorte d’universitaires petits bourgeois qui ont abusé de sa modestie pour se hausser du col et s’enrichir effrontément, douze années durant.

Ange Félix Patassé s’est perdu par sa faute ; il s’est entouré de partisans aigris, portés sur l’alcool et les jeux de hasard, qui ont fait des caisses de l’Etat leur casino, pendant dix ans.

François Bozizé lui avait un seul défaut : il n’aimait que lui et détestait son peuple, raison pour laquelle il fit appel à des mercenaires tchadiens et aux déçus du « patassisme ». Tous ceux-là le portèrent au pouvoir contre la promesse d’une bourse coquette, qu’il n’honorera point. Voilà pourquoi son intermède présidentiel de dix ans, lui aussi, fut l’occasion de multiples rébellions de tous les mécontents. Beaucoup de ceux-ci figurent désormais parmi vos recrues.

 

Depuis trente ans, tous ces parias avaient dans la bouche le goût amer de la mauvaise fortune, et cherchaient un nouveau maître pour se refaire, portés par l’envie, la convoitise et la jalousie.

Au sens de l’église catholique, ce sont là péchés véniels, des fautes mineures, au même titre que la gourmandise, la luxure ou la vanité ; aussitôt pardonnés une fois confessés.

Mais il y a des fautes plus capitales. Ce sont les péchés dits mortels, ainsi appelés car on y perd sa tête, au propre comme au figuré, dès l’instant où on y met la main : le vol, le viol, le meurtre. Pour ceux-ci, point d’absolution jusqu’au jugement dernier, car ils corrompent l’âme et la condition humaine. Ils sont sacrilèges.

A bien y regarder, les rebelles de l’alliance Séléka, vos troupes, sont passés ces trois derniers mois, des péchés véniels aux péchés capitaux, avec une facilité déconcertante et une aisance insultante pour l’esprit humain. Il serait fâcheux de vous voir prendre le chemin de La Haye et du tribunal pénal international pour ces forfaits, puisque vous êtes, en tant que chef, le responsable en droit de tout ce charivari.

C’est pourquoi je vous conjure, non pas de renier vos compagnons d’hier – on ne les choisit pas toujours à bon escient -, mais de vous en séparer dès maintenant, reconnaissant ainsi votre erreur. Qu’ils s’en retournent d’où ils viennent, de gré ou de force ; c’est votre devoir.

Vous avez hérité à votre naissance du prénom chrétien Michel. C’est celui de l’archange, le plus grand des anges qui terrassa le dragon, et devint protecteur des églises et de l’Etat. Cet héritage, vous l’avez éprouvé en mettant fin à une tyrannie. Il vous reste à le renforcer en protégeant le peuple centrafricain, c’est-à-dire son église et son Etat.

2 – La malédiction de Jean-Bedel Bokassa.

Vos détracteurs vous prétendent plutôt mahométan. J’ai peine à le croire ; avec ce prénom, cela me paraît une galéjade.

Vous n’ignorez pas qu’un de vos prédécesseurs s’était converti à cette réligion. Cela ne lui avait pas réussi et avait jeté l’opprobre sur sa succession.

En 1974 en effet, le président Bokassa s’était converti à l’islam, sans doute pour amadouer Mouammar Kadhafi, à l’occasion d’un voyage officiel en Libye. Il se fit appeler Salah Eddine. Plusieurs membres de sa délégation l’imitèrent en la circonstance, dont son Premier ministre d’alors et son aide de camp.

A son retour à Bangui, celui qui n’était pas encore empereur de Centrafrique, mais déjà président à vie dès 1972,  instaura la charia dans le pays : on établit le droit civil à 7 épouses, on trancha la main droite aux voleurs, on exécuta quelques comploteurs (on ne disait pas encore de terrorristes), on fit périr 27 enfants martyrs dans une cellule immonde de la prison de Ngaragba, bientôt baptisée université Bokassa, par moquerie populaire.

A l’exemple de Néron, Jean-Bedel Bokassa se perdit dans un délire de pouvoir et chuta en septembre 1979, renversé par l’opération Barracuda.

Il trouva cependant pitié auprès de ses juges, lesquels lui épargnèrent la vie. Son successeur le grâcia après dix années d’emprisonnement. Au crépuscule de sa vie, Bokassa se proclama soldat du Christ et mourut dans son lit, non sans avoir jeté l’anathème contre son ancien Premier ministre qu’il tint pour responsable de sa descente aux abîmes.

Ange Félix Patassé, qui avait négocié la conversion de Tripoli, arriva au pouvoir en 1993 mais fut poursuivi 10 ans durant par le sort jeté par Bokassa. Il fut chassé du pouvoir par une insurrection militaire commandée par l’aide de camp de ce dernier.

La malédiction de Bokassa frappa également cet homme-lige, le général François Bozizé, qui succéda à Patassé après le coup d’Etat du 15 mars 2003. Il était lui aussi de la visite officielle en Libye, en qualité d’aide de camp du président à vie. Il connaîtra le même sort que son devancier puisque vos troupes l’ont contraint à la fuite dans l’exil, le 24 mars dernier, soit dix ans après son accès au pouvoir.

La malédiction de Bokassa, voilà ce contre quoi votre saint patron Michel l’Archange vous protège, si vous l’invoquez à l’occasion avec discernement.

3 – Une étape décisive dans la vie d’un peuple.

La République centrafricaine traverse en ce moment une étape décisive dans la vie d’une Nation, celle où ses fils soit se rassemblent soit s’entre-déchirent. Pour éviter l’éclatement de la Nation, il y faut la concorde et la fraternité. En cette occurrence, vous êtes sous le fil du glaive de Damoclès.

En ce chemin de croix, qui est une ascèse physique, intellectuelle et morale, il y faut trois qualités :

le courage de reconnaître ses propres errements,
l’honnêteté d’admettre la part de vérité d’autrui,
la loyauté de respecter les engagements pris.

Des erreurs, vous en avez commises, sans doute par vanité plus que par cupidité. Elles ne sont donc pas capitales, si vous les reconnaissez et y mettez un terme : un gouvernement pléthorique, des familiers incompétents affectés à des postes de complaisance, etc.

L’honnêteté c’est admettre que vous vous êtes trompé sur le compte de vos compagnons de route. Il vous faut donc reconnaître que le peuple centrafricain ne mérite pas son calvaire actuel. Il vous appartient de réparer le tort fait aux victimes des vols, viols et assassinats d’une part, de renvoyer chez eux ceux de vos combattants qui ne sont pas du pays d’autre part, et, ensuite, de regrouper et associer tous les Centrafricains, en particulier ceux de la diaspora, à la recherche d’une République consensuelle.

La loyauté consiste enfin à préparer l’avènement de cette nouvelle République en accélérant les conditions matérielles d’une consultation rapide de nos concitoyens, dans le cadre de scrutins libres et transparents, pour la désignation d’un nouveau président et des représentants du peuple. Pour ces élections, juillet 2014 est une échéance raisonnable. Elle permettrait au pays de retrouver, pour le 1er décembre 2014, une nouvelle chambre et un nouveau chef de l’Etat.

Il n’est donc pas utile de perdre du temps en conciliabules stériles au sein du Conseil national de transition. Les maux dont souffre la République centrafricaine sont connus, en leurs causes et conséquences ultimes. Il n’est pas nécessaire de délibérer pendant 18 mois ! Il suffit d’y apporter les remèdes qu’il convient : le courage, l’honnêteté et la loyauté, de tous les Centrafricains d’un côté, avec le renfort de nos alliés traditionnels, dont la France, de l’autre. Un appel solennel en ce sens serait le bienvenu ; c’est le seul recours qui reste.

Voilà, Monsieur le Président, les réflexions que je souhaitais vous faire partager.

Dans l’attente de vous voir à l’œuvre, je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l’assurance de mes respectueuses salutations.

Paris, le 22 mai 2013

P. INDO