A l'ombre du G20, la Centrafrique se meurt !

 

 

Le président François Hollande semble enfin avoir pris la dimension tragique du problème centrafricain, en invoquant le risque de « somalisation » du pays. A l'issue du sommet du G.20 à Saint-Pétersbourg où cette situation n'a pas été évoquée, le président français aurait tort de fermer la parenthèse. Déjà, quelque conscience s'éveille, tel le député de la Nouvelle-Zélande et président de l'Action Mondiale des Parlementaires, Ross Robertson, ou les militants du MLPC (mouvement de libération du peuple centrafricain) en colère contre leurs instances dirigeantes.

 

Certes, le président français a fait appel à l'organisation des Nations unies et à l'Union africaine pour conjurer le sort tragique de ce pays, ancienne colonie française d'où partira la 2ème division blindée  du général Leclerc qui œuvrera à la libération de Paris. C'est un tort : l'ONU et l'UA sont en Centrafrique depuis le début de cette crise, née en 1996, et n'y ont vu goutte. Toutes les solutions politiques échafaudées en la circonstance – conférence nationale, conférence « Vérité et réconciliation », dialogue inclusif, etc.- ponctuées d'autant d'amnisties générales, ont conduit au même résultat : le retour des conflits ethniques ou tribaux, alimentés par des chefs de guerre faisant largement appel à des mercenaires, la prise du pouvoir par la force et sa régularisation par des élections générales tronquées.

 

Les protagonistes sont connus et ont pignon sur rue. Ce sont les mêmes depuis quarante années. Ils sont les héritiers du général-président à vie- empereur Jean-Bedel Bokassa. Certains sont décédés mais leurs disciples arpentent les allées du pouvoir actuel ou accaparent les méandres du programme DDR (désarmement, démobilisation, réinsertion) mis en place par l'ONU. Ils se nourrissent des fonds versés par les bailleurs internationaux, l'ONU et l'Union européenne en particulier. Et pendant qu'ils ripaillent, le peuple affronte une crise humanitaire aigüe.

 

En faisant appel une fois encore à ce dispositif, et donc à l'ONU et à l'UA, le président François Hollande joue l'échec.

 

Certes l'Union africaine se mobilise et promet de porter à 3 600 l'effectif de la Micopax, la force de stabilisation africaine mise en place par la commission économique des Etats de l'Afrique centrale (CEEAC), et qui deviendra prochainement la MISA (mission internationale de soutien à la Centrafrique). Pour l'heure, le mandat de cette force n'est pas connu. S'agit-il d'une force d'interposition ou d'intervention ? De même, son déploiement reste incertain puisque les pays candidats autres que ceux de la CEEAC ne sont pas encore connus, à l'exception du Burundi. Simple élément de communication ou de packaging ? La suite le dira !

 

Quelle que soit cependant la configuration de cette nouvelle force africaine, on peut craindre qu'elle ne demeure inefficace. Jusqu'alors l'essentiel de ces forces est implanté à Bangui, la capitale du pays, sans pouvoir ni influence à l'intérieur. N'ayant pas les moyens logistiques d'une force d'action rapide, la Micopax a laissé libre cours à tous les groupuscules armés et autres groupements militaro-politiques.

 

Sur le terrain, les choses empirent.

 

Il y a quarante ans, le général-président à vie Jean-Bedel Bokassa se proclamait empereur de Centrafrique. L'épisode de ce couronnement déclencha l'hilarité dans le monde entier et les Centrafricains passèrent aux yeux de l'opinion internationale pour les idiots du village planétaire. L'heure est venue de payer au prix fort cette mascarade que la France du président Valéry Giscard d'Estaing solda par l'intervention Barracuda.

Depuis, les héritiers putatifs du dictateur ont suivi le même chemin, et ont tous trouvé la mort en dehors de leur pays d'origine, telle la mer rejetant un cadavre encombrant ou indésirable, comme un signal du destin.

 

David Dacko, replacé sur le fauteuil présidentiel en septembre 1979 et débarqué par une révolution de palais en 1981, est décédé dans un hôpital camerounais où il avait été transféré sanitairement.

Le général André Kolingba, son successeur décèdera en France au sortir de l'hôpital du Val de Grâce.

Ange-Félix Patassé, qui lui succéda en 1993, à la suite d'une élection présidentielle incontestée, et fut réélu en 1999, rendra l'âme entre Bangui et Yaoundé, sur le chemin de son évacuation sanitaire vers la Guinée équatoriale.

De ces dinosaures qui se sont partagés quarante années de pouvoir, un seul survit. Il s'agit du général François Bozizé, ancien aide de camp de Bokassa et chef d'état-major de Patassé.  Arrivé à la tête du pays à la suite d'une insurrection militaire, il mit le pays en coupes réglées dès les élections présidentielles de mars 2005. Sous la pression de la communauté internationale, il fut contraint d'organiser de nouvelles élections, présidentielle et législative en 2011, pour respecter les termes de la constitution du pays : il fut réélu président, et les membres de sa famille et de son clan envahirent les travées de l'Assemblée nationale comme députés.

 

Débarqués du pouvoir en mars 2013 par l'entrée des éléments rebelles de la Séléka, qui lui reprochaient de vouloir travestir la constitution en se portant candidat à un troisième mandat, il coule des jours paisibles en France, tout en entretenant la braise sur le terrain. Il vient encore de montrer son pouvoir de nuisance ces tout derniers jours. Le 6 septembre dernier un groupe armé qui se réclame de lui a attaqué les villages environnants les villes de Bossangoa, son fief, et de Bouca, la cité qui vit naître le défunt Charles Massy… Ces attaques ont fait une soixantaine de morts, dont deux humanitaires de l’organisation non gouvernementale ACTED.

Le groupe armé qui se dénomme Anti-Balaka cherche à prendre pied dans la région de l’Ouham, dont Bossangoa est le chef-lieu, afin de partir à la reconquête du pouvoir central, comme l’a laissé entendre l’ancien chef de l’Etat déchu, actuellement en villégiature à Paris. François Bozizé s’agite donc au nez et à la barbe de François Hollande !

 

Le paradoxe centrafricain.

 

Localement, le chaos se perpétue.

 

Ainsi, entre le 16 et le 20 août 2013, une dizaine de villages ont été une dizaine de villages auraient été détruits par des éléments des ex-rebelles Séléka, près de la ville de Bouar, l'ancien centre névralgique de l'armée centrafricaine où était implantée l'école supérieure de formation des officiers d'active (ESFOA). Plus de 4 500 habitations auraient été incendiées et une cinquantaine de villageois auraient été tués.

Sous la colonisation, Bouar était un bastion de l'armée française : Jacques Massu et Marcel Bigeard y tinrent commandement. Pendant la seconde guerre mondiale, lorsque le guyanais Félix Eboué, gouverneur général de l’Oubangui-Chari-Tchad répondit « présent », le premier, à l’appel du 18 juin 1940, Bouar servi de base arrière, le verrou du dispositif allié contre les forces du Maréchal Rommel dans la bataille du Sahara. Ce rappel historique ne se veut pas une reconnaissance de dette morale pour la France. Il s’agit d’une simple « respiration » nostalgique, comme un soupir.

 

Mardi 27 août 2013, les habitants du quartier Boeing de Bangui, soit 4000 personnes environ, hommes, femmes et enfants, envahissent le tarmac de l'aéroport international Bangui-M'Poko, exaspérés par les incursions des éléments rebelles des ex-Séléka, afin de se mettre sous la protection des forces de l'armée française. Trois jours durant, tous les vols furent interrompus et la RCA coupée du monde ! La population de Boeing sera délogée par le détachement Boali de l'armée française et des éléments de la Fomac.

 

Le 28 août 2013, une mission du Haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies, qui s'est rendue dans la localité de Paoua, à 500 kilomètres de Bangui, relève que 8 villages de cette ville ont été totalement incendiés faisant des centaines de mort.

Dans la même région, les habitants de la ville de Kabo affirment toujours subir des exactions de la part des éléments de la Séléka. Ces hommes en armes se seraient installés sur toutes les sorties de la ville pour contrôler tous les mouvements de la population, rendant difficile l'approvisionnement de la localité.

 

Le 30 août 2013, ce sont quelques 700 anciens soldats, fidèles du président déchu François Bozizé qui ont fait mouvement vers la ville camerounaise de Bertoua. Ils tentaient ainsi de rejoindre la centaine de militaires centrafricains qui avaient quitté Bangui au moment de la fuite du général Bozizé devant l'avancée des rebelles de la Séléka en mars 2013.

Ils furent bloqués par les autorités locales, car le Cameroun se trouvent confronté à un afflux de refugiés qui fait craindre pour la sécurité des populations locales. Déjà, un certain colonel Ali, un chef d'un commando de la Séléka, qui aurait frappé et tué le commissaire de la localité camerounaise de Tocktoyo, a été extradé par les autorités centrafricaines vers Yaoundé pour y être jugé.

Des scènes de massacres, de destructions, de pillages s’enchaînent les dimanche 8 et lundi 9 septembre dans l'ouest de la République Centrafricaine dans des villages autour de Bossangoa. Au moins 60 personnes ont été tuées au cours de combats opposant les forces du nouveau régime, la Séléka, à des hommes armés présentés comme des partisans de l'ancien président François Bozizé.

L'afflux des refugiés commencent à créer des problèmes dans les pays voisins. On compte aujourd'hui près de 210 000 centrafricains refugiés au Tchad, en République démocratique du Congo ou au Cameroun.

Dans ce dernier pays, les réfugiés sont accusés d'entretenir la délinquance, de provoquer des fausses déclarations de scolarité pour être inscrits dans les établissements d'enseignement locaux, voire d'alimenter des inscriptions frauduleuses sur les listes électorales camerounaises !

 

La crise centrafricaine risque dès lors d'ouvrir des plaies et des incertitudes dans les Etats voisins.

 

Il est temps de répondre de manière ferme et définitive à la situation chaotique qui prévaut en Centrafrique. Les autorités de la transition commencent à prendre la mesure de leurs propres responsabilités et insuffisances.

C'est à ce titre que le président Michel Ndjotodia a rappelé le pasteur José Binoua au gouvernement, en remplacement du numéro 2 de l'alliance Séléka.

Ancien homme lige du président déchu François Bozizé, le pasteur était responsable du ministère de la sécurité publique sous l'ancien régime.

 

Dans le même mouvement, deux autres anciens généraux ayant servi sous Bozizé, se sont vu confier les fonctions de chef d'Etat-major et d'Inspecteur général des armées, avec pour mission de former une seule armée avec les éléments épars des forces armées centrafricaines et les ex-Séléka.

 

Les éléments de la Séléka ont pour cela été cantonnés sur six sites dans Bangui, la capitale. On se souvient que les troupes rebelles avaient refusé de rejoindre leurs cantonnements de province.

Dès lors, ceux des éléments rebelles non cantonnés devront volontairement rendre leurs armements. On peut craindre que le principe du volontariat n'emporte pas l'adhésion de ces derniers.

 

D'autre part, avec les six sites militaires ouverts, la capitale de la Centrafricaine devient l'une des plus importantes villes de garnison en Afrique, avec au total dix campements militaires : les six sites Séléka, les camps Kasaï et De-Roux des forces armées centrafricaines, le camp Béal du détachement Boali de l'armée française et le camp de la Fomac.

Une telle concentration d'armes lourdes et légères peut faire craindre le pire. En effet, il n'y a rien de pire que des troupes armées désœuvrées. Il faut craindre la multiplication des actes d'indiscipline, de remise en cause de 'autorité du commandement, voire les risques de désertion, surtout si ces combattants mis à pied ne sont pas payés.

Pour tenir de tels cantonnements, le commandement doit se montrer inflexible dans le respect des règles de discipline et habile dans l'organisation de la vie en collectivité, en ménageant des temps de décompression. A condition que ce délai de cantonnement soit réduit au strict minimum.

 

Pour parvenir à un tel résultat, une seule issue semble possible et souhaitable, l'accélération de la transition vers le retour à la démocratie.

 

L’heure de la rupture a sonné !

 

En négociant un délai de 18 mois, les négociateurs du sommet de Libreville au Gabon, semblaient donner du temps au temps, ménager certaine susceptibilité en permettant au président François Bozizé d'aller au terme de son mandat et, surtout, donner à des hommes politiques nouveaux, l'expérience du gouvernement.

 

Malheureusement, le stratagème monté à Libreville a trouvé ses limites. Le général François Bozizé a fui ses responsabilités dès l'entrée des troupes rebelles dans la capitale, et le gouvernement pléthorique du Premier-ministre Nicolas Tiangaye n'a pas répondu aux attentes.

 

Le Premier-ministre lui-même ne correspond pas au profil du moment. On attendait, sinon un chef de guerre, au moins un homme politique d'envergure, capable de mobiliser ses compatriotes, par le verbe et l'exemple, aux vertus de l'effort et des sacrifices. A défaut d'un général Charles De Gaulle, efflanqué par la guerre mais inflexible au combat, on eût aimé voir apparaître un Winston Churchill, bourru mais conquérant. Au lieu de cela, le pays a hérité d'un notaire placide et courtois, pour ne pas dire courtisan, sans doute heureux de son propre sort et des privilèges attachés au confort douillet du pouvoir.

 

Il est curieux de constater que depuis l'établissement du gouvernement de transition, aucun membre du gouvernement de transition, et surtout pas le premier d'entre ceux-ci, ne se soit rendu dans toutes les provinces du pays pour exhorter la population au courage et à l'abnégation ! Il n’est pas question de renouveler l’expérience inutile des ministres résidents dont la seule efficacité était de s’accaparer des richesses des régions dans lesquelles ils étaient missionnés. Il s’agit pour tous les ministres, chacun à son tour, de se rendre dans les différentes provinces du pays afin d’impulser les actions qui relèvent de la compétence de leurs départements ministériels respectifs, d’encourager et réconforter par leur présence les préfets et sous-préfets qui travaillent dans des conditions extrêmement pénibles sur le terrain, et de soutenir les populations.

Ces visites leur permettraient de se rendre compte, des distances que doivent parcourir les enfants pour trouver une école, des kilomètres qu’une femme doit affronter, ses enfants dans le dos et sur la poitrine, afin de trouver un dispensaire, etc.

 

Il fut un temps où les cantonniers et les passeurs de bac étaient les salariés de l’Etat à être payés chaque mois. Les routes étaient alors entretenues et les ponts régulièrement consolidés. On pouvait parcourir le pays sans entraves. Depuis les choses ont changé, hélas. Au nom des politiques d’ajustement structurel imposées par le FMI, les cantonniers et passeurs de bac furent supprimés. L’Etat a installé des « barrières de pluies » afin d’arrêter la circulation des véhicules automobiles qui risquaient d’endommager les routes par grosses averses. Les barrières de pluies sont devenues des « péages » privés où des agents des forces de l’ordre monnayent les passages de ceux qui peuvent bien payer… Et la province s’est éloignée de la capitale !

 

Si l’on en croît le professeur français de mathématiques René Thom, « la science naît du jour où les échecs nous conduisent à regarder le réel de plus près » (in Eléments mathématiques de la morphogénèse) ! Alors, sans doute l’heure est venue, pour les hommes politiques centrafricains ou ceux qui se prétendent tels, de passer à la science politique en allant considérer leur peuple d’un peu plus près.

 

Pour rendre la vie aux Centrafricains, il est temps d'accélérer la transition en commençant à réunir et poser les conditions matérielles d'un retour à la démocratie. Car dans les conditions actuelles, le peuple ne peut sanctionner personne ni peser sur son propre destin.

 

Paris, le 9 septembre 2013

Prosper INDO