L'excuse et le bouc-émissaire

 

 

On connait la formule : « Celui qui veut faire quelque chose pour s'en sortir trouvera un moyen d'y arriver. Celui qui ne veut rien faire trouve une excuse ». Certes ! Mais parfois, il est plus commode de chercher des boucs-émissaires.

 

En ces temps de crises multiples, la République centrafricaine n'échappe pas à cette irrationalité. Aujourd'hui, ces boucs-émissaires sont les Tchadiens, entendez par là ceux que l'alliance rebelle Séléka aurait fait rentrer dans le pays pour prendre le pouvoir.

Au passage, on accuse le président du Tchad, Idriss Déby Itno, d'être le commanditaire de cette insurrection, dont le but ultime serait d'assurer sa tutelle sur la RCA. Par cette annexion, on renouerait ainsi avec la confédération Oubangui-Chari-Tchad de 1910 à 1934 !

 

Il y a d'ailleurs quelques hurluberlus qui, par des déclarations intempestives et insensées, essaient de donner corps à cette théorie du complot tchadien contre la Centrafrique. Il s'agit des individus regroupés au sein d'un prétendu Mouvement pour la fédération Tchad-Oubangui-Darfour (MFTOD), créé à N'Délé, dont le porte-parole serait un nommé Mahamat Abakar.

Outre le fait de réclamer la « fusion dans un Etat fédéral des actuels Etats de RCA, Tchad et des régions du Darfour, ainsi que des régions voisines sœurs qui appartiennent à d'autres Etats », le prétendu mouvement se fixe comme but :

 

-        donner un enseignement coranique et scientifique aux enfants

-        créer des groupes de protection et de défense contre les zarguinas et autres bandits et voleurs

-        envoyer des dons en Syrie pour les rebelles qui combattent Bacha al-Assad et faire des dons pour les réfugier syriens

-        offrir une prime de 800 000 francs Cfa pour ceux qui aideront à capturer les criminels de guerre François Bozizé, Levy Yakété et Joachim Kokaté

-        demander aux autorités compétentes l'interdiction de l'église du Christianisme Céleste.

 

Ce n'est pas la première fois que le projet d'annexion de la RCA est proféré à l'encontre du Tchad. Or, le Soudan et le Tchad ont fermement récusé ces accusations. L'un et l'autre pays ont condamné de la manière la plus forte et la plus officielle la présence de certains de leurs ressortissants parmi les troupes de la Séléka. Rien n'y fait.

C’est ainsi qu’un rassemblement, organisé à l’initiative du comité d’action pour la conquête de la démocratie (CADCA) et suivi par onze associations centrafricaines installées en France, s’est réuni le 16 septembre dernier devant l’ambassade du Tchad à Paris pour protester contre la « recolonisation ».

 

Pour asseoir leurs accusations, les procureurs du Tchad excipent du fait que ces rebelles engagés au côté de l'alliance Séléka sont majoritairement musulmans, parleraient l'arabe et non la langue sango !

Ils oublient cependant de préciser deux éléments essentiels :

 

-        que le nord de la République centrafricaine, du temps où ce pays n'était pas encore l'Oubangui-Chari, était déjà arabisant avant l'arrivée de la colonisation française (1895), sous l'influence du sultan Rabah et de son lieutenant Sénoussi ;

-        que si le sango a été élevé au rang de langue nationale au lendemain de l'indépendance du pays, il n'est ni enseigné à l'école, ni employé comme langue de travail dans les administrations.

Au demeurant, si les autorités tchadiennes avaient une propension marquée à envahir la Centrafrique, elles n'auraient pas eu du mal à dépêcher des soldats parlant le sango, tant cette langue est répandue au Tchad, de Moundou à Abéché, en passant par Doba et Sarh !

Signalons, pour être complet et objectif, qu'entre 1963 et 1965 pour ce qui concerne le Soudan – dit à l'époque anglo-égyptien – et 1975 à 1990 pour le compte du Tchad, la République centrafricaine a recueilli pendant ces périodes un nombre important de réfugiés de ces deux nations, fuyant les crises politico-militaires dans leurs pays respectifs. Certains de ces réfugiés se sont d'ailleurs définitivement établis en Centrafrique où ils vivent paisiblement et honorablement, de l'élevage, du commerce ou de l'agriculture.

 

On oublie d'autre part de relever que sous le régime du président Ange Félix Patassé, ce dernier avait conclu un accord avec le gouvernement tchadien d'Idriss Déby, projet visant à détourner le cours du fleuve Oubangui vers le lac Tchad au moyen d'un canal d'amené d'eau à hauteur du village centrafricain de Palembo. Ce projet a été repris à son compte par le président déchu François Bozizé, dont les thuriféraires revêtent aujourd'hui la toge de procureurs du Tchad.

 

Enfin, il est très improbable de faire du Tchad l'épicentre de la crise qui secoue la Centrafrique car ce pays, le Tchad, se trouverait alors des deux côtés de la barrière : engagé aux côtés de la rébellion Séléka et constituant l'épine dorsale de la force multinationale d'appui à la Centrafrique (FOMAC) et ce depuis 1997 !

 

1 - L’échec des élites.

 

Les crises centrafricaines s’expliquent d’abord par la faillite des élites centrafricaines. A force de nier la réalité des faits, on se condamne à perpétuer les mêmes égarements, les mêmes échecs, et donc à multiplier les crises.

 

Comme nous l’avons déjà démontré par ailleurs, le général André Kolingba a largement fait appel, en créant le rassemblement démocratique centrafricain (RDC), aux étudiants de l’après-guerre pour gouverner le pays. Pour mémoire, rappelons qu’il a confié la direction de ce parti successivement à Jean-Paul N’Goupandé, Joseph Mabingui, Laurent Gomina-Pampali, entre autres, avec les responsabilités du  secrétariat général.

Ces derniers étaient d’anciens militants de l’union nationale des étudiants centrafricains (UNECA), la branche centrafricaine de la fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF). A cette époque, la FEANF était traversée par deux courants antagonistes, l’une d’obédience marxiste orthodoxe proche du parti communiste français, l’autre courant, infiltré par les trotkistes, était de tendance maoïste. Elle portait la « théorie des trois mondes », à savoir l’Occident, la Chine et les pays du tiers-monde, l’Union soviétique et ses satellites ; celle-ci étant plus dangereuse que les deux autres, disait-on !

 

L’Uneca faisait partie de cette dernière tendance et privilégia la théorie de l’entrisme, portée par le mot d’ordre « Intégrons les masses populaires afin de nous éduquer en leur sein ». La stratégie mise en œuvre à l’appui de cette thèse était celle de « l’appui tactique et de la démarcation stratégique ».

Ils furent nombreux à regagner le pays, mais n’intégrèrent pas les masses populaires. Nul ne gagna les provinces, comme médecin, vétérinaire ou ingénieur agronome, pour travailler auprès des masses. Ils furent cependant nombreux à fréquenter les allées du pouvoir à Bangui.

 

Tous ne furent pas adouber ; beaucoup durent rebrousser chemin et regagner l’Europe, déçus par les conditions matérielles difficiles de travail, les rémunérations basses, les vexations politiques ou les tracasseries administratives. Ceux qui restèrent se coulèrent dans le bronze du pouvoir et travaillèrent à sa perte, soit dans l’ombre soit dans la clandestinité.

C’est dans ces circonstances que le mouvement de libération du peuple centrafricain, le MLPC, se développa dans la clandestinité. Elle en sortit dans le cadre de l’instauration du multipartisme instauré par le général Kolingba, en présentant la candidature d’Ange Félix Patassé aux élections présidentielles de décembre 1992.

 

Elu président, Ange Félix Patassé fut le premier président à faire ouvertement appel à des milices étrangères en Centrafrique. Il s’agit des éléments du mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba. C’était en 2001.

 

On connaît la suite : l’entrée des « Libérateurs » tchadiens appelés en renfort par François Bozizé dans le cadre de l’insurrection militaire qui renversa Ange Félix Patassé, le 15 mars 2003.

 

Il est surprenant de voir aujourd’hui le même général Bozizé accuser, par l’intermédiaire de ses sbires et porte-flingues, le Tchad, et en particulier le président Idriss Déby, d’être le responsable de sa chute !

« Il suffirait que les troupes tchadiennes présentes en Centrafrique quittent le pays pour que le rapport de forces d’inverse », plastronne-t-il, devant le journaliste du magazine Jeune Afrique qui l’interroge.

 

-          Quels reproches vous faites-vous ? poursuit le journaliste.

-          « Un seul reproche, celui d’avoir été naïf… Mes pairs m’ont trompé, surtout Idriss Déby Itno. Je lui ai fait confiance. Combien de fois n’avons-nous pas mangé ensemble » ? Comme si la naïveté était une marque de fabrique et, des agapes, l’essentiel du droit public international. Pauvre Centrafrique ! Il eût été mieux inspiré de faire le bonheur de son peuple.

 

Le général François Bozizé devrait reconnaître ses torts et son incompétence, au lieu de chercher des boucs-émissaires.

 

2 - François Bozizé et la défaillance des forces armées centrafricaines (FACA).

 

Avant de prendre l’hélicoptère qui va le conduire ce 24 mars 2013 sur le chemin de l’exil, le général François Bozizé, Président de la République centrafricaine, signe un décret remettant la ville de Bangui entre les mains … des troupes françaises et sud-africaines !

Cet épisode de la fuite du petit dictateur de Bangui dit tout de la décomposition des forces armées centrafricaines et de la confusion des genres au sommet de l’Etat centrafricain.

 

Si la RCA accumule sur son territoire toutes les rébellions et l’essentiel des forces mercenaires d’Afrique centrale, c’est d’abord parce que l’armée centrafricaine n’a pas été à la hauteur de ses missions : la défense de l’intégrité du territoire et la protection de la souveraineté de la Nation.

Aujourd’hui, du fait de la présence supposée d’éléments rebelles ougandais de la LRA sur le territoire centrafricain, l’armée ougandaise a droit de poursuite en RCA, tout comme une unité d’élite de l’armée américaine.

Si les militaires sud-africains se sont retirés depuis l’installation de la Séléka au pouvoir, il demeure sur place un contingent français de quelques 540 soldats et les troupes de la Fomac, dont l’effectif doit passer à 2000 hommes.

 

Le premier responsable de la faillite des forces armées centrafricaines n’est autre que le général François Bozizé.

Ce dernier est, depuis le début des années 1970, au cœur du dispositif militaire centrafricain, faisant parti du contingent d’officiers de la première promotion de l’école supérieure de formation des officiers d’active (ESFOA), créée par le général Jean Bedel Bokassa en 1967.

 

A sa sortie de l’école, il fut promu aide de camp du généralissime, président à vie de la République centrafricaine puis empereur de Centrafrique.

Cette période s’est traduite par au moins six à sept crises militaires, tentatives de coups d’Etat ou coup d’Etat réussi, si l’on en croit le recensement établi par le pasteur Josué Binoua.

 

« La première crise concerne le coup d’Etat du 1er janvier 1966 qui amènera le colonel Jean Bedel Bokassa, alors chef d’Etat-major général des armées, au pouvoir à la place du président David Dacko. Cette 1ère crise se traduira par l’exécution de plusieurs officiers soupçonnés de sympathie révolutionnaire en direction de la Chine.

La seconde crise est la tentative de coup d’Etat d’avril 1968, attribuée au colonel Alexandre Banza, l’organisateur du putsch de janvier 1966. Ce dernier sera exécuté.

 

La troisième crise militaire est une autre tentative de coup d’Etat intervenue en 1973, qui se conclura par la mise à mort du colonel Auguste Bongo, commandant d’armes de la garnison de Bouar ; elle fut suivie par une autre crise qui se traduira par l’exécution de Pierre Alain Mandé, commandant de l’ESFOA, Basile Kolegnako, commandant du 1er bataillon d’infanterie de Bouar. Cette crise conduira à la fermeture de l’ESFOA, considérée dès lors comme un nid de formation de putschistes.

 

La troisième crise militaire est la tentative de coup d’Etat du 3 février 1976 qui conduira à l’exécution du commandant Fidèle Obrou, commandant de la base militaire de l’Armée de l’air de Bangui, de son frère jumeau Martin Méya, des lieutenants Mazoungou et Zatao, ainsi que de l’adjudant-chef Alphonse Zoukongo.

 

La quatrième crise débute d’abord comme une manifestation de potaches. De janvier à juin 1979, des manifestations des élèves et étudiants de la ville de Bangui, protestant contre l’imposition obligatoire du port d’uniforme fabriqués dans les ateliers de l’empereur Bokassa, aboutiront à une répression féroce, conduite par le général de brigade François Bozizé, alors commandant de la place d’armes de Bangui. Cette répression se terminera par le décès de plusieurs dizaine de collégiens et lycéens. Elle sera désormais célébrée chaque année comme la « Journée des Martyrs ».

 

La cinquième crise militaire sera imputable à l’intervention de l’armée française dans le cadre de l’opération Barracuda, décidée par le président français Valéry Giscard d’Estaing, qui mit fin au règne éphémère de l’empereur de Centrafrique Bokassa. On se souviendra cependant que le général Boxiez prénommera un de ses fils Giscard !

 

La sixième crise militaire est le coup d’Etat conduit par le général André Koxinga pour mettre fin au pouvoir du président David Dac ko. Dans le cadre du comité militaire de redressement national (CMRN), le général Kolingba fit du François Bozizé son ministre de l’information.

Mais ce dernier se fera surtout remarquer par une tentative de coup d’Etat raté, inspiré par Ange Félix Patassé et, sans doute, la direction du MLPC alors dans la clandestinité. Les deux comploteurs trouveront refuge dans l’exil, au Togo. »

 

En décembre 1992 lorsque Ange Félix Patassé est élu président de la République au terme d’une élection présidentielle non contestée par André Kolingba, le général François Bozizé sera réintégré dans l’armée et occupera d’abord le poste de chef d’Etat-major des FACA.

C’est à ce titre qu’il conduira, avec l’aide de l’armée française, la répression des mutineries de 1996, lorsque les jeunes officiers des forces armées centrafricaines contesteront les conditions de promotion dans l’armée. La répression fera plusieurs victimes parmi les mutins.

 

Aux élections présidentielles de 1997, François Bozizé est candidat en face du chef suprême des armées et néanmoins acolyte, le président sortant Ange Félix Patassé. Il est largement battu, faisant un score très médiocre. L’actuel président de la transition, Michel Djotodia figurait dans son cabinet de campagne, en compagnie du désormais célèbre Lévy Yakité. Ils créeront à cette occasion le mouvement des intellectuels et cadres pour le soutien à la candidature de François Bozizé ! Cela ne s’invente pas. (Aujourd’hui, les deux compères se retrouvent face à face ; l’un comme président de la transition, tombeur de François Bozizé à la tête de la Séléka, l’autre comme porte-parole du président déchu et pourfendeur du gouvernement de transition)!

 

 Quoique battu, Bozizé retrouvera cependant un poste dans l’équipe présidentielle en devenant ministre de la défense nationale. En 1998, la recrudescence des mouvements rebelles conduira le président à lui remettre de nouveau le haut commandement des forces armées centrafricaines comme chef d’état-major.

 

En mai 2001, à la suite de la tentative de coup d’Etat avorté de la Fêtes des Mères, dont la paternité a été attribuée à l’ancien président André Kolingba, c’est encore François Bozizé qui mènera la traque aux membres de l’ethnie yakoma, l’ethnie du chef présumé de l’insurrection. La répression fut implacable et conduira à l’assassinat du colonel Christophe Grélombé et de son fils, sergent dans l’armée, ainsi qu’au meurtre du colonel Alphonse Kongolo, ancien ministre des finances du CMRN ; ces deux colonels étant de la même promotion que le général Bozizé !

C’est également à l’occasion de cette traque que le président Patassé fera appel aux milices du chef rebelle congolais Jean-Pierre Bemba, aujourd’hui accusé de crimes contre l’humanité devant le tribunal pénal international pour le comportement de ses troupes en Centrafrique.

 

De façon curieuse, l’activisme du général François Bozizé lui vaudra le reproche de duplicité. A la suite d’un mandat d’amener dressé à son encontre, il décida de s’exiler, et prit le chemin de Ndjaména au Tchad, où il entretiendra une troupe de guérilla constituée d’anciens éléments des Faca l’ayant suivi dans sa fuite, ainsi que de mercenaires tchadiens recrutés sur place.

Le 15 mars 2003, alors que le président Ange Félix Patassé est en visite officielle au Niger, François Bozizé tire profit de cette absence pour retourner en Centrafrique à la tête des « Libérateurs tchadiens » et s’empare de Bangui, sans que les troupes de la Fomac ne s’interposent !

 

Dix ans durant, de 2003 à 2013, François Bozizé n’aura de cesse d’affaiblir les forces armées centrafricaines, en instillant l’instabilité à la tête du haut commandement, multipliant les changements de chef d’Etat-major au gré des circonstances, en favorisant les promotions de complaisance au sein de la hiérarchie militaire par népotisme, dont la nomination de son fils aîné au grade de général alors que ce dernier n’était que sous-officier dans l’armée française.

A la fois chef suprême des armées et ministre de la défense, le président Bozizé fera de son fils son ministre délégué à la défense nationale, chargé du programme de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR), mis en place par l’Onu.

La conduite de ce programme est un échec et explique en partie la recrudescence de la rébellion et l’entrée des troupes de la Séléka dans Bangui.

La réalité est celle-là !

 

On notera que lors de la prise de Bangui par les troupes rebelles de la Séléka, seul le contingent sud-africain aura tenu ses positions, d’où le nombre de pertes élevé en leur sein.

Les FACA n’auront pas combattu, beaucoup ayant déserté ou rejoint les rangs des vainqueurs. A ce jour, 700 à 900 de ces militaires centrafricains se trouvent actuellement au Cameroun, où leur présence commence à provoquer de sérieux trouble à l’ordre public et fait craindre un contentieux diplomatique entre les deux pays.

 

François Bozizé compte sans doute sur ces soldats perdus pour réarmer son camp et tenter de reconquérir le pouvoir. Il ne fait pas en effet mystère de son sentiment de revanche, expliquant aux oreilles complaisantes qu’il n’a pas achevé son second mandat. Que ferait-il en deux ans qu’il n’a pas réussi à faire en huit années de pouvoir absolu ?

Parmi les ralliés à sa cause, le prétendu général Abdoulaye Miskine, alias Martin Koumtamadji, alias Moustapha, président du Front démocratique du peuple centrafricain (FDPC), qui figurait déjà parmi les « Libérateurs tchadiens » de mars 2003… Un mercenaire prêt à tous les coups de main pour garnir sa gamelle. Il vient d’être arrêté au Cameroun. On voit mal le président déchu continuer ses tentatives de déstabilisation de la Centrafrique, sauf à semer le fiel de la discorde entre musulmans et chrétiens, afin de s’attirer les bonnes grâces de la France. Dieu merci ! la RCA n’est pas le Mali.

 

3 - Quel rôle pour les forces armées centrafricaines ?

 

A quoi sert une armée en démocratie ? Elle remplie les missions que lui confèrent les lois de la République. La première est la contrainte d’obéir au pouvoir politique ; la seconde est de ne point prendre part en tant que telle dans les luttes politiques ni d’accéder au pouvoir par la force des armes. Enfin, elle a pour mission de garantir l’intégrité du territoire national et de sauvegarder la souveraineté nationale ; elle a donc pour rôle de défendre les frontières du pays et à ne pas subordonner les intérêts de celui-ci à des forces étrangères.

Dans ce cadre, une armée n’a de signification que si elle a un ennemi désigné, contre lequel elle doit se prémunir et protéger le pays.

En Centrafrique, point d’ennemi héréditaire. Les pays africains devenus indépendants à partir des années 1960 ayant entériné les frontières héritées du colonialisme, il n’eut point de guerre de délimitation des frontières, si l’on excepte les escarmouches entre le Cameroun et le Nigéria. Donc, foin d’ennemis héréditaires ni occasionnels.

 

Dès lors, il aurait fallu préciser depuis le début des indépendances les tâches dévolues à l’armée nationale, puis l’organiser et la déployer en conséquence.

Faute d’objectifs affirmés, l’autorité politique s’est servie des forces armées comme d’une force de répression intérieure. C’est dans cet esprit qu’a été créée la garde présidentielle.

 

Organisée en garde prétorienne, au lieu et place de l’ancienne garde républicaine dont la mission consistait à protéger les édifices publics, la garde présidentielle défend le corps du président et … ses intérêts. Elle est devenue force de répression chargée de réprimer aussi bien les manifestations syndicales que les troubles à l’ordre public ; lorsqu’elle ne se substitue pas à la police judiciaire pour enquêter, arrêter et détenir sans titre de justice, les personnes qu’elle soupçonne ou celles qui déplaisent.

 

Décapitées sous Jean Bedel Bokassa, appelées à remplir des missions dans la haute administration publique ou la diplomatie sous André Kolingba, le haut commandement militaire s’est embourgeoisé, se coupant de ses hommes de troupes.

La traque opérée par le régime d’Ange Félix Patassé et la mise au rencart des cadres actifs de ce commandement, au nom du rééquilibrage ethnique, a fini par casser l’outil militaire.

Sans objectifs clairs, sans commandement opérationnel expérimenté, sans organigramme cohérent et fonctionnel, mais surtout sans moyens logistiques et armements adaptés, les forces armées centrafricaines sont une troupe sans doctrine, sans unité ni élites, à l’image du pays.

C’est cet ensemble incohérent et inorganisé qu’il faut reconstruire dare-dare.

 

En prenant la décision de dissoudre les forces de l’alliance Séléka, sans doute en se faisant violence, le président de la transition en Centrafrique a pris la meilleure résolution qui soit. Il lui reste à préciser dans quelles conditions les membres de cette alliance qui ne sont pas intégrés dans les FACA seront contrôlés et réinsérés. Les dispositifs du programme DDR devront leur être consacrés en priorité, selon un calendrier et un échéancier de prise en charge définis en concertation avec la Binuca.

 

Il importe ensuite que des nouveaux objectifs opérationnels soient fixés aux forces armées centrafricaines recomposées. Celles-ci devront être placées sous un haut commandement militaire incontestable et aguerri, non plus désigné par népotisme ou coopté par quelque conclave fermé.

 

De même, les cycles de formation des officiers d’active aussi bien que ceux des écoles militaires d’enfants de troupe devront être revisités afin de les sensibiliser aux règles de la guerre, mais aussi aux préoccupations d’une armée en démocratie et en temps de paix.

 

Enfin, il convient de clore le sempiternel débat sur l’ethnisation des forces armées centrafricaines. Afin de faire renaître l’unité du pays autour des valeurs traditionnelles de solidarité, il conviendra de revenir à une armée de conscription. Tous les jeunes centrafricains, filles et garçons, devront être appelés sous le drapeau, entre la fin de leurs études secondaires et le début de leur carrière professionnelle, soit au plus tard dans leur trentième année. Les modalités de ces regroupements, dont la durée doit être précisée, seront déterminées en fonction des études que les uns et les autres poursuivent.

 

Le président de la transition pourrait mettre à profit la période de 18 mois ouverte par les accords de Libreville du 11 janvier 2013 pour ouvrir dès à présent les états généraux des forces armées centrafricaines et conduire le changement qui s’impose.

On ne peut indéfiniment s’appuyer sur des armées étrangères pour gouverner un pays. Le peuple doit se reconnaître dans son armée. Or, pour l’heure, et le peuple et l’armée sont divisés.

 

4 - Prévenir les crises à venir

 

Mais une armée seule, même républicaine, ne peut prévenir les crises qui peuvent survenir ; il y faut de la matière : au plan politique, au plan économique et au plan social.

 

Au préalable, il faut lever l’hypothèque François Bozizé. Ce dernier a fait créer, par quelques partisans parisiens, une structure appelée front pour le retour de l’ordre constitutionnel en Centrafrique (FROCCA) qui est une coquille vide ; tout comme les prétendus Anti-balaka, qui sèment la dévastation dans la région de Bossangoa au nom de la protection des chrétiens contre les musulmans ou, hier, les membres de la « coalition citoyenne d’opposition aux rebellions armées » (COCORA) : ce sont de brigands armés et rémunérés pour les besoins de la cause. Ils disparaîtront dans la nature dès qu’ils ne seront plus payés. L’argent des « diamants de Bokassa » n’est pas éternel !

Deux éléments d’information au moins mériteraient d’être vérifiés : l’arrivée en France d’un fils Bozizé en possession d’une somme de 80 000 euros, et la découverte de deux squelettes humains dans le sous-sol du garage de la maison de l’ancien chef de l’Etat, à Sassara, dans la banlieue nord de Bangui.

La présence à Paris de l’ex-président centrafricain devrait conduire les autorités françaises à s’inquiéter sur ces deux points. Il devrait en être aussi de même des crimes commis dans les villages incendiés autour de Bossangoa, dont les proches de François Bozizé ont revendiqué la responsabilité en son nom.

L’hypothèque Bozizé levé, il faudra revenir à la réalité politique.

 

Depuis 1969, la république centrafricaine vit une régression politique. L’ouverture à la démocratie impulsée par le discours de La Baule fut une fenêtre ouverte sur la démocratie que certains politiciens ont confisquée à leur profit. En effet, l’éclatement du parti unique, le RDC créé par le général André Kolingba alors président de la République, a provoqué un big-bang politique qui a vu l’éclosion de nombreux micro-partis lancés par des intellectuels en mal de renommée et d’influence ; chacun se croyant unique et seul capable de réformer la Centrafrique. Ces micro-structures sans colonne vertébrale ont enclenché les mouvements de repli identitaire, régionaliste et tribaliste, qui ont semé la confusion.

 

Le désordre des idées et des responsabilités a ouvert la voie et laisser le champ libre aux aventuriers de tout poils qui ont pillé la République et commis les crimes contre l’humanité que le pays vit actuellement.

Pour repartir du bon pied, une fois rétablie la sécurité publique sur toute l’étendue du territoire, il faut réinventer un nouveau contrat politique et social, comme l’avait fait en son temps Barthelémy Boganda et ses compagnons en créant le mouvement d’évolution sociale de l’Afrique noire (MESAN).

 

- Au plan politique, le renouveau passe par la création d’un grand parti politique, capable de rassembler les Centrafricains autour de thèmes forts.

L’échec des fronts et autres alliances de type temporaire ou circonstanciel, tel le FARE – front pour la reprise des élections – qui rassemble l’ensemble des partis politiques de l’opposition démocratique sous la présidence de François Bozizé, rend inopérant ce genre de regroupement factice.

De même, l’alternative proposée par la mise en place de gouvernement d’union nationale rétablit de facto le système du parti unique, tant décrié naguère, et qui n’est qu’une forme de statu quo anomique.

 

Il faut donc créer un grand parti politique pour relancer la dynamique démocratique mise à mal ces vingt dernières années, aussi bien par les gouvernements successifs de l’ex-président Ange Félix Patassé, que le Kwa-na-kwa du président déçu François Bozizé.

 

Dans notre esprit, le grand parti à naître devra être l’émanation et la fusion entre le mouvement d’évolution sociale de l’Afrique noire (Mesan) et le Rassemblement démocratique centrafricain (RDC), ainsi que les micro-partis qui militent en faveur d’une vraie social-démocratie en Afrique.

 

Pourquoi exclure d’emblée le MLPC de ce regroupement ? Il est clair que ce parti s’est fait le chantre de la revanche et de l’anathème dans la clandestinité et, lorsqu’il est parvenu au pouvoir, à enclenché les cycles de violences qui ont conduit aux crimes de 2001, lesquels crimes valent aujourd’hui au chef milicien congolais Jean-Pierre Bemba de comparaître devant le tribunal pénal international. Quant au KNK de l’ex-président François Bozizé, ce n’est qu’un conglomérat de groupuscules régionalistes, nés de l’éclatement du MLPC après la chute d’Ange Félix Patassé. Il s’agit d’un ramassis d’opportunistes et d’affairistes qui ont contribué à l’affaiblissement du pays et de ses administrations, en vidant les caisses de l’Etat.

 

Reconstruire un grand parti politique autour de ce qui reste du RDC et du MESAN, c’est au final renouer avec une tradition républicaine et démocratique, qui a fait la réputation de la RCA dans le passé, et lui a valu pendant longtemps le renom de Suisse de l’Afrique.

 

- Au plan économique, comme la Suisse, la République centrafricaine doit se convertir au formalisme économique. Le renouveau au plan économique et financier, une fois la sécurité publique rétablie, consiste pour l’Etat à créer un espace et un climat favorables aux affaires.

 

La première exigence consiste à adopter et à faire admettre partout les règles de concurrence et de liberté qui régentent l’économie de marché. Dans cet esprit, il convient de fixer des mécanismes clairs de financement des activités productives, de taxation des profits et revenus d’exploitation des activités forestières, minières ou commerciales, d’intégration des activités spéculatives de l’économie informelle dans l’économie formelle. Dans le cadre de cette stratégie, l’agriculture demeure l’avenir de la RCA, comme nous avons essayé de le montrer en d’autres circonstances.

 

La seconde exigence consiste, pour l’Etat, à mettre en place les instruments d’une politique de développement économique, en fixant des règles de promotion et d’incitation à la création des entreprises. Seule la création des entreprises, quels qu’en soient les secteurs et les modalités, permettra de créer des emplois, de lutter contre le chômage des jeunes, tout en distribuant des revenus et, à travers les processus de consommation, de susciter la croissance économique, facteur essentiel du bien-être social. En matière de création d’entreprises, l’Etat devra se montrer ambitieux, puisqu’il part de zéro !

 

- Au plan social enfin, une fois la paix revenue, l’effort doit se traduire par l’adoption d’un nouveau contrat social. Il s’agit de fixer des normes sociales nouvelles pour la protection des travailleurs et des salariés, en triant les priorités : égalité de tous devant l’impôt ; priorité donner à la jeunesse, à l’éducation et à la formation, à travers la généralisation des bourses d’études ou de formation professionnelle ; solidarité nationale exprimée en faveur des populations fragiles, les femmes et les anciens, en favorisant la gratuité des soins pour tous, et en définissant un minimum vieillesse pour les personnes dépendantes.

 

L’ensemble de ces propositions devra faire l’objet d’un grand débat, une fois l’hypothèque exprimée plus haut levée. Mais ces changements ne peuvent intervenir que si la paix revenue, l’Etat changeait son mode d’organisation et de fonctionnement.

Pour cela, l’Etat doit procéder à la création de cinq à six grandes régions, chacune incluant 3 ou 4 des préfectures actuelles. Chacune de ces région serait dotée d’un exécutif et d’un organe consultatif, élus au suffrage universel direct, ayant compétences dans les domaines de l’agriculture, des infrastructures, des transports et du logement et de l’environnement..

Il s’agit de rapprocher les décisions du citoyen et ne pas prêter le flanc à la critique de l’abandon des territoires au profit de la capitale ou telle région, du fait de la proximité du chef de l’Etat par exemple. La décentralisation ainsi programmée devrait faire en sorte que les populations deviennent les acteurs de leur quotidien, localement.

 

Paris le 20 septembre 2013

 

Prosper INDO