29/10/2013 -
secours-catholique.org
Alors que la Centrafrique a sombré
dans le chaos après le coup d’État du 24 mars dernier, Mgr Dieudonné
Nzapalainga, l’archevêque de Bangui, connu pour son engagement auprès de la
population, livre ses espoirs et ses craintes pour la
Centrafrique.
Mgr Dieudonné Nzapalainga lutte
pour un retour de la paix dans son pays, la Centrafrique. © Xavier
Schwebel/Secours Catholique
Vous disiez en juin dernier que la
Centrafrique se mourait à petit feu. Quelle est la situation dans le pays
aujourd’hui ?
Le 24 mars dernier, le président
Bozizé a été renversé par la coalition Séléka, une conglomération de plusieurs
groupes qui ont décidé de faire alliance. Ce coup d’État s’est accompagné de
promesses de liberté et de paix, mais très vite la désillusion a gagné les
habitants.
Nous avons assisté à des pillages à
grande échelle, du jamais vu. Nous sommes habitués à des coups d’État à
répétition, mais en général les pillages durent deux ou trois jours et ne
concernent que les dignitaires de l’ancien pouvoir. Cette fois, ils ont duré
quatre ou cinq mois et l’essentiel de la population a été touchée. On a
également assisté à des viols, des exécutions sommaires, tout cela au vu et au
su de tout le monde. Parmi les rebelles du Séléka qui ont commis ces exactions,
beaucoup viennent de l’étranger, en particulier du Tchad et du Soudan, dans
l’unique but de se servir sur la bête.
Nous avons aussi déploré le fait que
des éléments du Séléka ont décidé de s’orienter vers les églises pour molester
et piller. Dans certains diocèses, tous les véhicules ont été volés sous les
yeux de l’évêque et des prêtres, totalement impuissants. Les pasteurs ne peuvent
plus se déplacer pour aller au contact de la population.
Face à toutes ces humiliations, ne
soyons pas étonnés qu’il y ait une insurrection populaire, ce que j’appelle la
révolte des pauvres. Les gens sont désespérés, ils ont perdu leurs parents,
leurs enfants, leur maison, qu’ont-ils encore à perdre ?
L’UNICEF a fait part de son
inquiétude face à la recrudescence d’enfants soldats…
La jeunesse est particulièrement
touchée par cette crise. Depuis décembre, il n’y a plus d’école. Les
enseignants, assimilés au pouvoir de l’ancien président Bozizé, ont été traqués.
Ils ont fui, les enfants se sont retrouvés livrés à eux-mêmes. Certains, enrôlés
comme enfants soldats, ont troqué leur stylos contre des kalachnikovs. Comment
va-t-on pouvoir les remettre sur les bancs de l’école ? C’est une génération
sacrifiée.
La population semble aujourd’hui
profondément divisée…
Cette rébellion a brisé les liens
sociaux. Les rebelles du Séléka ont instrumentalisé la fibre religieuse.
Beaucoup, notamment ceux qui viennent du Soudan et du Tchad, sont musulmans et
ne parlent pas français. Ils vont voir les jeunes musulmans, avec qui ils
peuvent parler arabe, et leur donnent des armes pour qu’ils leur servent
d’indicateurs.
Dans la tête des gens, l’amalgame
est vite fait entre musulmans et Séléka. Ce raccourci est dangereux. Il ne
s’agit pas d’un conflit religieux mais bien d’une une crise politique. Le vivre
ensemble est une réalité dans le pays, il ne faudrait pas que tout notre passé
de cohabitation et de cohésion vole en éclat. Aujourd’hui, tout le monde vit
dans la peur de l’autre.
Quel rôle peut jouer l’Église
?
Avec plusieurs responsables
religieux, nous avons mis en place une plateforme rassemblant musulmans,
protestants et catholiques, qui travaillent ensemble pour désamorcer les
tension, et dire que cette crise est d’abord politique. Nous avons également
formé des médiateurs locaux, qui font un travail de proximité pour faire baisser
la tension.
L’Église vient aussi au secours de
la population. Caritas distribue des vivres, des habits de rechange dans les
villages, ainsi que des outils et des graines pour commencer à
replanter.
Les associations humanitaires
ont-elles accès à la population ?
La plupart des humanitaires restent
aujourd’hui à Bangui à cause de l’insécurité dans les provinces. En septembre,
deux membres d’Acted ont été tués... Il faut sécuriser les corridors pour que
les humanitaires aient un accès direct à la population.
Qu’attendez-vous de la communauté
internationale ?
Nous avons multiplié les appels pour
que la Mission internationale de soutien à la Centrafrique, la Misca, soit
renforcée. Elle devrait atteindre les 3600 soldats. Mais il y a un problème
financier : certains pays africains veulent participer mais n’ont pas les moyens
d’envoyer leurs soldats, de leur donner des armes, des véhicules
etc.
Nous souhaitons que l’ONU renforce
sa présence. Ce renforcement militaire est urgent pour permettre aux gens de ne
pas vivre la peur au ventre et de pouvoir vaquer, à nouveau, à leurs
occupations.
Le pouvoir en place a-t-il les
moyens de juguler cette crise ?
Le pouvoir est impuissant. Il est
issu d’un groupe hétéroclite, et souffre d’un gros problème dans la chaine de
commandement. Le président donne un ordre, les généraux n’écoutent pas… Les
soldats obéissent à leur chef, pas au président. C’est
l’anarchie.
Et puis il faut dire la vérité : les
caisses de l’État sont vides. Les fonctionnaires ne sont plus payés depuis trois
mois. Il n’y a plus de chaises, plus d’ordinateurs dans les bureaux. Comment
mettre les gens au travail sans donner des moyens ? Les élections doivent avoir
lieu dans 18 mois, il faut tout faire pour que ce délai soit
tenu.
Propos recueillis par Marina Bellot