RCA : des lendemains qui déchantent !

 

 

La Gauche française, à travers le parti socialiste, a le sens des formules abruptes et définitives. On se souvient de la déclaration de Michel Rocard, alors premier-ministre du président François Mitterrand, à propos de l’immigration : « la France n'a pas vocation à recevoir toute la misère du monde ». Aujourd’hui lui répond en écho la formule-choc de Jean- Marc Ayrault à propos de la Centrafrique: « Nous n'avons pas à être partout et à jouer les gendarmes du monde ».

 

Le premier-ministre du président François Hollande s'exprimait depuis Moscou, où il était en visite officielle, en réponse à une question de journalistes sur la situation en République centrafricaine.

M. Ayrault interprète donc de manière restrictive les déclarations volontaristes de Laurent Fabius, son ministre des Affaires étrangères, faites le 13 octobre 2013 à Bangui. Ce dernier se contentait de traduire dans la pratique diplomatique la mise en garde du président français, François Hollande, s'alarmant des risques de « somalisation » qui guettaient une RCA livrée à la loi des seigneurs de guerre !

 

Un pas en avant, deux pas en arrière ? Telle paraît être la politique de gribouille du gouvernement socialiste en cette année 2013.

 

Faut-il attendre le prochain génocide pour venir crier sa désolation ? Faut-il toujours avoir le pire sous les yeux pour agir ?

 

1 – Le cauchemar des populations civiles

 

Sur le terrain, la situation des populations civiles vire au cauchemar.

 

Le 1er novembre 2013, jour de la Toussaint, des heurts entre les habitants du quartier Bazanga à Bangui et les éléments des ex-Séléka attachés au « général » Issa Zakaria auraient fait dix blessés dont deux gravement atteints par balles. Parmi ces derniers, une femme enceinte de 7 mois mourra des suites de sa blessure. Les manifestants protestaient contre la construction, par le général Zakaria Issa, d'une maison dont les travaux transformaient leur rue en impasse, au mépris de tout permis de construire. Où le généralissime a-t-il trouvé l’argent nécessaire à la construction d’un immeuble alors que le pays est en guerre et dévasté ? Au moment où ces lignes vont paraître, le général a été donné pour mort. Décédé de mort naturelle, dit la faculté ; victime de sortilèges, affirme la rumeur populaire.

 

La veille, 31 octobre 2013, quatre personnes étaient abattues sommairement par un ancien « colonel » rebelle de la coalition Séléka à Bossembélé, une sous-préfecture de 10 000 habitants. Le prétendu officier reprocherait à ses victimes d'être les informateurs des milices d'auto-défense locales, les « anti-balaka ».

 

Quelques semaines plus tôt, le 26 octobre pour être précis, des escarmouches entre les anti-balaka et les ex-Séléka auraient fait une quarantaine de morts et de nombreux blessés à Bouar, la « ville du général Marcel Bigeard » d'où partirent en juin 1940 les premiers éléments de la 2ème division blindée pour libérer Paris en août 45 !

 

Le 30 octobre dernier, les éléments de l'ex-Séléka qui s'étaient portés en renfort à Bouar, entrèrent dans la ville de Berbérati en tirant dans tous les sens : un enfant de 11 ans fut abattu.

 

Dans l'ouest du pays, le désordre dans toute la région est telle que les organisations humanitaires ont quitté Bouar pour Bangui, laissant les populations déplacées sans secours. Elles sont plus de 40 000 personnes à avoir fui en brousse ou bien à se réfugier auprès des institutions religieuses. Dans tout le pays, au moins 1,6 millions de personnes auraient été déplacées pour fuir les exactions.

Pour le directeur du bureau de coordination des affaires humanitaires de l'Onu, John Ging, « les atrocités commises contre les populations civiles par des groupes armés sont indescriptibles ».

 

Devant ce drame, la confusion de l'organisation des Nations unies conduit le secrétaire général de l'Onu à faire approuver la décision d'envoyer 250 soldats supplémentaires en Centrafrique pour « protéger le personnel et les installations de l'Onu ». Ces soldats ne sont donc pas des Casques bleus ayant pour mission de s'interposer entre les populations civiles et les groupes armés !

 

En affirmant de son côté que les troupes françaises envoyées à Bangui n'auront pas d'autre mission que celle de sécuriser les ressortissants français, M. Ayrault prend le président Hollande à contre-pied et établit une priorité exclusive.

 

Autant le dire tout net, la RCA ne doit compter ni sur la France ni sur l'Onu !

 

2 – L'échec patent du gouvernement d'union nationale.

 

L’ancien président burundais Sylvestre Ntibantunganya, aujourd’hui sénateur et vice-président du forum des parlementaires de la CIRGL, a raison d’affirmer que la paix en Centrafrique est d’abord une responsabilité des autorités de la transition. « La solution se trouve entre vos mains, dans la tête des Centrafricains. La solution ne viendra pas de l’extérieur », a-t-il déclaré au sortir d’une conférence de presse

Ce discours a le sens de la simplicité et du réel : la crise centrafricaine ne peut être résolue que par les institutions de la transition : président, premier-ministre et président du conseil national de transition, auxquels il faudrait ajouter le médiateur et le groupe international de contact.

 Or aucune de ces autorités ne semble prendre la mesure du drame qui meurtrit le peuple centrafricain.

La crise en RCA est avant tout la conséquence de l’incompétence et de l’irresponsabilité des hommes politiques centrafricains.

 

En prenant le pouvoir par la force le 24 mars 2013, le chef rebelle Michel Djotodia et ses compagnons de l’alliance Séléka ne s’attendaient pas à déclencher l’apocalypse. Ils ignoraient tout de la situation réelle du pays. Ils ne connaissaient rien de leurs propres troupes, dont ils ignoraient et leur nombre exact, et leurs identités véritables, et leurs parcours individuels, etc.

Avec la prétention d’un premier communiant le chef rebelle s’est coulé dans les habits neufs de président de la transition, exactement comme l’avait fait le général François Bozizé dix ans plus tôt, sans se douter de la complexité de la tâche qui l’attendait ; n’est pas Auguste César quiconque franchit le Rubicon.

 

Depuis, l’ancien chef rebelle a pris la mesure de son impuissance à maîtriser une situation qui lui échappe chaque jour davantage, se rendant compte de l’inconséquence de son entourage. C’est ainsi qu’il s’est successivement trompé, à la fois sur le choix de son chef-d’état-major et sur celui du ministre de la sécurité. Réagissant par autoritarisme plus que par raison, il s’est séparé brutalement de ses premiers compagnons d’armes ou de ceux qui pouvaient lui porter ombrage. Il a rayé d’un trait de plume l’existence de l’alliance Séléka sans se poser un seul instant la question du devenir de ces troupes libérées de tout statut. Il en a fait des voleurs à la sauvette et des meurtriers à la dérive.

Parmi les troupes intégrées dans l’armée nationale, plusieurs éléments ont déserté, préférant vivre de rapine plutôt que toucher un viatique de 45 000 francs Cfa, la solde mensuelle d’un deuxième classe ! Mais au lieu de lutter contre les exactions de plus en plus sordides commises par ces renégats, le président de transition s’attache plutôt à courir sus les « anti-balaka », ces groupes d’auto-défense locaux, considérés désormais comme l’avant-garde d’une contre-rébellion ourdie par l’ex-président François Bozizé. Cette hypothèse n’est pas dépourvue de sens lorsqu’on analyse la tactique d’encerclement mise en œuvre par les soit-disant « anti-balaka » pour prendre la ville de Bouar et déloger les éléments de l’ex-Séléka installés là. L’objectif était sans doute de conquérir l’aéroport de cette ancienne garnison coloniale française afin d’en faire une plateforme de réception et de ravitaillement en armes et équipements militaires. Le stratagème n’a pas réussi, à Dieu, grand merci !

 

Mais le pire n’est pas là. Il procède de la désignation du premier ministre du gouvernement d’union nationale de transition. Ce dernier ayant été imposé par la conférence de Libreville, il ne peut théoriquement être demis par le président de la transition ni être censuré par le Conseil national de transition. Le premier ministre est donc inamovible, tout comme la montagne du cinéaste japonais Akiro Kurasawa est « imposante et immobile » !

 

Or les derniers évènements rappelés plus haut, par la reprise des accrochages meurtriers dans diverses localités du nord-ouest du pays, mettent en évidence l’impéritie et l’inaction du gouvernement de transition. Ce manque d’initiative et de combativité a conduit le représentant de l’Onu sur place à admettre que « les autorités de Bangui n’ont ni les capacités ni les ressources pour faire face à la situation qui prévaut dans le pays ». C’est un doux euphémisme diplomatique pour signifier que ces autorités sont incapables et incompétentes.

 

Pendant que la présidence de transition subie les évènements, au coup par coup, en multipliant par l’intermédiaire de son porte-parole les communiqués et les conférences de presse au destin illusoire, la Primature reste muette. Aucun dispositif de crise n’est mis en place pour anticiper, prévenir, analyser l’impact des évènements sur la population et proposer les mesures d’intervention ou d’appui à mettre en œuvre. Sans l’engagement des organisations humanitaires non gouvernementales, le peuple centrafricain n’aurait plus aujourd’hui une « condition humaine ». Il retournerait à l’état sauvage !

 

Au lieu d’un gouvernement pléthorique d’union nationale, où chacun des 66 partis politiques se voit attribuer un portefeuille ministériel susceptible de flatter la vanité de son leader, on eût aimé voir se constituer un gouvernement de salut public, c’est-à-dire un cabinet de guerre qui n’aurait qu’un seul objectif à court terme : prendre les mesures que réclame la sécurité nationale de la population et libérer le peuple de la pression des prédateurs de l’ex-Séléka ou de tout autre milice armée.

 

Le premier ministre de transition rendrait un service insigne à la Nation, soit en démissionnant pour laisser le champ libre à un nouvel impétrant plus conséquent, soit en remaniant son propre gouvernement dans le sens indiqué ci-dessus, de manière à le rendre plus efficace. Il a intérêt à multiplier les actions sur le terrain, à rendre son gouvernement présent au quotidien en ampathie avec le peuple, au lieu de s’enfermer dans les jeux politiciens et les débats stériles d’arrière-cour, en essayant vainement d’imposer aux autres partis politiques la candidature d’un de ses obscurs conseillers, dans la perspective des élections présidentielles de février 2015.

Ces élections présidentielles, auxquelles les autorités de transition ne doivent pas concourir, ont une particularité : les candidats potentiels sont déjà en embuscade. Ils alignent leurs initiales tels les matricules des vieux bombardiers de l’aviation américaine parqués en épis sur la base aérienne de Colorado Springs, au retour du Vietnam : JJD, AGD, EDL, LAD, GRN, ETC ! Or tous ces personnages, qui espèrent par ce subterfuge voiler leur incognito, sont les premiers protagonistes et les principaux responsables du drame que vit le peuple centrafricain depuis 1996. Ils ont, par leurs discours de haine et leurs comportements sectaires lorsqu’ils étaient aux affaires, sous Patassé et sous Bozizé, conduit les Centrafricains au bord de la guerre civile, n’hésitant pas à qualifier certains membres de la communauté nationale, d’ « éléments exogènes ». Ceux-là ne devraient pas concourir et tout doit être mis en œuvre pour les démasquer, le moment venu. Certes, ils sont couverts par des amnisties généreusement votées à l’issue des conflits précédents. Mais l’amnistie, c’est le pardon, ce n’est pas l’oubli.

 

Pour ce qui le concerne, le médiateur de la crise centrafricaine s’est rendu à Bangui pour la première fois depuis sa désignation il y a dix mois. On serait tenté de dire enfin, tant sa médiation se distingue de celles qu’avaient instaurées auparavant, et le président gabonais Omar Bongo et le major Pierre Buyoya, ancien président du Burundi.

A l’occasion de la réunion du groupe international de contact chargé de la crise centrafricaine, on espère que le président Denis Sassou Ngesso a pu au moins se rendre utile à cela : convaincre le premier ministre de transition d’engager le mouvement! Il est temps de mettre en place les stratégies d’endiguement ou de fragmentation indispensables pour neutraliser les groupuscules armés qui sèment l’insécurité d’une part et, d’autre part, les stratégies d’harmonisation nécessaires pour réunir les conditions juridiques, matérielles et logistiques que réclame l’organisation d’un scrutin électoral primordial.

 

Le moment n’est plus à dresser des plans sur la comète : il ne reste qu’un an pour réussir la transition, si c’est bien là le vœu de tous les acteurs de la transition en cours.

 

 

3 – Pendant que le peuple se meurt, les conciliabules continuent.

 

Il est peu de dire que le soufflet déclenché par l’intervention amicale du président de la République française à la tribune de l’Assemblée générale de l’organisation des Nations unies en octobre dernier est retombé.

Après la visite éclair de Laurent Fabius à Bangui, et les paroles réconfortantes tenues sur place par ce dernier, promettant le renforcement des troupes françaises et l’engagement de celles-ci auprès de la MISCA, la diplomatie de papa a repris son cours tranquille et immuable.

Rien ne vient ici rappeler l’urgence dramatique de la situation où se trouvent les populations civiles.

 

Naguère, il n’a fallu qu’une semaine pour organiser et monter l’Opération Barracuda qui mit un terme au rêve ubuesque de Jean-Bedel Bokassa, empereur autoproclamé de Centrafrique. En mai1978, alors que des rebelles Katanguais attaquaient la garnison zaïroise de Kolwezi, menaçant d’assassiner quelques 3000 coopérants européens et américains, 200 éléments du 2ème régiment parachutiste de la Légion étrangère française sautaient sur la ville en compagnie de commandos belges. Kolwezi sera sauvé au prix fort : 700 morts côté africain et 170 côté européen. L’inertie de l’Onu à l’époque n’avait pas empêché la communauté internationale d’agir.

 

Aujourd’hui, alors que plus d’un million et demi de personnes déplacées connaissent une situation humanitaire dramatique, où les risques de crimes de guerre voire de génocide sont réunis, les conciliabules s’éternisent autour de la composition et du format de la Misca. Les déclarations mezzo voce du premier-ministre Jean-Marc Ayrault ne sont pas de nature à rallumer les braises d’un engagement fraternel de la France auprès de la RCA. Le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères vient d’ailleurs de le concéder : « Notre position de principe, c’est d’appuyer la prise en main par les Africains de leur sécurité ».

 

C’est donc aux Centrafricains, à leurs élites et au gouvernement d’union nationale, de tirer les conclusions qui s’imposent : « compter sur ses propres forces » !

 

C’est pourquoi, dresser, comme vient de le faire le premier-ministre de transition Nicolas Tiangaye, une feuille de route qui réclame un budget de 670 milliards de francs Cfa, dont la Centrafrique ne contribuerait qu’à hauteur de 50 milliards, procède d’une illusion d’optique. C’est le miroir aux alouettes pour appâter le chaland et faire croire aux pauvres hères de l’ex-Séléka qu’il y aura de l’argent à gagner s’ils consentent à déposer les armes. C’est une manipulation éhontée, et perdue d’avance ! Ce stratagème a déjà servi à plusieurs reprises, avec les mêmes conséquences ; la reprise des conflits armés au nom de promesses non tenues. Il est curieux que le Conseil national de transition ait voté un tel budget.

La communauté internationale vient d’ailleurs de le faire savoir, en marge de la réunion du groupe international de contact, par la voix des Etats-Unis et de la France : il n’est pas question d’intégrer dans les forces armées centrafricains, la palanquée d’hommes de main qui ont servi de supplétifs à l’alliance Séléka. La plupart ne sait ni lire ni écrire. Jusqu’aux rangs et grades d’ « officiers », ils sont tous analphabètes, et donc inaptes pour une armée moderne dont les enjeux géostratégiques sont désormais plus scientifiques et les matériels de combat, d’une plus grande technicité. Il ne s’agit plus de savoir tirer des rafales ininterrompues à la mitraillette pour faire la guerre. Entre drônes et systèmes d’information numériques, le combat a changé d’âme.

 

Le moment est venu de prendre le président de la transition au mot. En ayant déclaré qu’il conduira le désarmement des troupes rebelles de l’ex-Séléka à son terme à la fin de l’année 2013, le président Djotodia doit être pris au mot. Il doit tenir ses engagements et ne plus tergiverser en palinodies. Ce sont ses propres troupes qui mettent un désordre meurtrier dans tout le pays. Il lui appartient donc de les ramener à la raison ou à les mettre au pas, au besoin en allant au devant des plus belliqueux. Il lui reste un mois et 15 jours pour convaincre.

 

Il devra par contre se méfier de la propension de certains de ses proches conseillers à jouer les faucons. Certains sont toujours prompts à voir dans les groupuscules d’auto-défense des suppôts du « bozizisme », et tout aussi habiles à proposer la politique de la terre brûlée. Ils ont déjà expérimenté cette pratique sous les précédents régimes, et s’en sont toujours tirés à leur avantage, au détriment du peuple centrafricain. La preuve, ils perdurent ! Suivez mon regard…

 

Pour réussir la transition dans les courts délais qui restent, il faut désormais un gouvernement de salut public, capable d’impulser une nouvelle dynamique, en mettant en place une cellule permanente de crise ayant pour mission de réunir les conditions juridiques, politiques, militaires et logistiques nécessaires à des interventions rapides, en tout point du pays, afin d’appréhender les fauteurs de trouble et les remettre à la justice.

 

Encore faut-il que ceux qui sont déjà arrêtés et qui croupissent actuellement au camp De Roux, sous les dalles de résidence présidentielle, puissent être rapidement jugés. Pour l’instant, la chancellerie ne bouge pas, craignant les risques de représailles. A ce jeu, le pouvoir de transition se condamne à l’inaction et devra répondre demain de son ignominie devant le tribunal de l’Histoire.

 

Paris, le 12 novembre 2013

Prosper INDO