Une mission de paix à Noël serait une bonne nouvelle !

 

 

Au sortir d'un entretien avec le président congolais Denis Sassou-Nguesso, médiateur dans la crise centrafricaine, le président de la transition Michel Djotodia avait affirmé, le 7 novembre dernier, que la sécurité serait rétablie d'ici à la fin de l'année 2013. « Nous comptons d’ici la fin de l’année, avec nos propres moyens, ramener la paix sur toute l’étendue du territoire centrafricain », avait-il déclaré.

Cette déclaration laissa dubitatifs les observateurs les plus sceptiques de la crise centrafricaine, tant l'homme est un habitué de ces proclamations péremptoires et définitifs… mais sans lendemain. Depuis cette déclaration, la situation sur place ne cesse au contraire de se cristalliser en de multiples convulsions, y compris dans la capitale, Bangui.

 

C'est ainsi que l'ancien aide de camp de l'ex-président François Bozizé est assassiné le 10 novembre 2013 par des éléments armés présumés appartenir à la rébellion Séléka dissoute.

Dans la nuit du 16 au 17 novembre 2013, le directeur général des services judiciaires  et son garde du corps sont abattus par deux hommes à moto, un modus opérandi qui était jusqu'alors l'apanage des règlements de comptes entre truands de la mafia… au cinéma.

Dans une autre veine mais toujours dans l’escalade de la violence, on apprenait qu'une colonne d’assaillants venus de Centrafrique a attaqué, ce même week-end, le petit hameau de Gbiti dans l'est du Cameroun. Il s'agirait de membres du mouvement du chef rebelle centrafricain Abdoulaye Miskine, actuellement détenu à Yaoundé, la capitale du Cameroun. D’autres sources parlent d’une bande à la recherche de vivres et de carburant. Il n’empêche, l’expédition aura coûté la vie à neuf personnes, dont un soldat et une fillette, tous deux camerounais.

 

A bien regarder la situation en Centrafrique, en se croirait entre « les Rapaces », le film culte d’Eric Von Stroheim où deux amis pervertis par l’appât de l’or finissent par se donner la mort en plein désert, et « Prédator », mis en scène par John Mac Tiernan,  où une créature extraterrestre, invisible à l’œil nu mais utilisant l’imagerie thermique, s’attaque mortellement aux êtres humains qu’elle considère comme des ennemis, jusqu’à ce que le dernier survivant d’une expédition découvre le secret de son camouflage et sa véritable nature.

En écartant son ancien associé François Bozizé pour confisquer le pouvoir à son seul bénéfice, avec l’aide des rebelles de l’alliance Séléka, Michel Djotodia ne se doutait pas qu’il liait son sort à une nébuleuse protéiforme dont les appétits féroces et cupides se nourriraient de la destruction du peuple centrafricain. Il y a du vampirisme dans cette alliance, aujourd’hui dissoute !

 

La situation se cristallise et se décante.

 

Les évènements graves cités ci-dessus, qui traduisent une crispation convulsive des différentes parties prenantes à la crise centrafricaine, s'inscrivent paradoxalement selon le principe de la fusion à hautes tensions, lesquelles se cristallisent en forces énergétiques puis déclinent une fois arrivées à leur paroxysme.

Il faut espérer que cette effervescente poussée des violences finira par décanter lentement selon la technique de la distillation, lorsque le bouilleur de crû porte son alambic à ébullition pour en extraire l'alcool, au goutte à goutte.

 

Différents signaux captés ces jours-ci permettent de conforter cette hypothèse hardie.

 

Le premier signal a été lancé par Michel Djotodia lui-même. Le président de transition a demandé au gouvernement d'union nationale et au Conseil national de transition d'étudier les modalités d'organisation d'un dialogue national inclusif. Autrement dit, une conférence nationale avec la participation de l'ex-président François Bozizé. L'ancien chef de l'Etat est, après les décès successifs des présidents Jean-Bedel Bokassa, David Dacko, Ange-Félix Patassé et André Kolingba ainsi que de l’ancien vice-président Abel Goumba, le seul survivant des dinosaures qui ont gouverné le pays. Le replacer dans schéma politique désarmerait ses partisans et leur ôterait toute propension à la revanche.

 

En appelant au dialogue inclusif, le président de transition reconnaît implicitement son échec politique à la tête de la République centrafricaine, comme hier il admettait son impuissance militaire en dissolvant l'alliance Séléka.

 

Il ne faut cependant pas être dupe de cette ouverture. La stratégie du dialogue inclusif vise surtout à sauver le peu qui reste du pouvoir de la rébellion. Il s'agit d'agréger le maximum de participants au gouvernement d'union nationale en phagocytant l’opposition démocratique et, parallèlement, en faisant adopter une amnistie générale qui viendrait couvrir tous les crimes et exactions de ces derniers mois. On promettrait ainsi l'impunité aux différents protagonistes de la tragédie actuellement en cours en République centrafricaine.

 

Le second signal a été émis par le ministre des Finances du gouvernement de transition. Ce dernier a en effet mis en exergue la situation catastrophique des finances publiques. Celle-ci se traduit par une chute de 45 % des recettes de l'Etat, principalement douanières, et une baisse de la production globale de 20 %, « en raison de l'attentisme des opérateurs économiques et la désorganisation de l'administration ». Dans un tel contexte, l'Etat centrafricain est en cessation de paiement et ne peut survivre que grâce aux subsides extérieurs. C'est ce qui a conduit le Conseil national de transition à adopter une loi de finances rectificative, votée dans la précipitation, ramenant le budget 2013 à 86 milliards de francs Cfa au lieu des 286 milliards projetés en première lecture, soit une amputation des plus des 2/3 ! Contrairement aux affirmations du chef de l’Etat par intérim, les autorités centrafricaines n’ont donc pas les ressources nécessaires pour rétablir la paix d’ici la fin d’année par leurs propres moyens.

Le pays est donc obligé dans ces conditions de passer sous les fourches caudines de ses bailleurs de fonds, lesquels bailleurs sont de plus en plus réticents et de moins en moins nombreux.

 

Le troisième signal a été émis par le représentant des Etats-Unis d’Amérique à l'issue de la réunion du groupe international de contact (GIC) chargé d'accompagner le processus de transition. Ce dernier a opposé le refus ferme de son pays à l'intégration des ex-rebelles de la Séléka dans les forces armées centrafricaines et les institutions de défense (police, gendarmerie), en arguant à juste titre du fait que l'Etat centrafricain n'a pas les moyens de ses ambitions. Dans la foulée, les autorités américaines ont conseillé à tous leurs ressortissants de quitter la RCA.

Cette décision alarmiste est le présage que les conditions d'une déflagration généralisée sont dorénavant réunies.

 

C'est dans cet esprit qu'il faut interpréter la remise, par le président de la transition Michel Djotodia en personne, d'une soixantaine de fusils d'assaut de type AK.47 et leurs munitions aux forces de police et de gendarmerie, au prétexte de renforcer la lutte contre les exactions commises par les ex-Séléka. Jusqu'alors, il se refusait à cette extrémité au motif sans doute que ces forces ne lui étaient pas acquises. Depuis, quelques 1 500 rebelles de l'ex-Séléka ont rejoint les rangs des « forces républicaines de défense et de sécurité », selon la terminologie consacrée par les autorités de transition. C’est admettre que les rapports de force ont changé, puisque les kalachnikovs n’ont jamais été en dotation dans les forces armées régulières centrafricaines.

 

Il n'est pas inutile de relever ici les prises de position de certain milieu de la diaspora centrafricaine  appelant ouvertement à une insurrection militaire ! Cette option paraît hasardeuse et compromettrait gravement l’issue de la transition en cours. Elle ne manquerait pas d’en repousser les échéances aux calendes grecques. Toutefois, à s’en tenir aux irruptions virulentes d’exactions, crimes, viols, exécutions sommaires extra-judiciaires et assassinats qui harcèlent le peuple de tous côtés, les risques d’un génocide ne semblent plus être une vue de l’esprit. Raison pour laquelle il est urgent de réagir préventivement, aussi bien au plan national qu’international.

 

Une perspective de paix pour Noël 2013 ?

 

Si l'analyse ci-dessus est cohérente et correspond à la réalité du moment, alors on doit rappeler quelques exigences fondamentales.

 

-        1°) Il serait vain, pour la France, de monter une nouvelle opération Barracuda, visant à renverser l'actuel président de la transition afin de favoriser le retour de son prédécesseur. Le double mandat présidentiel de François Bozizé était une calamité, il n'est donc pas possible de rétablir ce dernier, sa famille et son clan, au faîte du pouvoir. Toute intervention ne doit avoir pour seul objectif que la protection des civils et la conduite de la transition à des élections libres et transparentes, aux échéances prévues.

-        2°) La décantation possible des tensions et la sortie de crise supposent une double décision stratégique, au plan politique et au plan militaire :

ñ     la solution militaire passe par l'engagement rapide et préventif de la France au côté de la Misca, dont le déploiement est prévu à compter du 19 décembre prochain. Il s’agit de contenir, endiguer puis neutraliser les groupuscules armés qui sévissent tant à Bangui qu'en province. Cette neutralisation doit revêtir la forme unilatérale d'un désarmement et d'une démobilisation pour les éléments de l'ex-Séléka, voire d'un désarmement et d'une reconduite systématique à la frontière pour les éléments étrangers à la Centrafrique ;

ñ     la solution politique passe par la constitution d'un gouvernement de salut public ayant pour mission exclusive, outre l'accompagnement et la consolidation du rétablissement de la sécurité, le déploiement de l'aide humanitaire aux sinistrés d'une part et, d'autre part, la préparation des échéances électorales de février 2015. A cet égard, l'éventuelle nomination de l'ex-président du Burundi, Pierre Buyoya, pour la conduite du volet politique de cette stratégie, en complémentarité avec la nomination du général camerounais Martin Tumenta Chomu à la tête de la Misca, sera un point d'appui indispensable au médiateur de la crise, le président congolais Denis Sassou-Nguesso. Pierre Buyoya connaît bien le pays pour y avoir présidé le Dialogue politique inclusif en 2008. Il pourrait au moins, en garantissant l’équilibre des forces politiques au pouvoir dans l’esprit des Accords de Libreville du 11 janvier dernier, compenser la médiocrité du Premier-ministre actuel et l’anomie du gouvernement d’union nationale de transition, dont il faudrait souhaiter la démission.

-          3°) Enfin, il conviendrait d’envisager dès à présent la dissolution des structures politiques parallèles qui s’affranchissent du contrôle du Conseil national de transition. Il s’agit en particulier des instances de propagande et de répression mises en place par la présidence de transition que sont : le Forum national de réconciliation d’une part, et le Comité extraordinaire de défense des acquis démocratiques (CEDAD) d’autre part. Ces deux institutions ne sont sans doute pas étrangères à la recrudescence des exactions et aux exécutions ciblées qui se propagent ces derniers temps dans Bangui, visant en particulier des magistrats, hauts fonctionnaires, etc. A force de forger leurs convictions sur des renseignements biaisés ou des analyses erronées, les responsables de ces structures parallèles voient des comploteurs partout, au risque de renforcer l’ère du soupçon si propice à la terreur. Il est d’ailleurs curieux d’apprendre que pendant que de paisibles citoyens sont pris pour cibles par d’ex-rebelles Séléka, la présidence de transition tient langue et ravitaille en nourriture le sanguinaire chef  milicien ougandais de l’Armée de résistance du Seigneur (RLA), Joseph Kony, « qui aurait demandé un endroit où s’installer en République centrafricaine » ! La chose paraît surréaliste mais pas étonnante. Comme on dit dans le pays, « seul un sorcier peut reconnaître un autre sorcier ».

 

Au moment où les violences et les assassinats ciblés se multiplient, l’intervention rapide des forces françaises en soutien à la Fomac ou à la Misca, la démission du gouvernement d’union nationale de transition, remplacée par un gouvernement de salut public et l’instauration d’un état de siège ou d’urgence ainsi que la dissolution des institutions parallèles de propagande et de répression que sont le FNR et le CEDAD, nous paraissent les mesures d’urgence à prendre pour éviter le basculement dans la déflagration générale et pré-génocidaire.

 

C'est à ces conditions que le peuple centrafricain pourra se voir ouvrir une perspective de paix pour Noël 2013 !

 

 

Paris, le 21 novembre 2013.

 

Prosper INDO