Centrafrique: Mgr Nzapalainga, une crosse à poigne face aux fusils. S'oblige devant la crise, être un interlocuteur
Par
Michel
CARIOU,
AFP – vendredi 11 oct. 2013
D'abord facile, orateur hors-pair, mais aussi chef déterminé - et si besoin à poigne - de la puissante Eglise catholique de Centrafrique, l'archevêque de Bangui, Dieudonné Nzapalainga, s'est imposé comme un interlocuteur obligé à toute solution à la crise dans son pays.
D'abord facile, orateur hors-pair,
mais aussi chef déterminé - et si besoin à poigne - de la puissante Eglise
catholique de Centrafrique, l'archevêque de Bangui, Dieudonné Nzapalainga, s'est
imposé comme un interlocuteur obligé à toute solution à la crise dans son
pays.
Né le 14 mars 1967 à Bangassou
(
Et ce dans une terre que Rome
considérait comme un fief acquis et non comme une terre de mission: plus de 80%
des Centrafricains sont chrétiens et l'Eglise catholique imprime sa marque sur
la vie sociale et politique depuis l'indépendance.
Lorsque les premières violences
interconfessionelles ont éclaté en septembre, dans un contexte d'exaspération de
la population face aux exactions de combattants de l'ex-rébellion Séléka de
Michel Djotodia - premier président musulman du pays - le prélat a tenu des
propos très alarmistes sur les "appels à la haine religieuse", relève un
diplomate occidental à Bangui.
Très rapidement, le discours a été
recadré. Désormais l'archevêque, accompagné du chef spirituel de la communauté
musulmane de Centrafrique, l'imam Omar Kabine Layama, sillonne le pays pour dire
qu'"il ne s'agit pas d'un conflit interreligieux" mais d'un conflit importé par
des combattants venus de l'étranger, Tchad et Soudan.
Administrateur de fait du
pays
Au passage, il appelle les
politiques à "s'engager davantage", soulignant cruellement le silence et
l'absence des prétendants au pouvoir qui attendent la fin d'une transition
prévue pour durer théoriquement 18 mois.
Son activisme, conjugué à sa carrure
débonnaire, séduit: "personnage charismatique" pour un responsable
international, "efficace" selon un officier de haut-rang de la force africaine,
"respecté", dit un diplomate.
Dans un pays où la discipline n'est
pas le point fort de la troupe, un signe est révélateur: à son passage les
militaires se mettent immédiatement au garde-à-vous et le saluent avec
déférence. Tous les membres du gouvernement, loin s'en faut, n'ont pas droit à
pareille marque d'allégeance.
Car "de part sa fonction, c'est un
des hommes les plus puissants du pays", explique un
diplomate.
Au fil d'une histoire constellée de
coups d'Etat et de rébellions, l'administration de l'Etat a disparu de pans
entiers du pays. Aujourd'hui, avec ses diocèses, paroisses, écoles,
dispensaires, et son bras humanitaire - Caritas - l'Eglise est la seule
institution implantée sur tout le territoire, avec du personnel formé et payé,
qui fonctionne. L'Etat faisant défaut, l'archevêque est de facto le chef de
l'administration du pays.
Et ses capacités de chef, il les a
montrées à ses compatriotes lorsqu'il a fallu faire le ménage dans l'Eglise de
Centrafrique.
En 2008, alors qu'il est simple abbé
à Bangui à son retour de France où il avait passé huit ans à Marseille
(sud-est), une commission d'enquête spéciale du Saint-Siège débarque dans la
capitale avec pour mission de mettre fin aux pratiques d'une partie du clergé -
curés polygames, prévarication, recours aux indulgences,... - qui scandalisaient
Benoît XVI.
Magie du verbe
L'archevêque de l'époque, Mgr Paulin
Pomodino, est débarqué sans ménagement. "Cela a été brutal", dit un témoin des
évènements. Une quarantaine de prêtres sont éjectés de
l'Eglise.
L'abbé Nzapalainga est nommé par le
Vatican à 42 ans administrateur apostolique - sorte d'administrateur provisoire
- de l'Eglise de Centrafrique avec pour mission de terminer le travail et de
remettre le clergé en ordre de marche face aux avancées des Eglises
évangéliques.
L'administrateur apostolique exécute
les ordres sans états d'âme, quitte à passer pour un ambitieux aux yeux de ses
détracteurs. Trois ans plus tard il est promu archevêque.
Quand la crise actuelle éclate fin
2012, chacun a retrouvé son rang: le président - alors François Bozizé - a les
armes, l'archevêque l'administration, et le gouvernement joue les figurants.
L'équation n'a pas vraiment changé avec l'arrivée au pouvoir de Michel Djotodia
en mars dernier.
"C'était un élève très intelligent",
se rappelle le père espagnol Juan Jose Aguirre, installé dans le pays depuis 34
ans et qui a été son professeur au petit séminaire de Bangassou. Mais il avait
quelque chose de plus, ajoute-t-il: "sa parole avait de l'autorité. Il parle
avec une intensité spéciale".
En français, mais surtout en sango,
la langue du peuple. Et le pouvoir allié à la magie du verbe, ça pèse en
Afrique.
Alors dans la crise actuelle,
l'archevêque pourrait-il être tenté par la politique, comme cela s'est s'est vu
dans d'autres pays du continent. A cette question, un de ses proches répond en
souriant: "le pouvoir temporel, il le pratique déjà au
quotidien".