République Centrafricaine : pourquoi la France pousse un «cri d’alarme»

Maria MALAGARDIS Envoyée spéciale en Centrafrique. liberation.fr - 27 septembre 2013

Ateliers de soins entre enfants et parents au centre pédiatrique de Bangui, organisés par Action Contre la Faim, le 11 septembre 2013. (Photo Corentin Fohlen. Divergence pour Libération)

Ateliers de soins entre enfants et parents au centre pédiatrique de Bangui, organisés par Action Contre la Faim, le 11 septembre 2013. (Photo Corentin Fohlen. Divergence pour Libération)

 

DÉCRYPTAGE

Le pays est sous la menace d'une crise humanitaire, des actions des mouvements rebelles et des risques d'un conflit religieux.

«Nous avons poussé un cri d’alarme, un coup de gueule», a résumé jeudi depuis New York le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius. Dès l’ouverture de l’Assemblée générale des Nations unies, mardi, la France était en effet en pointe pour exiger une mobilisation urgente de la communauté internationale face à la dérive de ce pays, grand comme la France et la Belgique réunies, enclavé au cœur du continent africain.

Après ce «cri d’alarme» de François Hollande mardi, une réunion consacrée à ce pays souvent jugé «oublié» ou «invisible» a été organisée mercredi au siège de l’ONU. Coprésidée par la France et l’Union européenne, elle a surtout permis de définir les besoins logistiques (notamment le renforcement d’une force régionale qui comprend 1 400 hommes déjà sur place) et de donner quelques petits coups de pouce. Paris s’est ainsi engagé a apporté une aide supplémentaire de 10 millions d’euros à cet «Etat néant» comme l’a défini Laurent Fabius.

Les représentants de «l’Etat néant» en question auraient pu se vexer, mais l’actuel Premier ministre, Nicolas Tiengaye, a tenu à remercier «les pays venus au chevet» de la Centrafrique. Il est vrai que les nouveaux maîtres du pays sont les premiers à réclamer de l’aide pour empêcher le pays de sombrer dans le chaos. Depuis qu’une rébellion a chassé du pouvoir le président François Bozizé en mars, le pays est en effet confronté à une double crise à laquelle s’ajoute une menace inédite bien qu’encore diffuse.

Centrafrique: le pays en chiffres

Une crise humanitaire

Selon les dernières estimations, 1,6 millions de Centrafricains ont besoin d’une aide d’urgence. En cause : la désorganisation totale du pays, suite à la conquête du pays par les rebelles de la Seleka («l’Alliance»), une coalition hétéroclite créée en décembre au nord du pays, qui a conquis la moitié de la Centrafrique en quelques semaines puis a foncé sur Bangui en mars. Depuis tout est en stand-by, surtout en province, dans ce vaste «arrière-pays» qui s’étend dès la sortie de Bangui et qui vit désormais privé d’approvisionnement, de soins et souvent d’administration.

«Le problème n’est toutefois pas nouveau, tempère Amy Martin, une Américaine qui coordonne l’action humanitaire de l’ONU à Bangui. Même sans les changements politiques récents, nous aurions fait face à une crise humanitaire, certes de moindre ampleur. C’est un pays déstructuré depuis de nombreuses années, qui dérivait déjà lentement avant l’apparition des rebelles.»

«C’est un pays en crise chronique, qui d’habitude n’attire pas l’attention de la communauté internationale, renchérit un humanitaire à Bangui. La Centrafrique ne compte que 4,5 millions d’habitants. Avant la dernière crise, on avait du mal à mobiliser les bailleurs de fonds pour 20 000 déplacés ou 10 000 cas de malnutrition, alors que le moindre mouvement de population dans l’est du Congo prend des proportions bibliques.» Cette fois-ci cependant le nombre des déplacés est estimé à 270 000 Centrafricains, qui ont fui le plus souvent par peur pour leur sécurité.

Une crise sécuritaire

La victoire de la Seleka n’a entraîné que peu de combats contre les forces régulières censées obéir à Bozizé. Arrivé lui-même au pouvoir, en 2003, par un coup de force, l’ex-président s’était rendu impopulaire même au sein de ses propres troupes, mal payées et souvent humiliées par le chef de l’Etat. Pas étonnant dans ces conditions que les forces du Président aient préféré fuir plutôt que de le défendre jusqu’au bout.

Reste que cette victoire facile s’est quand même déroulée dans un chaos total. En route vers Bangui, les troupes de la Seleka, lesquelles ont accueilli tous ceux qui souhaitaient en découdre et se sont livrées à une orgie de pillages et d’exactions sur leur passage. Peu disciplinées, n’obeissant qu’à leur chef local, ces troupes ont semé la terreur. Dans les campagnes, les villageois se sont cachés plusieurs jours en brousse pour éviter de les croiser.

Le nouveau président autoproclamé, Michel Djotodia est cependant un civil, bien qu’issu des rangs de la rébellion. Le 13 septembre, il a annoncé la dissolution de la Seleka, appelée à se fondre dans la nouvelle armée centrafricaine. Mais sur le terrain, difficile de reprendre le pouvoir aux hommes en armes. D’autant que début septembre, des groupes se revendiquant de Bozizé ont mené plusieurs attaques à l’ouest du pays. Là encore, rien de nouveau sous le soleil centrafricain : depuis une décennie, l’arrière-pays est un vaste no man’s land livré à des mouvements rebelles. Tous locaux si l’on excepte l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), féroce rébellion née en Ouganda, qui,ces dernières années avait trouvé un nouveau sanctuaire dans l’est de la Centrafrique.

Finalement la crise actuelle a surtout permis d’attirer l’attention sur des maux récurrents qui ont connu une brutale amplification lors du récent changement de pouvoir. Mais il y a aussi une menace inédite qui plane sur la Centrafrique.

Au commissariat central de Bangui, en Centrafrique, le 13 septembre 2013 (Photo Corentin Fohlen. Divergence pour Libération)

Au commissariat central de Bangui, en Centrafrique, le 13 septembre 2013 (Photo Corentin Fohlen. Divergence pour Libération)

 

Un risque de conflit religieux

Avec l’arrivée de la Seleka au pouvoir, c’est, pour la première fois, le nord musulman qui prend le pouvoir en Centrafrique, pays majoritairement catholique. Des rumeurs d’exactions contre les chrétiens ont alimenté l’avancée de la Seleka vers le sud. Mais les groupes se revendiquant de Bozizé, qui ont attaqué l’ouest début septembre, ont «en représailles» ciblé des victimes musulmanes. Depuis, de nombreux experts agitent le chiffon rouge d’un conflit religieux et même d’une sanctuarisation de la Centrafrique par des islamistes purs et durs, psychose renforcée depuis l’attaque du centre commercial de Nairobi. L’arrière-pays offre le cadre idéal pour propager ce genre de rumeurs : les informations sont rares, les chefs militaires locaux tout puissants. Mais jusqu’à présent, les différentes communautés ont toujours vécu en bonne entente dans «un pays, avant tout 100% animiste» comme le rappelle un connaisseur du pays.

Source : http://www.liberation.fr/monde/2013/09/27/centrafrique-pourquoi-la-france-pousse-un-cri-d-alarme_935006

 

 

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La France en Centrafrique : une politique de distance arrogante ?

Pourquoi Hollande s’est abstenu d’agir en RCA

Publié le 27 septembre 2013 à 15:00 dans Monde

À défaut d’agir, donner le change, tirer la sonnette d’alarme, se répandre en vœux pieux de Paris à New York pour tenter d’expliquer qu’on ne laissera jamais, au grand jamais, la guerre civile s’embraser à Bangui. Mercredi 25 septembre, en marge de la 68e assemblée générale des Nations Unies, les services de Laurent Fabius ont pris l’initiative d’une réunion de crise sur la situation centrafricaine. La diplomatie française, avec ses considérations distinguées, le verbe haut dont elle s’est fait une spécialité en ce genre de circonstances et, il faut bien l’avouer, un début d’inquiétude, se réveille face à l’ampleur du drame centrafricain.

Le pays s’effondre sur lui-même. On déplore 400 000 déplacés depuis le début du coup d’Etat, 63 000 réfugiés. Un bon tiers de la population centrafricaine, 1,5 million de personnes, survit dans des conditions humanitaires dramatiques. Les caisses de l’Etat sont vides. Les fonctionnaires ne perçoivent plus leurs salaires. Le marché du diamant échappe à tout contrôle. Les routes vers le Cameroun, par Bouar, et vers le Tchad, par Bossangoa, sont coupées par les rebelles. Comme si le pays se condamnait à être à la fois acteur et spectateur de sa propre tragédie, à huis clos.

La violence règle désormais les rapports sociaux. On ne compte plus les meurtres et les viols. Fin août, deux opérations de « désarmement », confiées à la Séléka, ont tourné au pillage et aux exécutions sommaires : à Boy Rabe d’abord, puis à Boeing. Victime de cet arbitraire, la population, majoritairement chrétienne, s’est trouvé un bouc émissaire : l’Islam. À Bangui, la rumeur tient la rébellion pour un djihad déguisé, qui bénéficierait de la complicité des minorités musulmanes autochtones. On prétend, dans les quartiers, que le bac n’est délivré qu’aux lycéens de confession musulmane, que des armes sont distribuées aux musulmans…Faut-il attendre que le pays vive sa Saint Barthélémy avant d’agir ?

L’inventaire du chaos centrafricain n’aura pas suffi. Ce qui fait trembler la cellule africaine du Quai d’Orsay, au fond, c’est le spectre d’un trou noir en Afrique centrale. Un Etat failli au cœur d’Etats fragiles comme le Tchad, la République démocratique du Congo ou le Sud-Soudan, à peine sorti des fonds baptismaux. Qu’un Etat fantôme comme la Centrafrique se décompose, soit, mais qu’il déstabilise, dans sa chute, l’équilibre précaire d’une région en crise, voilà qui, au regard de la géopolitique, n’est plus concevable.

Entre deux feux, ceux d’une opération malienne plutôt réussie, et d’une éventuelle intervention syrienne à hauts risques, la France a donc pris le temps de considérer le cas centrafricain. Pourtant l’option retenue à New York laisse songeur. On ne sort pas du prisme onusien. Laurent Fabius a ainsi appelé l’ONU à « renforcer la mission internationale de soutien à la Centrafrique » déjà en place, la MISCA, ex-MICOPAX dans le jargon d’usage. Autrement dit, porter plus rapidement que prévu à 3600, les forces armées issues des pays frontaliers de la Centrafrique et qui forment à l’heure actuelle une troupe de 1300 hommes, censés assurer la sécurité du pays. Pas d’opération de maintien de la paix, les partenaires du Conseil de sécurité n’étant pas suffisamment chauds pour la manœuvre, mais le renforcement d’une force déjà présente à Bangui et dont l’expérience a déjà largement montré les limites. Au besoin, on se laisse la latitude d’élargir le contingent français de 400 hommes installé à Bangui, l’opération Boali, mais dont les mains restent liées par l’absence de mandat. Pour le dire plus clairement, on gueule, on s’apitoie, puis on se cache derrière son petit doigt, en priant pour que le pire n’advienne pas.

Pourquoi la France n’est-elle pas intervenue plus tôt en Centrafrique? 400 hommes auraient suffi à stopper la lente progression d’une rébellion artisanale. 400 hommes, peut-être plus, si l’on s’en était donné les moyens, auraient suffi à éviter le drame auquel nous assistons. La priorité de l’intervention malienne a étouffé l’urgence de la crise centrafricaine. Le calcul des intérêts en jeu, sur lequel se fonde toute diplomatie, s’est révélé défavorable à l’angle mort centrafricain, dont les ressources se réduisent somme toute à une peau de chagrin. Une rébellion de plus a-t-on pensé, voilà bien un juste salaire pour un régime qui n’a pas tenu les objectifs de bonne gouvernance qu’on lui avait fixés. Et puis il y eut cet ultime alibi qui devait satisfaire tout le monde, « la fin de la Françafrique », scellée dès Sarkozy, par les nouveaux accords de coopération signés en 2010 et par lesquels on se libérait, en tout bien tout honneur, des servitudes d’un pacte militaire. Ou comment un slogan produit la politique du pire. Sûr de la jouer plus finaude que son prédécesseur, et d’éviter ainsi les braises, François Hollande a donc joué la partition de l’indifférence vertueuse.

N’y avait-il pas une troisième voie, juste et responsable, entre l’impérialisme fanfaron des années Foccart, et, pour le dire à l’anglaise, le « benign neglect »1 qui a dicté notre gestion de la crise centrafricaine?

1.                    Terme utilisé par les anglais qu’on pourrait traduire par «distance arrogante ». L’expression a été utilisée récemment par François Bayrou pour qualifier le mode de gouvernance de François Hollande.

 

http://www.causeur.fr/la-france-en-centrafrique-une-politique-de-distance-arrogante,24337