République Centrafricaine :
pourquoi la France pousse un «cri d’alarme»
Ateliers de soins
entre enfants et parents au centre pédiatrique de Bangui, organisés par Action
Contre la Faim, le 11 septembre 2013. (Photo Corentin Fohlen. Divergence pour
Libération)
DÉCRYPTAGE
Le pays est sous la menace d'une
crise humanitaire, des actions des mouvements rebelles et des risques d'un
conflit religieux.
«Nous avons poussé un
cri d’alarme, un coup de gueule», a résumé jeudi depuis
New York le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius. Dès l’ouverture de
l’Assemblée générale des Nations unies, mardi, la France était en effet en
pointe pour exiger une mobilisation urgente de la communauté internationale face
à la dérive de ce pays, grand comme la France et la Belgique réunies, enclavé au
cœur du continent africain.
Après ce «cri d’alarme» de François Hollande
mardi, une réunion consacrée à ce pays souvent jugé «oublié» ou «invisible» a été organisée mercredi au
siège de l’ONU. Coprésidée par la France et l’Union européenne, elle a surtout
permis de définir les besoins logistiques (notamment le renforcement d’une force
régionale qui comprend 1 400 hommes déjà sur place) et de donner quelques
petits coups de pouce. Paris s’est ainsi engagé a apporté une aide
supplémentaire de 10 millions d’euros à cet «Etat néant» comme l’a défini Laurent
Fabius.
Les représentants de
«l’Etat néant» en question auraient pu se vexer, mais l’actuel Premier ministre,
Nicolas Tiengaye, a tenu à remercier «les
pays venus au chevet» de la Centrafrique. Il est vrai que les
nouveaux maîtres du pays sont les premiers à réclamer de l’aide pour empêcher le
pays de sombrer dans le chaos. Depuis qu’une rébellion a chassé du pouvoir le
président François Bozizé en mars, le pays est en effet confronté à une double
crise à laquelle s’ajoute une menace inédite bien qu’encore
diffuse.
Une crise
humanitaire
Selon les dernières
estimations, 1,6 millions de Centrafricains ont besoin d’une aide
d’urgence. En cause : la désorganisation totale du pays, suite à la
conquête du pays par les rebelles de la Seleka («l’Alliance»), une coalition
hétéroclite créée en décembre au nord du pays, qui a conquis la moitié de la
Centrafrique en quelques semaines puis a foncé sur Bangui en mars. Depuis tout
est en stand-by, surtout en province, dans ce vaste «arrière-pays» qui s’étend
dès la sortie de Bangui et qui vit désormais privé d’approvisionnement, de soins
et souvent d’administration.
«Le problème n’est
toutefois pas nouveau, tempère Amy Martin,
une Américaine qui coordonne l’action humanitaire de l’ONU à Bangui. Même sans les changements politiques récents, nous
aurions fait face à une crise humanitaire, certes de moindre ampleur. C’est un
pays déstructuré depuis de nombreuses années, qui dérivait déjà lentement avant
l’apparition des rebelles.»
«C’est un pays en
crise chronique, qui d’habitude n’attire pas l’attention de la communauté
internationale, renchérit un
humanitaire à Bangui. La Centrafrique ne
compte que 4,5 millions d’habitants. Avant la dernière crise, on avait du mal à
mobiliser les bailleurs de fonds pour 20 000 déplacés ou 10 000 cas de
malnutrition, alors que le moindre mouvement de population dans l’est du Congo
prend des proportions bibliques.» Cette fois-ci cependant le
nombre des déplacés est estimé à 270 000 Centrafricains, qui ont fui le
plus souvent par peur pour leur sécurité.
Une crise
sécuritaire
La victoire de la
Seleka n’a entraîné que peu de combats contre les forces régulières censées
obéir à Bozizé. Arrivé lui-même au pouvoir, en 2003, par un coup de force,
l’ex-président s’était rendu impopulaire même au sein de ses propres troupes,
mal payées et souvent humiliées par le chef de l’Etat. Pas étonnant dans ces
conditions que les forces du Président aient préféré fuir plutôt que de le
défendre jusqu’au bout.
Reste que cette
victoire facile s’est quand même déroulée dans un chaos total. En route vers
Bangui, les troupes de la Seleka, lesquelles ont accueilli tous ceux qui
souhaitaient en découdre et se sont livrées à une orgie de pillages et
d’exactions sur leur passage. Peu disciplinées, n’obeissant qu’à leur chef
local, ces troupes ont semé la terreur. Dans les campagnes, les villageois se
sont cachés plusieurs jours en brousse pour éviter de les
croiser.
Le nouveau président
autoproclamé, Michel Djotodia est cependant un civil, bien qu’issu des rangs de
la rébellion. Le 13 septembre, il a annoncé la dissolution de la Seleka, appelée
à se fondre dans la nouvelle armée centrafricaine. Mais sur le terrain,
difficile de reprendre le pouvoir aux hommes en armes. D’autant que début
septembre, des groupes se revendiquant de Bozizé ont mené plusieurs attaques à
l’ouest du pays. Là encore, rien de nouveau sous le soleil centrafricain :
depuis une décennie, l’arrière-pays est un vaste no man’s land livré à des
mouvements rebelles. Tous locaux si l’on excepte l’Armée de résistance du
Seigneur (LRA), féroce rébellion née en Ouganda, qui,ces dernières années avait
trouvé un nouveau sanctuaire dans l’est de la
Centrafrique.
Finalement la crise
actuelle a surtout permis d’attirer l’attention sur des maux récurrents qui ont
connu une brutale amplification lors du récent changement de pouvoir. Mais il y
a aussi une menace inédite qui plane sur la Centrafrique.
Au commissariat
central de Bangui, en Centrafrique, le 13 septembre 2013 (Photo Corentin Fohlen.
Divergence pour Libération)
Un risque de conflit
religieux
Avec l’arrivée de la
Seleka au pouvoir, c’est, pour la première fois, le nord musulman qui prend le
pouvoir en Centrafrique, pays majoritairement catholique. Des rumeurs
d’exactions contre les chrétiens ont alimenté l’avancée de la Seleka vers le
sud. Mais les groupes se revendiquant de Bozizé, qui ont attaqué l’ouest début
septembre, ont «en
représailles» ciblé des victimes musulmanes. Depuis, de nombreux
experts agitent le chiffon rouge d’un conflit religieux et même d’une
sanctuarisation de la Centrafrique par des islamistes purs et durs, psychose
renforcée depuis l’attaque du centre commercial de Nairobi. L’arrière-pays offre
le cadre idéal pour propager ce genre de rumeurs : les informations sont
rares, les chefs militaires locaux tout puissants. Mais jusqu’à présent, les
différentes communautés ont toujours vécu en bonne entente dans «un pays, avant tout 100% animiste» comme
le rappelle un connaisseur du pays.
Source : http://www.liberation.fr/monde/2013/09/27/centrafrique-pourquoi-la-france-pousse-un-cri-d-alarme_935006
-----------------------------------------------------------
La France
en Centrafrique : une politique de distance arrogante
?
Pourquoi Hollande s’est abstenu
d’agir en RCA
Publié le 27 septembre 2013 à 15:00
dans Monde
À défaut d’agir, donner le change,
tirer la sonnette d’alarme, se répandre en vœux pieux de Paris à New York pour
tenter d’expliquer qu’on ne laissera jamais, au grand jamais, la guerre civile
s’embraser à Bangui. Mercredi 25 septembre, en marge de la 68e
assemblée générale des Nations Unies, les services de Laurent Fabius ont pris
l’initiative d’une réunion de crise sur la situation centrafricaine. La
diplomatie française, avec ses considérations distinguées, le verbe haut dont
elle s’est fait une spécialité en ce genre de circonstances et, il faut bien
l’avouer, un début d’inquiétude, se réveille face à l’ampleur du drame
centrafricain.
Le pays s’effondre sur lui-même. On
déplore 400 000 déplacés depuis le début du coup d’Etat, 63 000 réfugiés. Un bon
tiers de la population centrafricaine, 1,5 million de personnes, survit dans des
conditions humanitaires dramatiques. Les caisses de l’Etat sont vides. Les
fonctionnaires ne perçoivent plus leurs salaires. Le marché du diamant échappe à
tout contrôle. Les routes vers le Cameroun, par Bouar, et vers le Tchad, par
Bossangoa, sont coupées par les rebelles. Comme si le pays se condamnait à être
à la fois acteur et spectateur de sa propre tragédie, à huis
clos.
La violence règle désormais les
rapports sociaux. On ne compte plus les meurtres et les viols. Fin août, deux
opérations de « désarmement », confiées à la Séléka, ont tourné au
pillage et aux exécutions sommaires : à Boy Rabe d’abord, puis à Boeing.
Victime de cet arbitraire, la population, majoritairement chrétienne, s’est
trouvé un bouc émissaire : l’Islam. À Bangui, la rumeur tient la
rébellion pour un djihad déguisé, qui bénéficierait de la complicité des
minorités musulmanes autochtones. On prétend, dans les quartiers, que le bac
n’est délivré qu’aux lycéens de confession musulmane, que des armes sont
distribuées aux musulmans…Faut-il attendre que le pays vive sa Saint Barthélémy
avant d’agir ?
L’inventaire du chaos centrafricain
n’aura pas suffi. Ce qui fait trembler la cellule africaine du Quai d’Orsay, au
fond, c’est le spectre d’un trou noir en Afrique centrale. Un Etat failli au
cœur d’Etats fragiles comme le Tchad, la République démocratique du Congo ou le
Sud-Soudan, à peine sorti des fonds baptismaux. Qu’un Etat fantôme comme la
Centrafrique se décompose, soit, mais qu’il déstabilise, dans sa chute,
l’équilibre précaire d’une région en crise, voilà qui, au regard de la
géopolitique, n’est plus concevable.
Entre deux feux, ceux d’une
opération malienne plutôt réussie, et d’une éventuelle intervention syrienne à
hauts risques, la France a donc pris le temps de considérer le cas
centrafricain. Pourtant l’option retenue à New York laisse songeur. On ne sort
pas du prisme onusien. Laurent Fabius a ainsi appelé l’ONU à « renforcer
la mission internationale de soutien à la Centrafrique » déjà en place,
la MISCA, ex-MICOPAX dans le jargon d’usage. Autrement dit, porter plus
rapidement que prévu à 3600, les forces armées issues des pays frontaliers de la
Centrafrique et qui forment à l’heure actuelle une troupe de 1300 hommes, censés
assurer la sécurité du pays. Pas d’opération de maintien de la paix, les
partenaires du Conseil de sécurité n’étant pas suffisamment chauds pour la
manœuvre, mais le renforcement d’une force déjà présente à Bangui et dont
l’expérience a déjà largement montré les limites. Au besoin, on se laisse la
latitude d’élargir le contingent français de 400 hommes installé à Bangui,
l’opération Boali, mais dont les mains restent liées par l’absence de mandat.
Pour le dire plus clairement, on gueule, on s’apitoie, puis on se cache derrière
son petit doigt, en priant pour que le pire n’advienne
pas.
Pourquoi la France n’est-elle pas
intervenue plus tôt en Centrafrique? 400 hommes auraient suffi à stopper la
lente progression d’une rébellion artisanale. 400 hommes, peut-être plus, si
l’on s’en était donné les moyens, auraient suffi à éviter le drame auquel nous
assistons. La priorité de l’intervention malienne a étouffé l’urgence de la
crise centrafricaine. Le calcul des intérêts en jeu, sur lequel se fonde toute
diplomatie, s’est révélé défavorable à l’angle mort centrafricain, dont les
ressources se réduisent somme toute à une peau de chagrin. Une rébellion de plus
a-t-on pensé, voilà bien un juste salaire pour un régime qui n’a pas tenu les
objectifs de bonne gouvernance qu’on lui avait fixés. Et puis il y eut cet
ultime alibi qui devait satisfaire tout le monde, « la fin de la
Françafrique », scellée dès Sarkozy, par les nouveaux accords de
coopération signés en 2010 et par lesquels on se libérait, en tout bien tout
honneur, des servitudes d’un pacte militaire. Ou comment un slogan produit la
politique du pire. Sûr de la jouer plus finaude que son prédécesseur, et
d’éviter ainsi les braises, François Hollande a donc joué la partition de
l’indifférence vertueuse.
N’y avait-il pas une troisième voie,
juste et responsable, entre l’impérialisme fanfaron des années Foccart, et, pour
le dire à l’anglaise, le « benign neglect »1
qui a dicté notre gestion de la crise centrafricaine?
1.
Terme
utilisé par les anglais qu’on pourrait traduire par «distance arrogante ».
L’expression a été utilisée récemment par François Bayrou pour qualifier le mode
de gouvernance de François Hollande. ↩
http://www.causeur.fr/la-france-en-centrafrique-une-politique-de-distance-arrogante,24337