Centrafrique : La course à l'échalote

 

On a tort de considérer le cinéma comme un art mineur. Parfois il donne à voir et à entendre des expressions surannées qui ont le charme désuet des vérités de Lapalisse. Il en est ainsi du film du réalisateur français Claude Zidi, « La course à l'échalote ».

 

C'est une expression très ancienne qui désigne une partie anatomique du corps humain, les fesses, et dont l'acception contemporaine veut dire courir au très près de quelqu'un afin de le coiffer sur le poteau au dernier moment. Cette formule vieillotte s'emploie désormais uniquement pour désigner les compétitions politiques où les différents candidats utilisent tous les moyens pour arriver premier, le propre de la course au pouvoir.

 

En République centrafricaine, l'expression fait florès ces derniers jours dans les couloirs du Conseil national de la transition. En effet, le scrutin pour l'élection du futur président intérimaire de la transition n'est pas encore ouvert que les candidatures se télescopent. A entendre la rumeur, ils seraient treize à briguer les suffrages des Conseillers nationaux. Treize, comme les apôtres de Jésus-Christ, dont on sait que certains se perdront en chemin et un seul trahira.

 

Cependant, à l'inverse des apôtres, les 13 prétendants ci-devant ne sont pas tous du même genre. On décompte trois femmes, quatre militaires et six personnalités civiles.

Comme dans tout scrutin, on relève les candidatures-témoignages, ceux qui sont là par ambition personnelle ; les candidatures-attrappe-nigauds qui roulent pour d'autres ou pour faire échec à d'autres ; les candidatures-faire-valoir, tout juste présentes pour faire nombre, etc.

 

Les critères retenus par le CNT pour départager les futurs prétendants excluent d'office les candidats visés par les dispositions de l'article110 de la Charte nationale de la transition. Il s'agit en particulier du président et des membres qui siègent au Bureau du CNT. Ainsi, le représentant du médiateur de la crise centrafricaine vient de le rappeler, exhortant l'ensemble des parlementaires à ne pas faire acte de candidature.

 

Il convient également de mettre hors jeu les ex-Séléka et les anti-Balaka. Les premiers cités sont les responsables du chaos actuel. Les seconds ont acheté et distribué les machettes ou fusils qui ont armé la main des jeunes désoeuvrés des quartiers nord de Bangui et de la ville de Bossangoa. Des deux côtés, on a transformé de pauvres innocents incultes en génocidaires inconscients de leurs actes. Ils tuent leurs semblables, non point pour ce qu’ils ont fait, mais uniquement pour ce qu’ils sont. C’est le crime absolu, dont les commanditaires et les différents responsables à des degrés divers doivent être châtiés, c’est-à-dire jugés et condamnés, comme au Cambodge, comme au Rwanda. Ce n’est peut-être pas la même échelle, mais la signification est identique.

 

S’agissant des autres prétendants cités par la rumeur, un certain nombre doit être éliminé sans état d’âme. Qu’ils soient militaires ou membres des groupes dits poilitico-militaires, parfois les deux, ils ont participé aux mutineries, insurrections ou coups de force pour accéder au pouvoir par les armes, et conduit la République aux abysses.

Nous ne les nommerons pas, non par charité chrétienne, mais de peur de jeter en pâture l’honneur de leurs conjoints et héritiers.

 

Toutefois, en voulant aller vite, les membres du Bureau du CNT ont cumulé les handicaps. Sur les 16 critères d’éligibilité retenus, un certain nombre ont fait l’objet d’une amnistie générale négociée dans le cadre des conférences « Vérité et Réconciliation » ou autre « Dialogue politique inclusif » qui se sont tenus entre 1996 et 2010. Le Conseil ne peut feindre de les ignorer.

 

Parallèlement, dans leur précipitation, les membres du Bureau du CNT ont oublié ou ignoré la production d’un certificat médical rédigé en termes semblables par deux médecins experts auprès des tribunaux, attestant de la bonne santé mentale et physique de chaque candidat. Erreur matérielle où oubli volontaire, cette absence ouvre la voie à un procès d’intention.

 

A cela s’ajoute le délai très court laissé aux différents candidats pour le dépôt des pièces réclamées, soit le jeudi 16 janvier 2014 entre 9H et 16H. Soit certains candidats étaient déjà dans la confidence de ces éléments et ont préparé leur dossier en connaissance de cause pour tenir les délais impartis, soit personne n’était au courant et ce délai paraît fantaisiste. A le maintenir, les membres du CNT viendraient à suggérer qu’ils ont déjà sélectionné un candidat a priori et voudraient l’imposer coûte que coûte. Après l’épisode du déplacement des membres du Conseil à N’Djamena le week-end dernier, cette précipitation laisse planer un doute sur la sincérité du scrutin.

 

Le CNT ayant quinze jours pour procéder à l’élection d’un nouveau chef d’Etat de transition, il serait utile de « laisser du temps au temps » et fixer au lundi 20 janvier 2014 à 12 heures précises le délai limite de dépôt des candidats ; se réserver les mardi et mercredi pour étudier et valider les candidatures ; procéder au jeudi 16 janvier 2014 la date de la désignation du chef de la transition.

 

Dans l’immédiat et si l’on s’en tient à la procédure en l’état, des treize noms colportés par les bruits de couloir, il ne resterait plus que deux candidats possibles, un homme et une femme, comme dans un film de François Truffaut. Le cinéma, encore. Cette fois, la bande annonce pourrait titrer : « L’édile et le soldat ». Sauf à voir le Bureau du Conseil national de transition sortir à la dernière minute le nom d’une personnalité cachée, tel un prestigitateur tirant de sa manche une colombe blanche à la fin de son numéro. On serait tenté de crier : Bravo l’artiste !

 

Paris, le 15 janvier 2014

 

Prosper INDO