Changement de pouvoir sur fond
d'exécutions publiques en RCA
BANGUI, 23 janvier 2014 (IRIN) - Deux
meurtres commis ce week-end sous les yeux des médias et des Casques bleus
français en République centrafricaine (RCA) soulèvent des questions quant à
l'insécurité et aux rapports de force dans la capitale,
Bangui.
Des reporters d'IRIN et d'autres
médias étaient présents lorsque deux hommes ont été tués et leurs corps brûlés à
un rond-point de l'Avenue Boganda, dans le sud de la ville, le 19
janvier.
Une patrouille de l'armée
française faisant partie de la mission de maintien de la paix Sangaris était
également sur les lieux dans un véhicule blindé. On ignore cependant si les
exécutions dont ont été témoins les journalistes étaient clairement visibles
pour ces soldats ou s'ils étaient dissimulés par la fumée et la
foule.
Ces deux assassinats ont été
commis vers dix heures du matin, après le blocage d'une rue menant au rond-point
par un groupe de jeunes hommes à l'aide de pierres et de pneus
enflammés.
Selon un témoin, qui a préféré
ne pas révéler son nom, les jeunes hommes protestaient car, la veille, « des
musulmans [avaient] enlevé un chauffeur de taxi et [l'avaient] exécuté à
Kilomètre Cinq », un quartier à majorité musulmane.
« Les musulmans accusent
certains chauffeurs de taxi de livrer des musulmans aux Centrafricains pour
qu'ils soient exécutés », a-t-il ajouté.
La Seleka, une coalition à
majorité musulmane, a pris le pouvoir à Bangui en mars de l'année passée.
Depuis, les violences se sont multipliées entre les ex-Seleka (la coalition a
depuis été démantelée officiellement, mais pas en pratique) et des groupes
non-musulmans.
Les attaques aveugles de la part
de la milice non-musulmane connue sous le nom d'anti-balaka (terme qui pourrait
se traduire par « invincible ») et les représailles des ex-Seleka ont fait au
moins 750 morts à Bangui début décembre. Selon un rapport de Médecin Sans
Frontières de la semaine dernière, le principal hôpital de la ville continue de
recevoir 20 blessés par jour en moyenne.
Le 20 janvier, Amnesty
International a exhorté la nouvelle présidente intérimaire, Catherine
Samba-Panza, qui entrait en fonction le jour même, de maîtriser les milices
anti-Balaka « hors de contrôle » qui poussent actuellement les musulmans à fuir
massivement. [ http://www.amnesty.org/en/news/car-muslim-exodus-2014-01-20
]
Selon l'organisation non
gouvernementale (ONG), les quartiers musulmans de Boali, une ville située à
environ
Le 19 janvier, vers 9 h 30, une
foule a remonté l'Avenue Boganda vers la patrouille de l'armée française,
stationnée à environ
Un groupe d'hommes s'est arrêté
à environ
Une quinzaine de minutes plus
tard, la foule s'est redirigée vers le rond-point, où des jeunes ont placé un
nouveau pneu à
Témoin de la scène, Robert
Demobenga, a dit à IRIN que la première victime était à moto lorsqu'elle a été
arrêtée au niveau du rond-point. La foule aurait demandé au motocycliste s'il
était au courant du meurtre du chauffeur de taxi et s'il était
impliqué.
« Il a dit qu'il n'était pas au
courant et ils l'ont exécuté - ils l'ont passé à tabac », a dit M.
Demobenga.
« Ils l'ont tué parce qu'ils ont
trouvé une liste de noms de jeunes Centrafricains dans sa poche », a dit le
témoin qui a préféré garder l'anonymat.
Selon lui, les assaillants
auraient brûlé la liste, « car ils étaient en colère ».
Le lieutenant-colonel Thomas
Mollard, porte-parole de l'opération Sangaris, a dit à IRIN que la patrouille
avait réussi à sauver deux personnes de la foule ce jour-là, mais n'était pas
parvenue à secourir un troisième homme.
Les soldats de l'opération
Sangaris ont réagi à un autre incident grave ce même jour, lorsqu'une patrouille
a été appelée pour protéger environ 1 000 musulmans qui avaient cherché refuge
dans une église de Boali, à quelque
Le prêtre catholique de Boali
avait bravé les menaces de la milice anti-balaka en ouvrant l'église aux
musulmans.
Des Casques bleus mal
équipés
Thierry Vircoulon, analyste pour
International Crisis Group à Bangui, a dit à propos des incidents de l'Avenue
Boganda que les Casques bleus n'étaient « pas équipés pour maîtriser des foules
», qu'ils n'avaient pas de balles en caoutchouc ni de gaz lacrymogènes et qu'ils
n'étaient pas entraînés pour tenir ce rôle.
Selon lui, la Mission
internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA)
dispose d'un service d'ordre, mais celui-ci manque d'effectifs et d'équipements
pour mener à bien son mandat.
En décembre, les troupes
tchadiennes participant à la MISCA ont été sévèrement critiquées pour avoir
ouvert le feu sur des foules violentes à Bangui. Depuis, a dit M. Vircoulon, les
Tchadiens se font discrets.
En attendant, a-t-il dit, la
situation sécuritaire à Bangui a changé, car les ex-Seleka n'ont plus le
pouvoir.
Jusqu'à mi-décembre, « les
ex-Seleka avaient le contrôle », a dit M. Vircoulon, mais ils sont depuis
confinés dans leurs baraquements et leurs armes sont inventoriées dans un
système contrôlé par les Casques bleus.
Certains civils continuent de
signaler la présence d'ex-Seleka dans leur quartier, mais ces derniers ne
semblent plus contrôler aucune route principale pendant la journée. Plusieurs
ex-Seleka présumés ont été lynchés ces dernières semaines.
Un porte-parole de l'opération
Sangaris, le lieutenant-colonel Sébastien Pelissier, a dit récemment que les
ex-Seleka ne provoquaient pas plus de troubles que les autres milices et qu'ils
étaient effectivement confinés dans leurs baraquements.
Il reste certainement quelques
musulmans armés dans certains quartiers, mais de nombreux combattants musulmans
auraient quitté Bangui.
Environ 18 000 musulmans,
principalement tchadiens, ont été évacués au Tchad et d'autres ont quitté Bangui
pour se rendre au Soudan, au Cameroun et dans les provinces centrafricaines
voisines.
Cela se traduit par une
puissance de feu nettement réduite pour les ex-Seleka, mais également par une
vulnérabilité accrue des civils musulmans à la violence
populaire.
La sécurité s'est améliorée à
Bangui, mais les anti-balaka et d'autres groupes anti-musulmans ont continué à
attaquer des civils musulmans. Le 19 janvier et une semaine avant, les médias
ont été invités à assister à un film montrant un homme en train de manger de la
chair humaine appartenant, selon ses dires, à un musulman
assassiné.
« Le principal problème, qui
n'est pas encore résolu, c'est de savoir quoi faire des ex-Seleka », a commenté
M. Vircoulon. « Le deuxième problème, c'est de savoir comme prévenir de
nouvelles violences interethniques et cela signifie qu'il faut pouvoir maintenir
l'ordre dans Bangui. »
Reconstituer un réseau
sécuritaire
Au cours de la semaine passée,
depuis la démission du président intérimaire, Michel Djotodia, des éléments de
la police, de la gendarmerie et de l'armée centrafricaines ont regagné leurs
rangs. Ils étaient auparavant trop intimidés par les ex-Seleka pour se présenter
à l'appel.
Des bailleurs de fonds ont pour
projet de rouvrir les postes de police. Selon M. Vircoulon, cela ne peut se
faire qu'en étroite collaboration avec le nouveau gouvernement, qui est en cours
de formation après l'élection de Mme Samba-Panza.
Cette dernière a dit à la BBC, à
propos des troupes africaines et françaises déployées en RCA, que « les
effectifs actuels ne sont pas suffisants pour rétablir l'ordre et la sécurité
».
La France dispose actuellement
de 1 600 soldats en RCA et 4 400 autres y ont été déployés par divers pays
africains. Plusieurs centaines de soldats devraient bientôt être envoyés dans le
pays par l'Union européenne.
Des plans ont été mis en place
pour permettre aux services de sécurité de la RCA de constituer des patrouilles
mixtes avec les Casques bleus.
En attendant, la sécurité
pourrait être en train de se détériorer en province. Le Programme alimentaire
mondial (PAM) a signalé le 19 janvier que, dans la ville de Bouar, des employés
des Nations Unies et des familles avaient cherché refuge dans son enceinte et
que les combats entre les ex-Seleka et les anti-balaka avaient repris à Sibut,
quelques jours seulement après une réconciliation entre les deux groupes
négociée par le maire.
Le 17 janvier, un attentat à la
grenade contre un convoi de musulmans à Bouar aurait fait 10 morts et 50
blessés.
Musulmans pris pour
cible
Des dizaines de milliers de
musulmans, étrangers pour la plupart, ont quitté la RCA au cours des deux
derniers mois. L'Organisation internationale pour les migrations (OIM), qui a
aidé aux évacuations, estime que les musulmans représentent environ 15 pour cent
des près de cinq millions d'habitants du pays.
Dans le pire des cas, une grande
partie des musulmans de RCA pourraient être la cible de violences
interethniques.
Jacques Seurt, coordinateur de
l'OIM en RCA, a loué l'opération Sangaris et la MISCA pour leur soutien aux
convois d'évacuation à Bangui. Il a cependant commenté qu'il ne pensait pas que
les deux missions aient des effectifs suffisants pour protéger les évacuations
de musulmans de l'intérieur.
M. Seurt a cependant remarqué
que les troupes tchadiennes avaient protégé des convois terrestres transportant
jusqu'à 2 000 personnes à la fois.
Des Tchadiens et des citoyens
centrafricains d'origine tchadienne qui s'étaient rassemblés à l'aéroport de
Bangui pour prendre un avion pour le Tchad le 19 janvier ont appelé à une plus
grande protection de la part des troupes de l'opération Sangaris et de la MISCA.
Plusieurs d'entre eux ont loué le contingent burundais de la MISCA, disant qu'il
faisait du bon travail.
« Les Burundais protègent les
nôtres et ne les désarment pas lorsqu'ils battent en retraite, a dit un homme,
tandis que les autres les désarment et les poussent parfois vers leurs ennemis.
»
Le groupe évacué le 19 janvier
était presque uniquement composé de réfugiés tchadiens et de leur famille. Après
consultation du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), ils
avaient décidé qu'il serait moins dangereux pour eux de rentrer au Tchad que de
rester en RCA. Le HCR a dit qu'il surveillerait leur situation pour s'assurer
qu'ils ne soient pas persécutés au Tchad.
L'une des personnes à charge de
l'un des réfugiés, un jeune homme du nom de Mahmat Addam, a dit que son oncle
Bashir était l'un des deux hommes brûlés sur l'Avenue Boganda le matin
même.
Il a dit à IRIN qu'il était avec
son oncle ce matin-là, avant que ce dernier n'aille recouvrer une dette au
marché.
« Il a été tué sur le chemin du
retour et je suis sûr que c'est par des gens qui le connaissaient », a dit M.
Addam.
« Aucun d'entre nous ne veut
rester ici. Nous ne pouvons aller nulle part à Bangui. Nous sommes coincés.
»