Les hyènes et les vautours chassent toujours en bandes organisées.

 

Au moment où la nouvelle Présidente de la transition politique s'apprête à prêter serment, on se bouscule au portillon du pouvoir pour être de la partie.

D'anciens barons des régimes successifs qui ont conduit la République Centrafricaine aux abysses font assaut d'amabilité, de louanges et de flagorneries dans la perspective de la formation du nouveau gouvernement.

 

Madame Catherine Samba-Panza ayant projeté un gouvernement resserré de technocrates limité à 18 membres, au nom de l'efficacité, la lutte s'annonce âpre et rude.

 

1 – Des prétentions exagérées et indécentes.

 

Déjà, les partisans de l'ex-alliance Séléka, dissoute par Michel Djotodia, se gargarisent. Prenant prétexte des négociations de N'Djamena qui a entériné la démission de leur chef de file, ils exigent en contrepartie les postes de Premier-ministre et les ministères régaliens de la Défense nationale, de l'Intérieur et … des Mines !

 

De leur côté, les représentants des anti-Balaka, dont on feignait de penser jusqu'à présent qu'il s'agissait de groupes d'auto-défense locaux non organisés, estiment devoir occuper les ministères de la Défense – décidemment très convoitée – et de l'Agriculture ; et n'être point opposés à la nomination d'un Premier-ministre musulman. Ce dernier point laisse supposer le nom du bénéficiaire de ce tacite agrément dont le profil et l'entregent est ainsi tracé en creux.

 

A vouloir contenter ces exigences folles, la Présidente de la transition lierait ainsi son destin et la réussite de son futur gouvernement au chantage de factions rebelles, sans foi, ni loi ni cœur. Après tant de meurtres et d'assassinats gratuits, ces prétentions sont exagérées, indécentes. D'autant que les mêmes ont repris le sentier de la guerre, après une journée d'accalmie, afin d'exercer leur pression au nombre des tueries !

 

Parmi les barons des anciens régimes de Bozizé ou Djotodia, d'autres encore se positionnent déjà en réclamant, pour leur profit et par le biais d'une « expertise extérieure et neutre », le rétablissement de la sécurité à travers « la remise urgente à niveau des forces de défense et de sécurité », les anciennes forces armées centrafricaines (FACA).

Dans leur idée, il s'agit de mettre en place « une mission de formation de l'Union européenne, comme au Mali, le désarmement des différentes factions pour ramasser les armes ». On se demande pourquoi ils n'y ont pas pensé lorsqu'ils étaient aux affaires. En réalité, ils ont le souci des fonds et subventions européens qui viendraient ainsi financer le programme DDR dont ils ont si longtemps abusé et tiré profit.

 

Les derniers prétendants à ces agapes ministérielles préfèrent les solutions éprouvées. Ils pronostiquent la tenue d'un dialogue inclusif, sous l'égide de la communauté catholique Sant'Egidio qui s'est invitée comme médiatrice dans cette crise. Ils espèrent sans doute quelques retombées favorables en per diem.

 

Madame la Présidente de transition n'étant pas une novice, elle n'ignore rien des turpitudes des hommes politiques centrafricains : prévarications, népotisme, corruption. Elle connaît par ailleurs les pesanteurs et blocages qui ont précipité la RCA au fond du gouffre : famille, clan, tribu, ethnie, région.

 

Celle qui fut la présidente du Comité de suivi du dialogue national de 2003, à l'issue de la première transition qu'a connu le pays, ne doit certainement pas oublié l'échec des différents forums qui y ont été organisés et les raisons de leur échec. Espérons qu'elle saura faire sauter le verrou de ces contraintes, essentiellement animées et dominées par la vanité et la cupidité des élites politiques et de leurs hommes d'influence.

 

2 – Trois priorités essentielles et incontournables.

 

Pour la RCA, les priorités demeurent simples à formuler à la suite de cette énième crise, la plus dure et la plus sordide de ces trente dernières années :

 

-        rétablir la sécurité,

-        aider les victimes à se reconstruire et à se relever,

-        organiser des élections libres et transparentes dans un an.

 

Pour conduire avec efficacité ces priorités à leur terme, un énième dialogue inclusif ne servirait à rien. Il y faut surtout de la détermination et la résolution ferme d'une vraie stratégie de désarmement des factions rebelles. La Sangaris et la Misca, bientôt rejointes par quelques unités européennes, pourront terminer le travail déjà engagé.

Pendant ce temps, il faudra reformer l'armée nationale centrafricaine et lui donner un corps de doctrine cohérent, en organisant des états-généraux de la Défense nationale.

Pour ce qui concerne les forces de police, le prochain ministre de l'Intérieur devra avoir sous sa responsabilité, et le corps préfectoral et les forces de maintien de l'ordre public ; celle-ci devant obéir à celui-là, sauf en ce qui concerne les officiers de police judiciaire.

Les policiers centrafricains ont besoin de formation, d'une déontologie professionnelle affirmée, d'équipements et de matériels de sécurité adaptés, d'un statut protecteur et d'un salaire décent ; rien de plus.

 

La principale difficulté du prochain gouvernement concerne la prise en charge des victimes des diverses exactions qui ont brisé l'unité nationale.

 

Il faut en premier lieu recenser leur nombre et caractériser finement les dommages subis, en évaluer les montants et essayer, autant que faire se peut, de les indemniser ou réparer. Le ministre en charge de la Solidarité nationale d'une part, celui de l'Equipement, des transports et du logement d'autre part, en feront leurs objectifs de service.

 

Mais réparer et indemniser ne suffira pas. Pour que les victimes puissent se refaire, les coupables et les bourreaux ne doivent pas une fois de plus demeurés impunis. Dans cette perspective, deux décisions paraissent incontournables : poursuivre devant les juridictions nationales et internationales, et les responsables des ex-Séléka et les mandataires ou donneurs d'ordre des anti-Balaka. Ce sera l'affaire urgentissime du prochain ministre de la Justice.

Michel Djotodia et François Bozizé, ainsi que leurs différents acolytes, devront répondre des crimes contre l'humanité. Ils feront l'objet d'un mandat d'arrêt international. Faute de quoi, on rouvrira au sein du corps social tout entier, de nouveaux criminels ou dangereux récidivistes.

 

Il va de soi qu'un audit global, consacré au fonctionnement de l'ensemble des départements ministériels du gouvernement du Premier-ministre Nicolas Tiangaye, viendra compléter cette recherche de la vérité ; qui a fait quoi, comment et pourquoi.

 

Enfin, en ce qui concerne l'organisation des prochaines élections présidentielle, législatives et municipales ou cantonnales, un travail de fond sera réalisé, pour moderniser les administrations locales (régions, préfectures, sous-préfectures et mairies), reconstituer tous les registres d'état civil.

On fera bonne mesure en uniformisant les procédures de récoltes de données, en automatisant le système d'information des relevés d'identité (morphologiques et biométriques) et figeant les listes électorales.

 

Bien entendu, la conduite des trois missions prioritaires ci-dessus ne dispense pas le futur gouvernement de s'atteler aux affaires courantes traditionnelles de l'Etat, dans les domaines du développement économique, de l'éducation nationale, de la santé publique, de l'agriculture et élevage, de l'électrification des villes ou de l'accès direct à l'eau potable, le développement de la culture et..., la mise en œuvre urgente d'une véritable politique fiscale.

 

Telle doit être la feuille de route, simple mais ô combien délicate à mettre en œuvre, de la Présidente de transition et de son équipe. Ils ne doivent pas se laisser distraire par les cris des hyènes et des vautours qui ont si longtemps profité sans vergogne de la République Centrafricaine et souhaitent encore persévérer. Ils n'ont plus leur place à la table du Conseil de gouvernement.

 

Paris, le 23 janvier 2014

 

Prosper INDO