A Bangui, « le calme règne, mais
c'est la faim qui nous tue »
Le Monde.fr - 19.12.2013 - Par Cyril Bensimon
Une rue de Bangui ˆà l'heure du couvre feu, le 18
décembre. | MICHAEL ZUMSTEIN/AGENCE VU POUR "LE MONDE" Au milieu des étals de piments,
d'oignons, d'avocats, de tomates et de médicaments, Valentin vient de rouvrir
son stand recouvert de petits pochons blancs. « Le calme règne, mais c'est la
faim qui nous tue. Il n'y a plus d'argent et les ventes ne marchent pas »,
maugrée ce détaillant en tabac à priser, dont la maison a été pillée ces
derniers jours. Autour de lui, la foule s'agite, se
précipite. Au PK12, à la sortie nord de la capitale, quand on en a les moyens,
on se pousse pour tenter d'être le sixième passager d'un taxi jaune. Tous les
autres marchent. La vie reprend ses droits à Bangui avec encore beaucoup
d'incertitudes. Quelques tirs viennent secouer les nuits mais, après deux
semaines infernales, les cœurs soufflent un peu, les marchés rouvrent, les
assassinats sont moins nombreux. La peur, elle, plane encore.
Valentin, sa femme et leurs deux enfants continuent au coucher du soleil de se
réfugier dans une paroisse. Des dizaines de milliers de Banguissois effectuent
la même procession sur différents sites de la capitale. L'armée française se félicite du
calme revenu, mais la trêve est fragile. Les deux camps conservent leur arsenal.
Les ennemis du régime, des centaines de miliciens « anti-balaka » et de soldats
entrés en rébellion, sont encore présents dans les faubourgs de la capitale. Les
tenants du pouvoir, eux, se sont regroupés dans leur bastion du camp de Roux et
dans les quelques casernes où sont cantonnées leurs
troupes. DES SAISIES D'ARMES
MODESTES Sur le terrain, les soldats français
de l'opération Sangaris et les africains, qui passent, jeudi 19 décembre, sous
le commandement de la mission internationale de soutien à la Centrafrique
(Misca), ont modifié leur plan d'action. Les barrages de blindés, les fouilles
systématiques des véhicules, les perquisitions ciblées dans les domiciles
suspectés de servir de caches d'armes se font moins
fréquents. L'armée française n'a pas donné de
bilan du nombre d'armes récupérées mais un officier africain l'admet : « On
espérait davantage. Maintenant, on tente de boucler un quartier pour le
fouiller. C'est plus productif que les barrages, même s'il ne faut pas imaginer
qu'on va tout récupérer. Les gars ne sont pas idiots, ils prennent leurs
dispositions. » Dans les faits, l'opération
française lancée mardi matin dans Boy Rabe, l'un des quartiers où les «
anti-balaka » affichent leur présence, n'a pas donné lieu à la saisie d'un
arsenal de guerre et dans l'après midi, les miliciens étaient de
retour. Lire le reportage (édition abonnés)
: Centrafrique : les « anti-balaka » menacent de replonger Bangui dans le
chaos A Bangui, le 16 décembre. | MICHAEL
ZUMSTEIN/AGENCE VU POUR "LE MONDE" DES EX-SÉLÉKA INTÉGRÉS AU
DÉSARMEMENT Mercredi, d'anciens militaires des
FACA, les forces armées centrafricaines, aujourd'hui en guerre contre le
pouvoir, se sont vu retirer quelques armes et munitions par des soldats
français. Quelques heures plus tard, l'école qui leur servait de quartier
général a été vidée partiellement de ses troupes et les chefs encore présents,
entre deux messes basses, avouaient une certaine inquiétude quant à leur
avenir. « Lundi, un capitaine français est
venu pour nous poser des questions et, deux jours après, subitement, ils
commencent à nous prendre des armes », peste Rodrigue. Jean-Nestor, un ancien
gendarme, considère que « si la France veut que Djotodia reste jusqu'à la fin de
la transition, elle sera à l'origine d'un génocide en RCA
». Autre changement dans la stratégie
des forces africaines et françaises, par souci d'apaisement avec les autorités,
les ex-Séléka, intégrés à la sécurité présidentielle, ont obtenu l'accord de
participer au processus de désarmement. A la barrière du PK 12, à la sortie nord
de Bangui, ce sont eux qui désormais filtrent voitures et
passants. Avec quel résultat ? Un officier de
l'opération Sangaris estime que, « pour l'instant, les ex-Séléka jouent le jeu
». Mercredi matin, Hussein, un tout petit homme doté d'une kalachnikov à crosse
dorée, se disait satisfait d'avoir déjà saisi deux couteaux.