Lettre ouverte à Monsieur Michel Djotodia

Président de la transition en Centrafrique

 

 

Monsieur le Président,

 

Le 22 mai dernier, je vous ai adressé une première lettre ouverte. Dans celle-ci, je me permettais de  prodiguer quelques suggestions et recommandations.

Contrairement à votre prédécesseur, vous avez bien voulu prêter attention à ces dernières mais sans aller au bout de la démarche.

 

Ainsi, alors que je vous demandai de vous séparer de vos anciens compagnons d'hier, vous avez dissout l'alliance Séléka mais vous n'avez pas reconduit les membres de cette alliance d'où ils venaient. Résultat, ils ont essaimé nos villes et villages, semant discorde, destruction, pillage et mort d'hommes.

 

Je recommandai également quelques vertus à observer pour parfaire la transition. Parmi celles-ci :

 

-        le courage de reconnaître vos propres errements, vous l'avez fait en dissolvant la Séléka comme je viens d'en parler ;

-        l'honnêteté d'admettre la vérité d'autrui, vous paraissez disposé à le reconnaître en proposant la tenue d'un dialogue national inclusif ;

-        la loyauté de respecter les engagements pris, vous semblez l'observer en déclarant ne pas vouloir demeurer au pouvoir, invoquant au détour un prétexte fallacieux, l'insomnie !

 

En prônant toutefois ces différentes positions, vous êtes resté au milieu du gué, prenant des demi-mesures circonstancielles. Vous voilà désormais exposé aux rancœurs de vos amis et aux critiques de vos adversaires. La reprise des exactions de toute nature et des assassinats ciblés témoigne de la tension exacerbée qui sépare les uns des autres. Une fois de plus, je me propose de vous sortir de la nasse en exprimant quelques souhaits.

 

1 – Le voyage initiatique

 

Au lieu de rester claquemuré au Camp de Roux, désormais votre résidence officielle, je vous propose de prendre votre bâton de pèlerin, en allant au devant du peuple centrafricain, plaider la concorde et la fraternité.

 

-        Commencez par Kembé, la ville martyr, qui porte depuis le président Ange-Félix Patassé, le deuil de ses gendarmes assassinés.

-        Rendez-vous à Bangassou, la généreuse, qui s'en enorgueillit en 1963 d'accueillir les réfugiés belges chassés du Congo par les rebelles Mau Mau.

-        Poussez jusqu'à Obo, en passant par Rafaï et Zémio en territoire des Azandés, lesquels firent front contre les troupes de Rabah et Sénoussi.

-        Remontez par Yalinga, la mystérieuse, porte d'accès au massif des Bongos où la Kotto tire sa source.

-        De là, filez à Ippy, la ville de ma mère Olive Ngago, dites aux Bandas Linda de ne point craindre leurs frères Goulas.

-        Foncez à Paoua, la maudite, dont l'équipe de football porte le nom d'une vipère des sables, Ecchis, tout un programme.

-        Arrêtez vous ensuite à Bouar, la sympathique, vous y trouverez encore la trace de Félix Eboué, le gouverneur-général de l'Oubangui-Tchad qui reçut en sa demeure, en présence de son épouse, l'écrivain André Gide et son ami, faisant déjà à cette époque la preuve d'une ouverture d'esprit qui aboutira bien plus tard au mariage pour tous !

-        Je vous déconseille le passage par Bossangoa, vous n'y trouverez plus âme qui vive, sauf peut-être dans l'église.

-        Continuez plutôt sur Berbérati, la rebelle, vous y remercierez les diamantaires qui se sont flattés trop tôt d'avoir financé la Séléka ; conseillez leurs pour l'avenir de meilleurs investissements dans l'immobilier, la finance, la joaillerie de luxe et … l'or noir du café.

-        Faites un saut à Bouca, en mémoire de Charles Massi, pour payer une dette d'honneur.

-        Terminez par M'Baïki, la belle endormie, qui s'étiole dans l’ombre de Bangui, la coquette.

 

2 – Trois précautions valent mieux qu'une !

 

Au terme de ce long pèlerinage – prenez le temps qu'il faudra – vous verrez la République centrafricaine d'un autre œil. Il n'y a pas au monde peuple plus sympathique dès lors qu'on sait se montrer attentif à ses espérances. Surtout, tout au long de ce voyage, dispensez-vous de distribuer têtes de bétail ou enveloppes de millions de francs Cfa, comme vous en avez l'usage ; le Centrafricain n'est pas mendiant dans le fond. Au contraire, préservez-vous en prenant quelques précautions.

 

-        Prenez le soin, avant de partir, de nommer un gouvernement combatif de salut public. Il suffit d'une dizaine de femmes et d'hommes compétents et intègres, tout au plus. Ils et elles auront pour mission de conduire la transition à son terme ultime, avec trois objectifs affirmés : asseoir la sécurité publique sur des bases légales, remobiliser une administration publique dynamique et efficace au service de tous, réunir et garantir les conditions matérielles et logistiques d'une élection libres et transparente en février 2015.

-        Demandez à l'ensemble du peuple centrafricain de ne compter que sur ses propres forces pour sortir de la tourmente. Vous aurez soin d'une part de réclamer la justice pour toutes les victimes des exactions commises en traduisant les fauteurs de troubles devant les juridictions nationales, qui leur garantiraient une justice ferme mais impartiale. Vous veillerez d'autre part à promouvoir auprès de tous, fonctionnaires, entreprises et citoyens, l'éloge des contributions directes et indirectes afin de permettre à l'Etat de faire face à ses obligations. Vous exhorterez enfin le peuple à l'exercice de la vérité et du pardon, en recherchant à toujours vouloir faire le bien.

-        Enfin, il vous appartiendra d'affirmer, auprès des alliés de la République centrafricaine, la volonté d'indépendance du pays, au plan militaire, politique, économique et culturel. Ils devront aider à stabiliser la libre circulation des biens et des personnes sur toute l'étendue du territoire, contribuer à former au sein des armées et des forces de l'ordre des personnels de qualité, soucieux de l'esprit républicain ; aider au financement de la reconstruction du pays en favorisant et garantissant des prêts à long terme en faveur de la création des entreprises et des emplois.

 

Ces précautions prises, vous ne manquerez plus de sommeil. Je vous l'avais indiqué aux termes de ma lettre du 22 mai dernier : gouverner est une ascèse, au triple plan physique, intellectuel et psychologique. Il y faut un entraînement quotidien ; c’est ce à quoi vous devez désormais vous attacher.

Au moment où toute la communauté internationale s’organise pour venir en aide au peuple centrafricain, vous ne pouvez pas faire défaut. Il vous faut choisir la Voie de l’excellence et être à la hauteur de la mission que vous vous êtes délibérément imposée, conduire la RCA vers une meilleure destinée.

« Et pour franchir cette étape nouvelle », il vous faudra écouter la voix de nos ancêtres et vous inspirer de l’esprit de Barthélémy Boganda : Zo kwè zo ! Et conjuguer les 5 verbes sans erreurs : nourrir, vêtir, loger, soigner, éduquer.

 

Bien respectueusement à vous, Monsieur le Président.

 

Paris, le 25 novembre 2013

Prosper INDO