Bilan des massacres du jeudi 5 et du vendredi 6 décembre 2013 à Bangui, république CENTRAFRICAINE

 


 

Centrafrique: un bilan humain très lourd au premier jour de l'opération Sangaris

 

Des massacres et violences ont fait au moins 300 morts depuis jeudi, alors que l'armée française a renforcé les patrouilles à Bangui, la capitale centrafricaine.

 

D. N. avec AFP et François-Xavier Ménage | Florian Brunet - Le 07/12/2013 à 0:14

L'armée française a déclenché son opération en Centrafrique avec un renforcement dans un premier temps vendredi des patrouilles à Bangui. La capitale vit dans la psychose de nouvelles tueries, après les massacres et les violences qui ont fait au moins 300 morts depuis jeudi.

Si aucune violence de grande ampleur n'a été signalée vendredi, plusieurs milliers d'habitants de Bangui étaient rassemblés aux abords de son aéroport, où l'armée française et la force africaine ont leurs bases, de crainte d'exactions dans leurs quartiers voisins de Boeing et de Boy-Rabe.

Au moins 300 morts selon la Croix-Rouge

Dans le quartier de l'Assemblée nationale, la Croix-rouge centrafricaine ramassait des dizaines de cadavres abandonnés depuis les violents affrontements de la veille, suivis de tueries, à l'arme à feu ou à la machette.

Ces violences ont fait au moins 300 morts, a déclaré vendredi soir un responsable de la Croix-rouge centrafricaine ayant requis l'anonymat.
    
En comptabilisant les corps déposés dans les morgues des structures hospitalières, dans des lieux de culte et ceux ramassés dans les rues par les équipes de la Croix-rouge, le bilan provisoire s'élevait à 281 morts, a ajouté ce responsable, soulignant que les secouristes n'avaient pu accéder vendredi à tous les quartiers où la présence de cadavres a été signalée : "il y a des quartiers, où il y a encore des corps à ramasser".

Le Drian confirme que "l'opération a commencé"

"L'opération a commencé" et les forces françaises présentes en Centrafrique ont déployé des patrouilles dans Bangui, a affirmé vendredi le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, sur la radio RFI.
    
Vendredi soir, un millier de soldats français étaient présents dans le pays, a précisé l'état-major des armées. Au total, les effectifs militaires français en Centrafrique doivent rapidement atteindre 1.200 hommes.
    
A l'aéroport, d'où les patrouilles de blindés sortent dans Bangui, l'armée française continuait de renforcer son dispositif. Venu de la ville portuaire de Douala au Cameroun, un convoi terrestre s'apprêtait également à entrer en Centrafrique. De son côté, Londres a mis à la disposition de l'opération un avion militaire gros porteur C17.

A la nuit tombante, quelques minutes avant le couvre-feu, deux avions de combat français Rafale ont longuement survolé la ville pour impressionner les belligérants. Excepté aux abords immédiats de l'aéroport, les rues sont encore restées désertes toute la journée.

 


Centrafrique : les violences ont fait au moins 300 morts

 

Liberation.fr 6 décembre 2013 à 12:03 (Mis à jour : 6 décembre 2013 à 23:02)

 

 A Bangui, le 6 décembre. (Photo Sia Kambou. AFP)

 

LE RÉCIT DE LA JOURNÉE.

Après le déclenchement jeudi de l'opération militaire française, des troupes sont en route vers Bangui. Objectif : mettre fin au chaos qui touche le pays, notamment la capitale.

L’essentiel

 L’armée française a lancé ce vendredi l'opération «Sangaris» en Centrafrique avec un renforcement dans un premier temps des patrouilles dans Bangui et le survol de Rafale. La capitale vit dans la psychose de nouvelles tueries, après les massacres de la veille veille. Selon plusieurs témoins, les exactions se poursuivent.

• Le président de la République François Hollande a annoncé que les effectifs militaires français, 650 soldats actuellement, seront «doublés d’ici quelques jours, pour ne pas dire quelques heures». 350 hommes sont en route depuis le Cameroun.

• Médecins sans frontières a recensé dans un hôpital de Bangui 92 morts et 155 blessés en deux jours.

23 heures. Washington a salué le «leadership» de l’armée française en Centrafrique, où elle vient de renforcer la force panafricaine pour tenter de rétablir la sécurité dans le pays, en proie à l’anarchie et aux violences inter-religieuses. «Nous sommes certains que le puissant leadership de la France qui a envoyé 800 soldats supplémentaires sur le terrain et son soutien à la force panafricaine présente en Centrafrique (Misca) envoient à toutes les parties le message clair que la violence doit cesser», a déclaré la porte-parole adjointe du département d’Etat Marie Harf. 

«Nous sommes profondément inquiets par la montée en puissance des violences en Centrafrique, qui entraîne une crise humanitaire de plus en plus grave et augmente le risque de massacres de masse», a prévenu Marie Harf dans un communiqué. Les Etats-Unis ont promis de fournir près de 40 millions de dollars d’aide en équipements, entraînements et soutien logistique à la Misca. 

22h20. Les violences qui ont éclaté jeudi matin à Bangui, dégénérant en tueries, ont fait au moins 300 morts, a indiqué un responsable de la Croix-Rouge centrafricaine, sous couvert d’anonymat. En comptabilisant les corps déposés dans les morgues des hôpitaux, dans des lieux de culte et ceux ramassés dans les rues de la ville par les équipes de la Croix-Rouge, le bilan provisoire s’élève à 281 tués, a ajouté ce responsable, en soulignant que les secouristes n’avaient pu accéder vendredi avant le couvre-feu à tous les quartiers touchés par les violences où de nombreux corps restent à ramasser selon les témoignages d’habitants.

19h30Le secrétaire général de l’ONU Ban ki-moon lance un «appel urgent» à protéger les civils. Le Bureau intégré des Nations unies pour la consolidation de la paix en RCA (Binuca) «a signalé que les tueries avaient continué pendant la nuit (de jeudi à vendredi) faisant augmenter le bilan» des victimes.

18h45. Selon l’état-major des armées à Paris, deux Rafale français décollant de N’Djamena, au Tchad, ont effectué deux «passages de dissuasion» au-dessus de Bangui, vers 10 heures et 18 heures, où la situation demeure «tendue». Trois hélicoptères Puma en provenance du Cameroun ont rallié Bangui après plusieurs heures de vol. Paris est en train de mettre en place un groupement aéroterrestre à Bangui. D’autres hélicoptères pourraient venir renforcer ce dispositif dans les prochaines heures.

18 heures. Joanna Mariner, membre de l'équipe d'Amnesty international à Bangui, interrogée par l'agence Reuters, cite des témoignages qui semblent attester d'exactions en cours à Bangui. Dans le quartier PK12, des hommes de la Séléka ont tué plusieurs personnes lors de raids dans des maisons, dit-elle. Un témoin raconte également que la Séléka fait des raids «maison par maison». «Ils tuent les gens. Ils traitent tout le monde d'anti-balaka [les milices de défense].»

De jeunes membres de la Séléka, a Bangui ce vendredi. (Photo Emmanuel Braun. Reuters)

De jeunes membres de la Séléka, a Bangui ce vendredi. (Photo Emmanuel Braun. Reuters)

17h30. L'Etat-major des armées relate dans un communiqué publié sur Internet un accrochage survenu jeudi entre les soldats français et des hommes armés : «Dans la journée du 5 décembre, alors qu’elles sécurisaient l’accès à l’aéroport de M’Poko sur lequel se sont réfugiés près de 2000 Centrafricains pour fuir les combats, les forces françaises ont été prises à partie à trois reprises par un pick-up armé. Au troisième tir, les militaires français ont riposté détruisant le véhicule. Cette prise à partie n’a fait aucun blessé du côté des militaires français, ni des civils venus chercher leur protection.»

16h30. Marie-Elisabeth Ingres, chef de mission adjointe de Médecins sans frontières (MSF) à Bangui, travaille à l’hôpital communautaire de la capitale centrafricaine. Elle raconte la tension des deux derniers jours : «Depuis jeudi matin, on a soigné plus de 170 blessés. Une bonne soixantaine de cas graves demandaient une intervention chirurgicale. Souvent, il s’agit de plaies aux bras et aux jambes, causées par des armes à feu ou des armes blanches. Quand on est venu à l’hôpital ce matin, les rues de la ville étaient complètement vides, et des soldats français étaient postés devant le bâtiment. J’ai aussi cru comprendre que plusieurs milliers de personnes se sont regroupées à l’aéroport [occupé par des soldats français, ndlr], surtout des femmes et des enfants. Cela demande une confirmation plus précise, mais nos collègues de MSF sont là-bas pour apporter leur aide.»

16 heures. La présidence centrafricaine a demandé vendredi à toutes les forces de défense et de sécurité de regagner leurs casernes, autorisant seules les forces panafricaine, française et la sécurité présidentielle à patrouiller dans Bangui. Les 1 200 soldats français présents à terme auront à leur côté les hommes de la Misca (Cameroun, Congo, Gabon, Tchad). Cette force, qui doit compter jusqu’à 3 600 hommes, n’en rassemble pour l’instant qu’environ 3 000, mal équipés et mal entraînés.

14h30. Dans une interview au site Internet du Monde, Nicolas Tiangaye, Premier ministre de la République centrafricaine, estime que la priorité de l’opération menée par la France est de «sécuriser Bangui, les grands axes économiques que sont le corridor Bangui-Douala et Beloko-Bangui et d’autres corridors secondaires».

14h15. Ce reportage d’Al-Jezira montre les rues de Bangui jeudi, alors que la capitale centrafricaine était agitée par de violents affrontements. Attention, certaines de ces images peuvent choquer.

14 heures. Médecins sans frontières (MSF) recense 92 morts et 155 blessés en deux jours dans un hôpital de Bangui. «Hôpital communautaire : 155 blessés en deux jours, 92 morts à la morgue», indique un bref message de MSF transmis à l’AFP. L’ONG, qui a une antenne médicale et chirurgicale dans cet établissement, ne peut préciser si les corps déposés vendredi matin à la morgue étaient des victimes tuées dans la nuit, ou ceux de cadavres abandonnés dans les rues jeudi après les massacres.

12h30. Selon notre journaliste Thomas Hofnung, citant une source bien informée, des exactions se sont poursuivies la nuit dernière dans plusieurs quartiers de Bangui, où des tirs ont été entendus. Ces violences auraient été commises par des hommes de la Séléka, le mouvement qui a pris le pouvoir en mars, en représailles aux attaques de jeudi. Ce matin sur RFI, le ministre de la Défense Jean-Yves le Drian avait assuré que les soldats français patrouillent dans Bangui et que la nuit avait été calme.

12 heures. D’après France 2, «des ex-rebelles de la Séléka ont tenté, jeudi, de pénétrer sur l’aéroport défendu par les soldats français» à Bangui. Les militaires ont détruit le pick-up et tué ses occupants. L’information a été confirmée officiellement par l’état-major. Jeudi, «à l’aube, un pick-up armé a ouvert le feu à trois reprises en direction de ces civils et des troupes françaises. A la troisième ouverture du feu, on a riposté et on a détruit le véhicule». Par ailleurs, RFI relate qu’une colonne de 350 soldats français stationnés au Cameroun est sur le point de passer la frontière de la république centrafricaine.

11h45. L’Union européenne a décidé de débloquer 50 millions d’euros supplémentaires pour la Centrafrique, après le lancement de l’opération française dans ce pays, a annoncé le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. Il a précisé que cette contribution s’ajoutait aux 225 millions d’euros versés au titre de l’aide au développement et à 20 millions d’euros d’aide humanitaire.

11 heures. Europe Ecologie-les Verts demande un vote au parlement sur l’action militaire française en Centrafrique, soulignant que l’intervention doit être «européenne et non uniquement française». Un débat sur l’intervention en Centrafrique aura lieu mardi après-midi, simultanément à l’Assemblée nationale et au Sénat, après une réunion entre le Premier ministre Jean-Marc Ayrault et les principaux responsables du Parlement.

10h30. Différents témoins font état d’un survol de Bangui par des avions de chasse français. La situation reste néanmoins très tendue dans les rues de la capitale.

 

 


 

Centrafrique : « Il faut en priorité sécuriser Bangui et les grands axes économiques »

Le Monde.fr | 06.12.2013 à 12h36 • Mis à jour le 06.12.2013 à 14h18 | Propos recueillis par Charlotte Bozonnet

Le premier ministre centrafricain, 
Nicolas Tiangaye, à Paris, jeudi 5 décembre

Le premier ministre centrafricain, Nicolas Tiangaye, à Paris, jeudi 5 décembre. | Christophe ENA/AP

 

De passage à Paris pour le « Sommet de l'Elysée pour la paix et la sécurité en Afrique », Nicolas Tiangaye, premier ministre de la République centrafricaine, s'est prononcé, dans un entretien au « Monde », sur la situation dans son pays.

 

La résolution votée jeudi à l'ONU permet à l'armée française d'intervenir dans votre pays. Quelles doivent être, selon vous, les priorités de cette intervention ?

 

 Il faut sécuriser Bangui, les grands axes économiques que sont le corridor Bangui-Douala et Beloko-Bangui et d'autres corridors secondaires. Puis les régions très sensibles comme Bossangoa et Bouka, ensuite les autres provinces. Cela est faisable. La France dispose des moyens politiques, logistiques et militaires pour le faire, en appui à la Misca [force panafricaine].

 Seule la sécurisation du pays peut nous permettre de répondre à la crise humanitaire qui est une priorité absolue : à l'heure actuelle, des centaines de milliers de personnes sont déplacées, manquent de soins, de nourriture. Elles vivent dans la précarité la plus totale. Les enfants sont déscolarisés. Il y a des risques de famine puisque les paysans ne peuvent plus aller aux champs. La Centrafrique a besoin d'une aide humanitaire d'urgence.

 

 Ne craignez-vous pas que la présence de troupes étrangères attise les tensions ?

 

 La France n'intervient pas de façon unilatérale. Elle vient en appui à la Misca dans le cadre d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU. Je ne comprendrais pas le reproche qui serait fait à une force venue pour restaurer la paix, la sécurité et l'Etat de droit.

 Comment expliquez-vous une telle dégradation de la situation depuis le début de l'année ?

 Il y a d'abord eu l'absence de contrôle sur les ex-rebelles de la Séléka puis la réaction d'autodéfense des populations victimes de violences, qui se sont constituées en groupes de miliciens appelés antibalaka : c'est la conjonction de ces deux éléments qui a créé une dégradation de la situation sécuritaire.

 Jeudi matin, les affrontements ont atteint Bangui, la capitale. Que s'est-il passé ?

 

 Des miliciens antibalaka ont attaqué les ex-rebelles de la Séléka. Il y a eu d'intenses combats qui ont duré plusieurs heures.

 

 Votre résidence a été attaquée...

 

 Oui, elle a été attaquée par d'ex-rebelles de la Séléka. Ils ont enfoncé le portail, commis des actes de pillage.  Je ne suis pas la seule victime des affrontements actuels, mais je reconnais que symboliquement, que la résidence du premier ministre soit visée, est grave. Pour autant, je ne suis pas uniquement préoccupé par le sort de ma famille, mais bien par celui de tout mon peuple.

 

 Craignez-vous un conflit interconfessionnel généralisé ?

 

Généralisé non, mais il y a lieu de craindre des débordements dans certaines préfectures du pays. La situation est particulièrement tendue à Bossangoa et à Bouka. Le gouvernement essaie de tout mettre en œuvre pour qu'il n'y ait pas de confrontation directe entre les communautés religieuses. A Bossangoa par exemple, les chrétiens sont regroupés à l'évêché, et nous essayons de cantonner les ex-rebelles de la Séléka afin de limiter les risques d’affrontements. Nous menons aussi une campagne de sensibilisation auprès de chaque communauté. Les responsables religieux – l'archevêque de Bangui, l'imam de la mosquée centrale de Bangui et un pasteur – travaillent dans ce sens, pour calmer les esprits.

 

 Certains responsables français, onusiens ont évoqué un risque de génocide...

 

 J'ai déjà dit que je ne rentrerai pas dans une querelle sémantique. Pour moi, il y a surtout une population qui souffre, une population victime d’atrocités. Quelle que soit la terminologie, il faut mettre un terme à cette situation le plus rapidement possible et arrêter ces crimes, crimes de guerre, crimes contre l'humanité.

 

 Vous êtes venus participer au sommet de l'Elysée. Quel est le message que vous êtes venu adresser ?

 

 La RCA doit être aidée au plan sécuritaire. Elle le sera grâce au vote de la résolution onusienne. Ensuite, nous demandons aussi une aide humanitaire pour soulager la population en détresse. Enfin, le gouvernement, qui connaît de graves difficultés économiques, a besoin d'un soutien financier, chiffré à 670 millions d'euros, de la part  de la communauté internationale, afin de mettre en place son programme d'urgence. Cela permettra également de préparer les élections, que nous voulons crédibles et transparentes, et qui constituent l'aboutissement de la transition politique en cours. La date butoir pour les organiser est fixée à février 2015. Sans ce soutien financier, nous ne pourrons pas les préparer.

 

Vous estimez que le processus de transition, lancé en août sous l'égide de la communauté internationale, peut se poursuivre ?

 

Oui, car c'est la volonté de notre pays et car un échec de la transition nous amènerait vers un chaos total. La conjugaison de la volonté populaire avec le soutien de la communauté internationale est porteuse d'espoir.