Le nouveau gouvernement de transition :

comme sur un air de mensonge.

 

Cela commence par un mensonge – une erreur de jeunesse - et un couac !

La présidente de transition avait promis un gouvernement resserré de 18 technocrates et une parfaite parité hommes-femmes. Las ! Ils seront 20 ministres autour de la table du Conseil dont 7 femmes. C'est loin de la coupe aux lèvres. Quant au profil technocratique, on reste sur sa faim.

 

Outre le retour inimaginable et en groupe serré des barons de l'ex-Séléka, et l'entrée tout aussi saugrenu d'un prétendu représentant des anti-Balaka, le reste du gouvernement du Premier-ministre André Nzapayèké est constitué par, d'une part les membres du bureau national de l'association des femmes juristes de Centrafrique, lesquelles avaient naguère élue Catherine Samba-Panza à leur tête, et d'autre part, les amis d'enfance du quartier Lakouanga où l'actuelle Présidente a grandi !

 

Le couac quant à lui est énorme, mais sans conséquence politique majeure. En effet, dans la foulée de sa désignation par les Conseillers nationaux, la Présidente de transition n'a pas pris le temps de former son propre cabinet. C'est donc le porte-parole de Michel Djotodia, le président démissionnaire, qui a annoncé la liste des récipiendaires ministériels, jouant le chambellan à la place d'un véritable Secrétaire général à la Présidence. Tout le monde a encore en mémoire la morgue de Guy-Simplice Kodégué sous la présidence Djotodia. Le même s'était déjà fait remarquer sous le régime du défunt président Ange-Félix Patassé lorsqu'il servait de faire valoir au fils de ce dernier, Sylvain Patassé, lequel rêve d'endossé l'habit présidentiel de papa. GSK est la figure emblématique des politiciens centrafricains opportunistes ; les motèka-motèguè, c'est-à-dire les transfuges ! Dans le pays de Boganda, ils sont légion.

 

1 – Tout le monde est mécontent.

 

En se donnant une femme comme présidente, la RCA espérait une grande reine Catherine. Dans les faits, le pays récolte une « Doudou » africaine encombrée d'une immense affectivité : le gouvernement compte le neveu et le demi-frère de Djotodia – geste auguste pour consoler le démissionnaire forcé - ainsi que quelques familiers de la cheftaine.

 

Certes, le Premier-ministre le reconnaît lui-même en voulant se montrer loyal : « ce gouvernement,  est le résultat des discussions avec toutes les entités et du rapport de force sur le terrain ».

Apparemment, ce savant dosage ne satisfait personne, même si tout le monde fait assaut d'amabilité pour promettre son soutien à la nouvelle Présidente. Il ne peut en être autrement.

 

En ce qui les concerne, les politicards ont joué la partition habituelle de la chaise vide. Rassemblés au sein d'une nouvelle nébuleuse tentaculaire, l'alliance des forces démocratiques pour la transition (AFDT) qui a succédé au moribond FARE (front pour l'annulation et la reprise des élections), les mêmes partis dits de l'opposition démocratique recommencent leur manoeuvre dilatoire et l'antienne de leurs discours grandiloquents. Ils reprochent à la Présidente de ne pas avoir reconduit un chef de gouvernement désigné par leurs soins, tout en sachant qu’aucun d’eux n’est prêt à endosser cette responsabilité, se réservant pour les prochaines présidentielles !

 

Les ex-Séléka se disent déçus de ne pas avoir la Primature et les 5 ministères de souveraineté dont ils rêvaient. Cela leur aurait été promis à la réunion de N'Djamena, où les membres du Conseil national de transition avaient été convoqués presque manu militari par le Président tchadien, Idriss Béby, en sa qualité de Président en exercice de la communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC).

.

Le parti Kwa-na-kwa du président déchu François Bozizé critique lui aussi un gouvernement « à forte coloration ethnique et régionale » ; venant d'un parti politique expert en la matière, le propos ne manque pas de piquant.

 

Toujours dans le camp des mécontents, certains chefs de guerre de l'ex-alliance Séléka auraient pris le chemin du maquis et se concerteraient dans le nord-est du pays. Ils craignent d'être désarmés par la force et voudraient sans doute mettre à exécution leur menace de partition du pays.

 

Reste une poignée d'irréductibles « légalistes » qui jurent la main sur le cœur « soutenir à 100 % la maman et la grande sœur Samba-Panza » ! Au moins un qui reste d'être déçu, on ne peut être mère et sœur en même temps, sauf inceste !

 

2 – Du pain sur la planche et une déclaration d’Etat d’urgence à prendre.

 

En nommant un Premier-ministre banquier de profession, la Présidente Samba-Panza cède à l' « illusion de la bulle financière » ; celle de croire qu'il suffit d'un bon comptable gestionnaire, capable d'amadouer les bailleurs de fonds internationaux, pour résoudre le problème centrafricain.

Déjà le Premier-ministre Nzapayéké rêve d'un vaste plan Marshall pour la République centrafricaine. C'est une illusion dangereuse. Elle laisse à croire aux différents protagonistes de la crise centrafricaine assis autour de la table du Conseil qu'il y aura  des subventions internationales à se partager. En agissant de la sorte, la Présidente de transition et son Premier-ministre se trompent et prennent le risque de l'enlisement politique.

 

Au contraire, il leur faut être clairs et fermes : « il n'y a plus rien à négocier sur le dos des Centrafricains » !

 

Certes, les Sangaris et la Misca ont pris la mesure du terrain et commencent à marquer leur territoire, en contournant dans un premier temps l'obstacle de l'affrontement direct avec les différentes bandes armées. La stratégie du cantonnement s'avère désormais payante.

 

Elle a permis d'endiguer les velléités guerrières des ex-Séléka. Désormais, Sangaris et Misca doivent engager « la bataille de fragmentation » des forces hostiles. Il s'agit de regrouper les bandes armées par petits groupes et de les éloigner de Bangui, et les unes par rapport aux autres. En procédant de la sorte, les forces d'interventions internationales peuvent isoler les jusqu'auboutistes et reconduire aux frontières les mercenaires et autres combattants étrangers. Déjà 200 combattants ont regagné le Tchad.

Espérons que ces deux forces conjointes engageront bientôt la bataille du démantèlement des bandes armées ainsi disloquées, et neutraliseront les activistes les plus dangereux en leur sein. Cette phase pourrait intervenir dès le mois de février, si le renfort promis par l'Union européenne est mis en place rapidement.

 

 Dans la foulée de cette troisième et dernière phase, il faudra très vite lancer la bataille politique. Tout le monde attend le nouveau pouvoir face à ce défi. Fera t'il preuve de fermeté et d'autorité ou bien s'enfermera t'il dans le fameux et fumeux « dialogue inclusif » dit de la réconciliation et du pardon comme le réclame déjà quelques séides de l'ex-Séléka, en l'occurrence le nommé Sabonne, théoricien de la partition du pays entre un nord musulman et un sud chrétien ? Si tel venait à être la voie choisie, on donnerait une prime aux criminels, en leur faisant cadeau d'une nouvelle loi d'amnistie. Ce serait une offense terrible à la mémoire de leurs victimes.

 

Afin d'aider les forces de Sangaris et Misca dans leur mission, le gouvernement a tout intérêt à décréter dès à présent l'Etat d'urgence, à Bangui d'abord, puis dans toutes les provinces avant l'arrivée des renforts européens. Cette décision, conjuguée à des mesures spécifiques d’assignation à résidence ou d’interdiction de séjour opposées aux responsables des bandes armées, voire de contrôle de la presse – très en verve pour instrumentaliser les anti-Balaka qui prennent indûment la pose - , permettrait aux hommes des forces internationales non seulement de désarmer les belligérants des deux camps, mais surtout, de les arrêter et de les remettre à la justice pour qu'ils soient automatiquement jugés et enfermés; ce qu'ils ne peuvent faire actuellement, faute d'un cadre juridique approprié.

On reproche en effet aux forces françaises de Sangaris de jouer les Ponce Pilate, enfermés dans leurs blindés et laissant l’initiative aux militaires africains de la Misca. Si tel est le cas, c’est faute d’un cadre protecteur. C’est donc au pouvoir politique centrafricain d’offrir ces garanties et ce cadre.

 

3 – Pas d’état de grâce pour Madame Samba-Panza.

 

La Présidente de transition aurait tort de se reposer sur les lauriers de sa victoire, acquise sans préparation, et le tombereau de louanges qui lui arrive de partout. Il n’y aura pas d’état de grâce pour elle, ces quatre-vingt dix premiers jours où tout se déroule comme dans un rêve, où tout le monde s’embrasse.

 

Déjà, les premiers signes d’interrogation pointent la composition de son gouvernement. Les pharisiens de l’ethnocentrisme lui reprochent la part belle faite aux organisations de la société civile. Ils ont mesuré à l’unité près la composante homogène de son gouvernement qui représenterait les tribus Banziri et Bouraka.

 

Ces critiques, infondées en substance, auraient pu être évitées si la Présidente avait composé un cabinet de combat, restreint à une dizaine de membres en charges des ministères de souveraineté, en confiant les problèmes périphériques, liés à la prise en charge des victimes et des sinistrés, à des instances paritaires indépendantes.

 

Au sein même du cabinet, les premiers signes de tension apparaissent déjà, entre les anciens ministres reconduits qui affectent de travailler dans la routine de leurs départements respectifs comme si de rien n’était, et les nouveaux venus qui ne maitrisent pas encore les caprices de leur cabinet et donnent les premiers signes de crispation et de boursouflure d’ego.

 

Afin de limiter les risques d’éclatement prématuré, à l’exemple d’un véhicule trop chargé mais affublé de pneumatiques sous dimensionnés, la Présidente devrait rapidement se tourner vers les pays amis, la France en particulier, pour requérir les expertises qui font défaut dans le domaine de l’administration générale, de la sécurité et du maintien de l’ordre public, de la prise en charge des situations d’urgence ou des catastrophes naturelles, etc.

Il existe, dans l’administration française, des talents issus de l’immigration centrafricaine qui pourraient s’acquitter de ces missions par empathie pour leur pays d’origine, dans le cadre d’un détachement ou d’une mise à disposition.

 

Madame la Présidente ne peut pas se permettre un échec, ce serait catastrophique pour le pays tout entier, mais également pour la sous-région où les turbulences menacent. C’est « l’effet papillon ».

 

Paris le 31 janvier 2014

 

Prosper INDO