La situation devient critique en République Centrafricaine. « Les rebelles ont pillé tout le pays »

 

la-croix.com -  21/11/13

 

La République centrafricaine est « au bord du génocide », selon le chef de la diplomatie française Laurent Fabius et un haut diplomate américain.

 

Rencontre en brousse avec un groupe 
d’anciens agriculteurs, aujourd’hui réfugiés et armés, qui combat les hommes de 
l’ex-Séléka. (Sylvain Cherkaoui / Cosmos)


Rencontre en brousse avec un groupe d’anciens agriculteurs, aujourd’hui réfugiés et armés, qui combat les hommes de l’ex-Séléka. (Sylvain Cherkaoui / Cosmos)

 

La France engage ses militaires, tandis qu’une force africaine doit être mobilisée par l’ONU.

La Centrafrique est-elle au bord d’un génocide ? 

« Il se produit en Centrafrique des actes abominables. Un chaos, des exactions extraordinairement graves ». François Hollande, jeudi 21 novembre, lors de la remise du prix de la Fondation Chirac pour la prévention des conflits au docteur Denis Mukwege et à Femmes Africa Solidarité, a tenu à conclure son discours par un nouvel appel à la communauté internationale. Face à l’urgence et aux 400 000 personnes déplacées en Centrafrique, « nous devons agir », a martelé le président de la République.

 « Le pays est au bord du génocide », a insisté le même jour Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur France 2. À Washington, un diplomate de haut rang, le directeur du bureau Afrique du département d’État, Robert Jackson, avait également parlé mardi dernier d’« une situation pré-génocidaire », devant une commission du Congrès. 

Le 1er  novembre, un responsable de l’ONU, Adama Dieng, avait également prévenu que la République Centrafricaine pourrait devenir le théâtre d’un «génocide», à l’heure où les violences inter-communautaires risquent de radicaliser chrétiens et musulmans.

« Le terme de pré-génocide ne recoupe aucune valeur scientifique et juridique, précise Jacques Semelin, du Centre d’études et de recherches internationales (Ceri). C’est un terme que l’on utilise pour mobiliser l’opinion publique et les décideurs. C’est un signal d’alarme efficace pour dire qu’il est encore temps d’agir avant la catastrophe ».

 « Je trouve qu’il y a un usage du terme “génocide”  de plus en plus laxiste, en particulier depuis le Darfour, juge Roland Marchal du Ceri. En généralisant l’usage de ce terme, je ne suis pas sûr que l’on rende plus compréhensible la situation en République Centrafricaine ». 

D’autant qu’utilisé par la diplomatie américaine et française, le mot « génocide » n’a pas nécessairement le même sens. « Dans la culture anglo-saxonne, il équivaut à celui de ‘‘massacre de masse’’. Alors qu’en France, parler de génocide, c’est se référer à la Shoah. C’est parler de la destruction d’un groupe en tant que tel ! », nuance Jaques Semelin.

 Quelle est la situation ? 

 Quel que soit le nom que l’histoire retiendra pour le drame de la Centrafrique, l’urgence humanitaire y est extrême. Depuis la chute du président François Bozizé, le 22 mars, et l’arrivée au pouvoir des rebelles de la Séléka, la République Centrafricaine est plongée dans le chaos. 

Les rebelles ont pillé tout le pays : les villages, les villes, les centres administratifs, les centres de santé, les écoles, les églises… « Aujourd’hui c’est le désordre absolu, vous avez sept chirurgiens pour 5 millions d’habitants, une mortalité infantile, dans certains coins du pays, de 25 %, un million et demi de personnes qui n’ont rien, même pas à manger, et des bandes armées, des bandits, etc. », a détaillé Laurent Fabius.

Dans tout le pays, l’appareil d’État s’est effondré. Depuis le mois de mars, la population est sans défense face aux seigneurs de la guerre issus de la Séléka. Les exactions sont multiples : meurtres, viols, vols. Et l’impunité des rebelles, en particulier en dehors de Bangui, totale. 

À Bangui, 2500 soldats de la force africaine essayent d’assurer un semblant de sécurité. Mal armés, peu motivés, l’efficacité de ces hommes est quasiment nulle.

 Pourquoi les tensions communautaires augmentent-elles ? 

Les rebelles de la Séléka sont issus du nord du pays, majoritairement musulman. Ils ont été épaulés par des Soudanais et des Tchadiens de confession également musulmane. De sorte que ces rebelles apparaissent comme des combattants dont le trait commun est leur appartenance à l’Islam. 

Dans le sud, majoritairement chrétien, les musulmans sont de plus en plus assimilés aux rebelles de la Séléka et aux islamistes étrangers. « Ce pays est touché par des tensions entre musulmans et chrétiens de plus en plus fortes », souligne Roland Marchal. Elles font craindre, le jour où la Séléka sera battue, des représailles.

Dans ce contexte d’abandon, d’anarchie et d’agression, les populations se rabattent sur les solidarités communautaires et confessionnelles. Elles organisent leur propre défense en constituant des milices armées. Des milices composées de jeunes gens de confession chrétienne se sont déjà attaquées aux rebelles de la Séléka et à aux populations musulmanes, autant par punition que par prévention.

La France redoute par ailleurs une radicalisation islamiste en République Centrafricaine, avec l’arrivée de combattants étrangers. Selon un haut diplomate, « le cocktail est explosif. On trouve les Arabes islamistes du Darfour, les djan­djawids ; des djihadistes qui ont fui le Mali ; des combattants de Boko Haram… Beaucoup d’éléments de la Séléka ne parlent qu’arabe. Il y a déjà des régions dans lesquelles la consommation d’alcool et de porc est interdite. On constate que de très nombreuses églises chrétiennes ont été ciblées par les rebelles. » 

Que fait la communauté internationale ? 

Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a présenté lundi un rapport sur la Centrafrique. Il préconise plusieurs scénarios, dont une opération de maintien de la paix avec l’envoi de 6 500 à 9 000 casques bleus. Proposition qui doit être examinée, lundi 25 novembre, par le Conseil de sécurité. 

On s’attend qu’à l’issue de cet examen, le Conseil de sécurité adopte une résolution renforçant la force africaine. Cette résolution ira-t-elle plus loin ? « Je pense qu’elle va autoriser la France à intervenir sur le modèle du Mali : les Français en première ligne, les troupes africaines en second, avant la mise en place d’une opération casques bleus », pronostique Roland Marchal. Mais la diplomatie américaine reste réservée, aussi bien sur l’option africaine que sur celle d’une opération de maintien de la paix de l’ONU.

Selon des sources militaires, la France a déjà commencé à renforcer son dispositif en République centrafricaine. Disposant pour l’heure officiellement de 420 soldats sur place, elle prépare la projection d’un groupement tactique interarmes. 

Selon nos informations, un commando parachutiste est parti préparer cette projection. Des parachutistes du 8 RPIMa ont débarqué récemment à Bangui, officiellement dans le cadre d’une opération de relève. Des compagnies du 3e  RPIMa sont également mobilisées pour la République centrafricaine.

Si les moyens engagés par la France ne devraient pas être de même niveau qu’au Mali, la force française en Centrafrique devrait s’élever entre 1 000 et 1 500 soldats. Elle agira comme une force d’intervention rapide en vue d’aider les forces africaines à sécuriser le pays. 

François Hollande, qui réunira le 6 décembre à Paris un sommet pour la paix et la sécurité en Afrique, l’a confirmé hier : « La communauté internationale doit agir. L’ONU s’y prépare. La France, une nouvelle fois, sera là en soutien des Africains. » 

Nathalie Lacube et et Laurent Larcher