Centrafrique : l'ONU accuse les soldats Tchadiens d'avoir tiré de façon «illégitime», dénombrant au moins 30 morts et 300 blessés

 

AFP 4 avril 2014 à 18:19

 

Des soldats tchadiens de la Misca 
traversent Bangui devant des soldats français, le 10 janvier. (Photo Eric 
Feferberg. AFP)

Des soldats tchadiens de la Misca traversent Bangui devant des soldats français, le 10 janvier. (Photo Eric Feferberg. AFP)

 

Les Nations unies ont présenté les résultats de leur enquête sur la fusillade de Bangui qui a fait trente morts le week-end dernier. Le Tchad a annoncé le retrait de ses soldats de la force africaine.

Alors que le Tchad a annoncé jeudi qu’il se retirait du contingent de la force de l’Union africaine en Centrafrique (Misca), l’Onu a indiqué vendredi que des soldats de l’armée tchadienne ont tiré sans avoir été provoqués sur la foule lors de l’incident à Bangui le week-end dernier. Au total, trente personnes ont péri lors de ces tirs, trois cents autres ont été blessées. Les soldats tchadiens devaient tous avoir quitté Bangui vendredi soir.

 «Ils ont illégitimement ouvert le feu sur la population. Les soldats ont tiré de façon indiscriminée», a déclaré à Genève un porte-parole du Haut commissariat de l’Onu aux droits de l’homme, Rupert Colville, où il a présenté les premiers résultats des enquêteurs des Nations unies sur l’incident. «Dès que le convoi de l’armée nationale tchadienne a atteint la zone de marché du (quartier) PK12, ils auraient ouvert le feu sur la population sans qu’il y ait eu de provocation, a-t-il ajouté. Alors que les gens fuyaient dans la panique dans toutes les directions, les soldats ont continué à tirer de façon indiscriminée.»

Les soldats tchadiens impliqués seraient des membres de «l’armée tchadienne», et non pas de la force africaine en Centrafrique (Misca). Ils seraient venus du Tchad pour évacuer des Tchadiens et des habitants centrafricains musulmans, qui sont menacés par des milices locales.

Selon les informations recueillies par les enquêteurs de l’Onu sur les lieux des faits, «il semble que l’action des forces tchadiennes a été totalement disproportionnée, puisqu’ils ont tiré sur un marché bondé de civils non armés». Le porte-parole a également estimé que le nombre de soldats tchadiens impliqués ne devait pas être très élevé et que ces individus «avaient dû repartir directement» dans leur pays.

La Centrafrique «regrette» le retrait des soldats tchadiens

Les autorités centrafricaines ont fait part vendredi de leur «regret» concernant le départ des soldats tchadiens de la Misca. Le ministre centrafricain des Affaires étrangères, Toussain Kongo-Doudou, en escale à Paris après le sommet UE-Afrique qui se tenait mercredi et jeudi à Bruxelles, souligne que cette décision, qui survient après la mise en cause de soldats tchadiens dans la mort de civils à Bangui, «a été prise en toute souveraineté par le gouvernement tchadien».

Acteur clé de la crise centrafricaine et incontournable puissance régionale, le Tchad, l’un des principaux fournisseurs de la Misca, a décidé jeudi du retrait de ses 850 soldats de Centrafrique, dénonçant une «campagne malveillante» à leur encontre après la fusillade de Bangui. Il s’agit de l’incident le plus grave impliquant des troupes étrangères en Centrafrique depuis le renversement, en mars 2013, du président François Bozizé par la Séléka, une coalition à dominante musulmane appuyée par le Tchad.

Les populations soulagées

Dans la population et la presse de Bangui la tonalité était tout autre et la satisfaction dominait, illustrant la défiance envers les voisins du nord. «Adieu les oppresseurs et les envahisseurs de la RCA à la solde d’Idriss Déby Itno» (le président tchadien), titrait ainsi le quotidien Centrafric matin. «C’est un grand ouf de soulagement (...) C’est le début de solution à la résolution de la crise centrafricaine», affirme de son côté un étudiant, Richard Balawa.

«Le sang des Centrafricains a trop coulé du fait de la barbarie des soldats tchadiens. Ils sont d’une cruauté bestiale, et tuer pour eux est le seul mot qui justifie leur présence en Centrafrique (...) Nous ne voulons plus d’eux sur cette terre», renchérit Blaise-Innocent Tsiahama, enseignant. Agathe Mandéno, cadre de la Santé, estime que le Tchad a joué un grand rôle dans la descente aux enfers de la Centrafrique: «notre pays est aujourd’hui dans cette situation à cause des Tchadiens. Ils font la pluie et le beau temps en Centrafrique».

Les soldats tchadiens ont été accusés à plusieurs reprises depuis l’arrivée au pouvoir de la Séléka de passivité face à leurs exactions, voire de connivence - certains étaient Tchadiens. N’Djamena a toujours démenti avec force et reçu le soutien appuyé de l’UA et de la France pour son engagement en Centrafrique.

Le Tchad est «un pays frère qui a entretenu et continue d’entretenir des liens d’amitié et de fraternité avec la République centrafricaine et qui nous a fortement accompagnés et a payé un lourd tribut dans ce processus», a souligné vendredi le ministre des Affaires étrangères de Centrafrique. «Nous sommes rassurés que le Tchad continuera à accompagner (la Centrafrique) en tant que partenaire dans le processus de la promotion de la paix et de la stabilité.»

Les soldats tchadiens de la force africaine en Centrafrique (Misca) basés à Bangui devaient quitter la capitale vendredi pour rejoindre de nouvelles positions en province, après la décision du Tchad de se retirer de la Misca, a indiqué cette dernière.

Un convoi d'une trentaine de véhicules avec à leur bord 200 soldats tchadiens devaient gagner par la route la ville de Kaga Bandoro (250 km au nord dee Bangui), où sont stationnées des troupes tchadiennes de la Misca, a déclaré à l'AFP le commandant de la Misca, le général camerounais Martin Tumenta Chomu, soulignant qu'ils ne quittaient pas dans l'immédiat la Centrafrique. Des officiers d'état-major tchadiens devaient quitter Bangui par avion. «Il ne restera pas un seul élément tchadien, militaire ou policier, dans Bangui» vendredi soir, a ajouté le commandant de la Misca.

 


 

Centrafrique: l'ONU accuse les soldats tchadiens d'un massacre

 

Christian PANIKA, Jean-Pierre CAMPAGNE
Agence France-Presse – Bangui – diffusion: lapresse.ca - Publié le 04 avril 2014 à 13h26

La population de Bangui ne cachait pas sa satisfaction de voir se retirer de la force africaine en Centrafrique l'armée tchadienne, que les Nations unies ont accusée vendredi d'avoir abattu la semaine dernière 30 personnes sans avoir été provoquée.

La polémique sur cette tuerie a duré toute la semaine, les différentes parties en présence donnant des versions contradictoires.

300 personnes avaient également été blessées samedi par les tirs tchadiens à Bangui, selon un nouveau bilan fourni par l'ONU vendredi.

Un porte-parole du Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme, Rupert Colville, a directement accusé les soldats tchadiens d'avoir tiré sans avoir été provoqués. «Ils ont illégitimement ouvert le feu sur la population. Les soldats ont tiré de façon indiscriminée», a-t-il affirmé.

La force africaine en Centrafrique (MISCA), la France qui a déployé 2000 soldats dans le pays, et le gouvernement centrafricain ont, eux, pointé du doigt les miliciens anti-balaka, qu'ils accusent d'avoir attaqué à la grenade le détachement tchadien.

Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a condamné de son côté des «atrocités épouvantables contre les civils», sans mentionner expressément ces tirs.

Quant au gouvernement centrafricain, il a appris «avec beaucoup de regret l'annonce (...) du retrait de la République centrafricaine des troupes tchadiennes de la MISCA», selon un communiqué du ministre des Affaires étrangères Toussaint Kongo-Doudou.

Le Tchad, acteur-clé de la crise centrafricaine et incontournable puissance régionale, «continuera à accompagner (la Centrafrique) en tant que partenaire dans le processus de la promotion de la paix et de la stabilité», a-t-il cependant assuré.

«Ouf de soulagement»

Dans la population et la presse de Bangui, la tonalité était tout autre et la satisfaction dominait, illustrant la défiance envers les voisins du Nord.

«Adieu les oppresseurs et les envahisseurs de la RCA à la solde d'Idriss Déby Itno», le président tchadien, titrait ainsi le quotidien Centrafric Matin.

«C'est un grand ouf de soulagement (...) C'est le début de solution à la résolution de la crise centrafricaine», affirme un étudiant, Richard Balawa.

Agathe Mandéno, cadre de la Santé, estime que le Tchad a joué un grand rôle dans la descente aux enfers de la Centrafrique: «notre pays est aujourd'hui dans cette situation à cause des Tchadiens. Ils font la pluie et le beau temps en Centrafrique».

Le ressentiment de la population majoritairement chrétienne (80 %) a redoublé depuis la tuerie du week-end dernier, le plus grave impliquant des troupes étrangères en Centrafrique depuis le renversement, en mars 2013, du président François Bozizé par la Séléka, une coalition à dominante musulmane appuyée par le Tchad.

Les soldats tchadiens ont été accusés à plusieurs reprises, depuis l'arrivée au pouvoir de la Séléka, de passivité face aux exactions de celle-ci contre la population, voire de connivence - certains étaient Tchadiens. N'Djamena a toujours démenti avec force.

«Décision irrévocable»

Peu semblaient regretter le départ des Tchadiens au PK-5, enclave musulmane de Bangui où les quelques milliers de personnes restantes sont continuellement harcelées par les milices anti-balaka, groupes à dominante chrétienne formés en réaction aux exactions des combattants Séléka.

«Ce n'est pas grave, ici ce sont les Burundais (de la MISCA) qui nous protègent. Et ils le font plutôt bien», affirme Athaïr, jeune commerçant musulman membre d'un groupe de défense du quartier. «On remercierait presque Dieu que les Tchadiens s'en aillent, car on les accuse de nous protéger, d'être partisans».

Le contingent tchadien, qui avec environ 850 soldats est l'un des principaux fournisseurs de la MISCA (6000 hommes au total), va donc se retirer alors que les forces africaines et l'armée française (2000 soldats) réclament au contraire des renforts pour pacifier le pays.

Mardi, l'Union européenne a décidé d'envoyer une force militaire en Centrafrique, mais ses effectifs - environ 800 hommes - suffiront à peine à combler le vide laissé par les Tchadiens.

Paris a pris «acte» de la décision de N'Djamena, tout en saluant «l'engagement des autorités tchadiennes et l'engagement personnel du président Deby (...) dans la recherche d'une sortie de crise en Centrafrique», a indiqué le ministère français des Affaires étrangères.

La décision tchadienne est irrévocable, a affirmé vendredi sur RFI le ministre tchadien des Affaires étrangères Moussa Faki Mahamat, jugeant que son pays, victime d'un «lynchage systématique», avait «suffisamment encaissé».

Dans un communiqué, Amnistie Internationale a demandé à ce que le départ des soldats tchadiens ne leur garantisse pas l'impunité pour leurs présumées violations des droits de l'homme.

 


 

RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE La survie sans le Tchad

 

Le Pays - Dabadi ZOUMBARA,  4 avril 2014

 

Les Tchadiens outrés par les accusations de parti pris retirent leur contingent de la Mission de soutien à la Centrafrique (Misca). Ce retrait risque de faire basculer une crise déjà complexe dans une équation insoluble.

 

Le Tchad justifie ce retrait par le fait que malgré ses sacrifices, les Tchadiens font l’objet d’"une campagne gratuite et malveillante tendant à leur faire porter la responsabilité de tous les maux dont souffre la République centrafricaine (RCA)". Cette grave décision du Tchad risque de rendre plus complexe le retour de la paix en RCA. Quand on sait l’efficacité de ce contingent de 800 hommes, on ne peut que se montrer perplexe.


Malgré ses défauts et ses faiblesses, le contingent tchadien reste l’un des meilleurs de la Misca [qui compte au total 6 000 hommes]. Certes, les accusations de violation des droits de l'homme et de bavures se sont multipliées ces derniers temps contre ce contingent. Les dernières en date remontent à samedi dernier [le 29 mars], lorsque ce contingent et les antibalakas [milices chrétiennes] se sont affrontés. Le bilan faisait état de plusieurs morts dont des civils.


Chrétiens soulagés, musulmans désespérés


Toutefois, en dépit de ce triste événement, on n’imaginait pas que le Tchad se retirerait de la RCA aussi précipitamment, tant sa contribution était considérable. Cette décision, lourde de conséquences, est diversement appréciée. Pour les Banguissois qui réclamaient le départ de ce contingent, c’est un ouf de soulagement.


Mais pour les musulmans des villes du nord de la RCA comme Kaga-Bandoro, Ndélé ou encore Sibut qui bénéficient de la protection de ce contingent tchadien, c’est le déluge. Car si des dispositions urgentes et efficaces ne sont pas prises, ils seront à la merci des antibalakas qui sont sans foi ni loi. Il faut espérer que l’Europe qui a décidé de déployer prochainement 800 hommes à Bangui songe à envoyer des forces dans les villes du nord du pays.

Baptisée Eufor-RCA, cette force aura, pour l’instant, la mission de sécuriser deux arrondissements de Bangui, la capitale centrafricaine, et l’aéroport. Elle représente une contribution de neuf pays européens en hommes et de quatre pays en logistique avec des véhicules et des avions.


Cette présence tant attendue contribuera, à n’en point douter, à renforcer l’action des autres forces déjà sur le terrain, notamment l’opération Sangaris et la Misca. En attendant que cette force européenne dont le déploiement débute fin avril soit opérationnelle en mai, on peut dire que sa mise en place est une chose salutaire. Son entrée en scène apportera, on l’espère, du baume au cœur des Centrafricains qui ne savent plus à quel soldat se vouer.


La force européenne ne sera opérationnelle qu'en mai


Cette initiative salvatrice de l’Europe devrait interpeller une fois de plus les dirigeants africains, incapables de résoudre les problèmes qui naissent dans leurs pays respectifs. Le déploiement de l’Eufor-RCA dans les prochains jours à Bangui est la preuve que toute l’Europe a pris le problème centrafricain à bras-le-corps ou, du moins, est consciente de l’intérêt qu’il y a à ramener la paix en RCA.

Il est évident qu’on ne peut exploiter les richesses de ce pays dans le climat actuel. Aucune économie ne peut prospérer dans un pays aussi malade que la RCA. D’où l’intérêt de travailler à ramener la paix, la sécurité et la stabilité. En tout cas, l’Europe a compris qu’il est temps d’agir au plus vite pour que cette guerre qui n’a que trop duré n’affecte pas toute la sous-région.


Si l’envoi de l’Eufor-RCA suscite tant d’espoir, il n’en demeure pas moins que l’on s’interroge ; réussira-t-elle là où les autres forces ont échoué ? Difficile de répondre par l’affirmative. Seuls le temps et l’évolution de la situation sur le terrain nous le diront.


De la "promenade de santé" à la "promenade en enfer"


La crise en RCA a pris une telle dimension qu’il est aujourd’hui difficile de parier sur le succès d’une opération, fût-elle européenne. Le cas de l’opération Sangaris en est l’illustration parfaite. Ce qu’elle considérait au départ comme une promenade de santé, s’est transformé en une promenade en enfer. Avant d’atterrir sur le sol centrafricain, les forces françaises considéraient la guerre en RCA moins complexe que celle du Mali. Mais elles ont eu tort car il s’est avéré plus facile de combattre un barbu enturbanné qu’un antibalaka.


En vérité, la guerre en RCA est comparable à celle des Balkans, notamment au Kosovo, qui a duré une décennie. Ce qui, au départ, était une affaire ethnique, s’est transformé en une guerre d’indépendance nécessitant l’intervention des puissances étrangères comme les Etats-Unis. Certes, la RCA n’a pas encore atteint l’ampleur de cette guerre mais le chemin qu’elle a emprunté pourrait l’y conduire.


En effet, tant que les antibalakas ne seront pas neutralisés, il sera difficile de remettre la RCA sur les rails. Et c’est un euphémisme de dire que l’Eufor-RCA aura fort à faire. Du reste, si elle tient à réussir sa mission, elle devra se montrer impartiale afin d’éviter d’être taxée de complice de tel ou tel camp comme on l’a vu avec l’opération Sangaris accusée par la Séléka [rébellion musulmane] de prendre fait et cause pour les antibalakas.

Dabadi ZOUMBARA

Source : http://www.courrierinternational.com/article/2014/04/04/la-survie-sans-le-tchad