RCA : Accélérer la transition politique pour éviter l’enlisement.

 

 

Il faut accélérer la transition politique en République centrafricaine afin d'éviter l'enlisement. Un pays ne peut vivre indéfiniment avec des institutions provisoires et inappropriées.

 

1 - Les lampions de l’indépendance sont éteints.

 

Les lampions de la fête des indépendances africaines viennent de s'éteindre à Bangui. En effet, la crise centrafricaine en cours révèle une vérité cachée et longtemps déniée. Après le Mali, la Côte d'Ivoire, le Libéria, la Sierra-Leone, etc., c'est tout le schéma des indépendances africaines qui s'écroule.

 

Accordées dans la précipitation après la fin de la seconde guerre mondiale, ces indépendances acquises sans préparation, mais voulues par les pères africains de l'émancipation des peuples du continent, peinent à s'inscrire dans l'histoire. Si l'on excepte quelques réussites du côté de l'Afrique anglophone, il faut reconnaître en effet que les indépendances africaines sont un échec largement acquis en Afrique francophone.

La logique de vérité voudrait que les élites africaines acceptent cette défaite intellectuelle et fassent assaut d'humilité et de modestie, pour remonter la pente, au lieu d'inventer des prétextes à l'enlisement.

 

2 - La pente sera raide à remonter.

 

Pour la République centrafricaine, la pente à remonter sera très raide, voire pentue.

 

Le moment n'est donc pas à l'autosatisfaction, à l'autosatisfecit et à l'autoproclamation d'une réussite qui s'apparente plus à l'invocation de la méthode Coué, alors que tout va de travers.

 

Ainsi, alors que la présidente de transition joue les Pop stars au Forum des femmes de l'espace francophone réunies à Kinshasa, à l'issue d'une visite officielle en République démocratique du Congo, l'adjoint au maire de la ville de M'Baïki, à 180 kilomètres à l'ouest de Bangui, était égorgé par des fanatiques du camp anti-Balaka.

 

Monsieur Saleh Dido, l'adjoint au maire, était le seul musulman à avoir refusé de quitter la ville où il était né. « Je suis né ici. J’ai fait des enfants ici. Je suis à la mairie depuis cinq ans, j’ai prêté serment, je suis patriote. Pourquoi devrais-je partir ? », interrogeait-il  la présidente de transition et le ministre français de la Défense, venus en visite officielle à M’Baïki le 12 février dernier.

Malgré les menaces, il ne craignait pas la mort, il avait seulement peur de l'esprit d'intolérance qui gangrène le pays tout entier, depuis si longtemps. Il n’avait pas tort.

En assassinant Saleh Dido ce samedi 1er mars 2014, les « bouchers » anti-Balaka, bardés de leurs gris-gris prétendument anti-balles à Kalachnikov, ont maculé le drapeau centrafricain du sang d'un innocent !

Ils viennent de fermer définitivement derrière eux la porte de l'intelligence humaine, de la fraternité et de l'amour de son prochain.

 

Ils se prétendent chrétiens ? On découvre des barbares sanguinaires qui prennent leurs ordres chez Lucifer. Et, puisque l'heure n'est plus au faux-semblant, disons les choses clairement. En parrainant ces derniers sauvages, par l'intermédiaire de ses porte-parole et du « coordinateur politique » de ces derniers, le président déchu François Bozizé, ses fils et ses obligés, ont sur la conscience la responsabilité de ce crime abominable. L'église du Christianisme céleste, dont le généralissime se réclame le créateur et puissant pasteur, aura ainsi donné naissance à des monstres, non point à des chrétiens. Ils n’ont pas reçu la visite de l’Esprit Saint.

 

Le moment venu, et une fois l'ordre rétabli, il faudra s'interroger sur la psychologie et la santé mentale de ces êtres assoiffés de pouvoir et de sang.

 

Dans l’immédiat, il faut se rendre à l'évidence; il ne s'agit pas d'un conflit interconfessionnel entre chrétiens et musulmans, mais de la mobilisation d'une ethnie, les Gbayas, qui règlent leurs comptes par anti-Balaka instrumentalisés, pour avoir été évincés du pouvoir par les ex-Séléka.

 

Dès lors, l'heure n'est plus à esquisser des pas de danse sur un air de coupé-décalé – décidément, ce genre musical est mal-nommé - . L'heure, cruciale, est à la refondation totale et globale de ce pays.

 

Non, madame la Présidente de transition, vous n'avez pas « hérité d'un pays au bord du gouffre ». En disant cela, vous maquillez la vérité. La réalité est que la République centrafricaine n'existe plus. Djotodia et Bozizé l'ont tuée, et Patassé avant eux.

 

C'est donc un nouveau pays qu'il faut réinventer. Et les casques bleus de l'Onu, attendus au mieux pour le mois de septembre prochain, n'y pourront rien, sauf à aider, comme le font actuellement les Sangaris et la Misca. Il est d'ailleurs navrant que le Tchad et l'Union africaine, si réticents il y a deux mois, aient pris tant de temps pour se convaincre de la nécessité d'une mission de maintien de la paix.

 

Seul donc un sursaut d'orgueil, de ce que le pays de Barthélémy Boganda compte encore d'hommes et de femmes lucides et intègres, peut sortir l'Etat centrafricain de la gangue immonde où il est enseveli. La pente sera raide.

 

3 - Un pays à réinventer.

 

Réinventer le Centrafrique, c'est lui donner un autre nom : Bè-Africa, le cœur du continent noir.

 

Réinventer le Centrafrique, c'est lui donner une autre devise : Zo kwè Zo, tout homme est un Homme, pour proclamer notre foi en la fraternité et l'unité de la condition humaine, en lieu et place du désormais triste « Unité, Dignité, Travail » si peu en rapport avec la situation du moment.

 

Réinventer le Centrafrique, c'est encore lui donner une langue officielle, le Sango, qui seule peut désormais réconcilier le peuple et ses élites.

 

Réinventer le Centrafrique, c'est aussi lui accorder un nouvel emblème en nettoyant son drapeau terni par tant de sang versé par ceux-là qui  l'arbore, sans vergogne, devant les forces internationales de l'opération Sangaris et de la Misca, alors qu'ils sont les seuls fossoyeurs de leur propre peuple.

 

Réinventer le Centrafrique, c'est en un seul mot lui redonner une nouvelle constitution, une Loi fondamentale partagée par tous, et en premier lieu par ceux qui aspirent à diriger demain le pays.

 

C'est, au delà du quotidien obscur et terrifiant que vit le peuple, le travail qui attend maintenant la Présidente de transition, en plus des tâches prioritaires qui étaient déjà inscrites à son agenda, à savoir :

 

-          mettre en place une administration de guerre, susceptible de seconder les forces internationales, chaque fois que celles-ci auront repris une ville aux ennemis de la paix. Il faut pour cela être en mesure d’acquitter le traitement des agents de l’Etat, en sécurisant la filière du diamant, en fiabilisant les régies financières, et en apurant les comptes des entreprises publiques ;

-          mettre en place un fonds national de solidarité et d’indemnisation des victimes des exactions commises par les ex-Séléka et les anti-Balaka – une attention particulière devra être réservée à la situation des enfants orphelins ou victimes des factions armées - ; asseoir très rapidement l’autorité des magistrats de l’ordre judiciaire, à Bangui et en province, afin de rompre le cycle de l’impunité et des représailles alternatives entre factions rivales des milices armées ; déployer le réseau des « médiateurs » de la paix dans chaque quartier, arrondissement ou village ;

-          mettre fin aux velléités putschistes de nos militaires en conduisant à son terme la réforme des forces armées centrafricaines, au besoin en décidant constitutionnellement la suppression de cette dernière, au profit d’unités spécialisées de la gendarmerie nationale dotées de missions spécifiques de défense opérationnelle du territoire.

 

Michel Djotodia prétendait ne pas dormir de la nuit, tant les malheurs du pays l’accablaient. Heureux homme qui doit avoir désormais le temps de rêver, au moment où la tâche qui attend les Centrafricains est immense, et la besogne insondable. Le peuple n’aura pas assez d’une nuit et d’un jour, pendant des années, pour tirer le pays des abysses où l’ont enfoui les ex-Séléka et les anti-Balaka.

C’est la raison qui amène à espérer une transition rapide, afin d’échapper aux risques de guerre civile et de partition du pays.

 

 

Paris, le 5 mars 2014

 

Prosper INDO