Les agriculteurs de la République Centrafricaine peinent à se
remettre des ravages
De nombreux villageois se sont enfuis pour s’installer près de leurs champs. Photo: Nicholas Long/IRIN
BESSAN, 18 mars 2014 (IRIN) - Il ne
reste que quelques semaines avant la campagne de semis principale et de nombreux
habitants se retrouvent désespérément démunis après des mois de conflit en
République centrafricaine (RCA). Dans le village incendié de Bessan, dans
l'ouest du pays, les problèmes sont caractéristiques ; les semences, les outils
et la main d'oeuvre font cruellement défaut.
À Bessan, de nombreuses
habitations n'ont plus de toit et les murs sont noircis par les flammes. Même
les maisons intactes manquent de meubles, d'outils ou de nourriture.
« La Séléka a volé nos
machettes, nos houes, nos râteaux, nos arrosoirs et même nos lits et d'autres
affaires », a déclaré à IRIN une des villageoises, Véronique Nabata. La Séléka
est une alliance composée de groupes rebelles en majorité musulmans qui a pris
le pouvoir après le coup d'État de mars 2013 et a commis des atrocités dans le
pays au cours des mois qui ont suivi.
« Ils ont aussi pris nos stocks
d'arachides, de maïs, de haricots et de pistaches, et les Peuls [un peuple
semi-nomade] ont fait paître leurs troupeaux dans nos champs de manioc. »
Les hommes âgés de 15 à 45 ans
sont rares dans le village, il n'y en avait presque pas parmi la vingtaine de
personnes rassemblées pour écouter Mme Nabata et d'autres chefs communautaires
expliquer les difficultés auxquelles ils sont confrontés.
Un
ancien du village, Isidore Ngaldi, a déclaré qu'ils avaient besoin d'hommes
jeunes pour aider à la préparation des champs, mais il a ajouté que ces derniers
avaient tous fui dans la brousse.
Les deux dernières campagnes à Bessan
et dans beaucoup d'autres villages de RCA ont été fortement perturbées par les
incursions des rebelles de la Séléka aidés par leurs alliés locaux. Selon le
Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA),
une troisième campagne infructueuse engendrerait « une crise alimentaire majeure
qui nécessiterait une opération d'aide alimentaire longue et coûteuse ».
Menacés de toutes parts
Les villageois ont déclaré que
tous vivaient encore dans la brousse il y a peu. Un villageois a proposé
d'emmener IRIN dans l'un des endroits où les habitants avaient trouvé refuge. Il
s'agit d'une clairière à environ
Les huttes sont situées à côté
des champs de plusieurs familles et servaient d'abri aux agriculteurs au plus
fort des travaux agricoles de la saison.
L'homme, Éric Zouta, a déclaré
que douze personnes vivaient ici, dont sa femme et ses enfants, et que les
autres villageois possédaient des huttes semblables dispersées autour du
village.
« À peine arrivés, les Séléka
ont commencé à tuer des gens », a-t-il affirmé. « J'ai emmené mes enfants dormir
ici. Il n'y a pas de lit, ni de moustiquaire, mais c'est pour leur sécurité. »
« Moi, je ne dors pas ici »,
a-t-il ajouté. « Je vais plus loin dans la brousse et je dors sur de la paille.
»
Il a déclaré qu'il n'avait pas
dormi avec ses enfants pour ne pas leur faire courir un plus grand danger.
« [Les
Séléka] n'ont aucune pitié », a-t-il dit, « et je sais qu'ils veulent me tuer. »
Violences intercommunautaires
Il semblerait que les violences
dans cette région aient commencé par des attaques de la Séléka, avant de laisser
la place à des violences entre Peuls et Gbaya, l'ethnie régionale majoritaire.
« Les Peuls aiment trop leurs
alliés de la Séléka », a déclaré M. Zouta, insinuant qu'il existe une alliance
entre ces deux groupes du fait de leur appartenance ethnique (de nombreux
membres de la Séléka sont Peuls ou de communautés proches).
« Lorsque les Séléka sont
arrivés, les Peuls leur ont acheté des armes et se sont vengés des Gbaya qui les
avaient poursuivis en justice pour des conflits fonciers liés aux pâturages. »
De nombreuses sources ont
indiqué à IRIN que l'hostilité grandissait depuis des années entre les Peuls
semi-nomades et d'autres communautés de RCA. Les Peuls étaient accusés de
laisser paître leurs troupeaux sur les champs des cultivateurs et les Peuls
accusaient les autres de voler leur bétail.
Selon un rapport de Human Rights
Watch de septembre 2013, des rebelles de la Séléka alliés à des Mbarara (Peuls
du Tchad) ont attaqué des civils dans plusieurs préfectures. Le rapport ne fait
état que d'une petite partie des violations des droits de l'homme commises. De
plus, il porte essentiellement sur les agissements de la Séléka et non sur la «
criminalité ordinaire ».
D'après M. Zouta, c'est« grâce aux
anti-Balaka que la plupart des Séléka et des Peuls ont été chassés de la région
» et qu'il va peut-être pouvoir retourner dans son village. Mais il n'est pas
sûr que les Séléka et les Peuls soient tous partis et il craint que certains
membres toujours dans la région cherchent à se venger.
À en juger par les abords de
Bouar, une ville de l'ouest de la RCA, les villages peuls ont été
systématiquement détruits et une bonne partie des troupeaux aurait été volée ou
abattue.
« Quand les Séléka étaient là,
il était impossible de travailler dans les champs », a déclaré M. Zouta.
« Les Séléka peuvent aussi
parcourir de longues distances dans la brousse. Une fois, ils sont arrivés à
pied jusqu'ici après avoir parcouru
Si les habitants ont pu
récemment faire quelques récoltes dans certains champs près de Bessan,
l'insécurité qui persiste depuis début
Les villageois auront un
rendement très faible des deux dernières campagnes, car ils n'ont pas pu semer
ou désherber leurs terres convenablement. M. Zouta a déclaré que sa famille et
lui avaient mangé toutes leurs semences à cause du manque de nourriture.
En
janvier, une évaluation rapide interagence a rapporté que 94 pour cent des
agriculteurs de RCA disaient manquer de semences et qu'ils étaient 78 pour cent
à avoir l'intention de semer pendant cette campagne.
No man's land
Dans la préfecture de
Nana-Mambéré, la région autour de Bessan n'a probablement pas autant souffert
des violences intercommunautaires que les régions situées plus au nord, près de
la frontière avec le Tchad.
Selon le chef de mission d'une
organisation non gouvernementale (ONG) en RCA, qui a demandé à garder
l'anonymat, les éleveurs de bétail tchadiens profitent du vide sécuritaire pour
emmener de grands troupeaux paître de l'autre côté de la frontière.
« Ils peuvent faire ce qu'ils
veulent et, depuis un an, ils font paître leurs troupeaux dans les champs des
cultivateurs. »
« À l'ouest de Batangafo et au
nord de Bossangoa, de nombreux villageois vivent toujours dans la brousse et,
étant donné l'insécurité actuelle, il leur sera très difficile de semer. »
Olivier David, chef de mission
du Conseil danois pour les réfugiés en RCA, a déclaré que les Mbarara
retournaient dans cette région frontalière.
« Normalement, nous pouvons
acheter des semences à Kaga-Bandoro, mais pas cette année », a déclaré le chef
de mission de l'ONG, qui a souhaité rester anonyme, « ce qui montre à quel point
l'activité agricole a été touchée, puisqu'il s'agit du marché de semences de
qualité pour tout le reste du pays ».
Il n'y a
pas non plus de semences de qualité disponibles à Nana-Mambéré, a déclaré
Nicholas Kumaluta, directeur du bureau de Mercy Corps de la préfecture. « C'est
inquiétant, car la campagne de semis doit commencer ce mois-ci », a-t-il
signalé.
Réponse d'urgence
L'Organisation des Nations Unies
pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) possède un programme d'urgence pour
aider les villageois de RCA à semer en quantité suffisante pendant cette
campagne.
L'organisation lance un appel de
45 millions de dollars pour 2014, dont près de 16 millions sont déjà réservés
pour des programmes d'urgence et de résilience, a déclaré à IRIN Justine Texier,
responsable de l'information de la FAO.
Il est prévu de distribuer 1 800
tonnes de riz, de maïs et de semences d'arachide, ainsi que des houes, des
pelles et des arrosoirs pour 76 000 familles, a-t-elle affirmé.
« Une partie des semences se
trouve à la frontière avec le Cameroun et nous sommes en train de commander le
reste. Plus nous attendons, plus les semences seront chères, car il sera
extrêmement coûteux de les faire venir par transport aérien. »
L'insécurité a fait augmenter
les coûts de façon brusque et a entraîné plusieurs changements dans le plan
d'action. Le gouvernement devait organiser une table ronde sur l'agriculture
avec les donateurs le 5 décembre, le jour où les anti-Balaka ont lancé leur
première offensive à Bangui.
« Selon le plan initial, les ONG
devaient acheter les semences dans le pays », a déclaré Pierre Vauthier,
responsable de l'action d'urgence, « mais maintenant, elles demandent toutes à
la FAO d'acheter des semences à leur place ».
« Nous avons décidé d'importer
la plupart des semences de l'étranger, car il manque des semences de qualité
dans toute la RCA et nous ne voulons pas vider certaines régions. »
« Nous aiderons les ONG en leur
procurant des semences, de la logistique et des évaluations. »
Si
quelques ONG ont obtenu des semences par leurs propres moyens (la RDC a par
exemple 13 tonnes de réserves à Nana-Mambéré), la majeure partie de ce qui est
nécessaire n'est toujours pas achetée.
Le nombre relativement limité
d'ONG dans les régions visées et le manque de dons pour les financer sont autant
de contraintes, a déclaré M. Vauthier.
Problèmes de sécurité
La sécurité est un enjeu
crucial. En décembre, un véhicule de la FAO a été détourné par la Séléka sur la
route principale reliant Bangui au Cameroun. Le personnel n'a été libéré
qu'après plusieurs heures.
Au moins sept membres d'ONG
internationales ont été tués en RCA au cours de l'année écoulée, dont un
collaborateur de la Croix-Rouge, abattu à Ndélé la semaine dernière.
L'association Médecins sans frontières a récemment suspendu l'envoi de cliniques
mobiles dans les zones rurales du nord de la RCA.
« Le 10 mars, nous avons envoyé
un camion de Bangui à Bossangoa [350 km] escorté par Sangaris [les soldats
français déployés dans le cadre de la mission de maintien de la paix] », a
expliqué M. Vauthier. « Nous étions ravis de leur aide, car ils ont rendu ce
convoi possible ».
Depuis un mois, les soldats de
l'Union africaine escortent chaque semaine un convoi de véhicules utilitaires en
provenance du Cameroun.
Selon Alexis Kamanzi, conseiller
en matière de sécurité auprès des Nations Unies, les organisations humanitaires
ne devraient se déplacer avec une escorte militaire qu'en « dernier ressort ».
Depuis quelques mois, les
camions du Programme alimentaire mondial vont de Bangui à Bossangoa sans escorte
militaire, mais la sécurité n'est toujours pas garantie sur de nombreux axes
routiers.
« Il est vraiment indispensable
d'assurer la sécurité dans les zones rurales », a déclaré M.
Vauthier.