Les anti-balaka dénoncent
l'"ingratitude" des nouvelles autorités centrafricaine : Catherine
Samba-Panza dans leur ligne de mire
Par Anne LE COZ | AFP – le 10 février 2014
Un soldat français de l'opération
Sangaris et un gendarme centrafricain confisquent un couteau à un homme, le 9
février 2014 à Bangui. ©
AFP/Issouf Sanogo
En pointe de la lutte contre les
combattants à majorité musulmane Séléka en Centrafrique, les milices chrétiennes
anti-balaka, aujourd'hui accusées de multiples exactions, réclament une
"reconnaissance" de leur rôle et se disent prêtes au désarmement contre une aide
à la réinsertion.
Dans son fief de Boy-Rabe, quartier
du nord de Bangui, Patrice Edouard Ngaïssona, ancien ministre de François Bozizé
- renversé en mars 2013 par la rébellion Séléka - et désormais coordonnateur
politique des anti-balaka, déplore la mise à l'écart de son mouvement par les
nouvelles autorités de transition qu'il accuse d'"ingratitude": "ils n'ont pas
de mémoire, c'est nous qui les avons sauvés", dit-il dans un entretien avec une
journaliste de l'AFP.
"Pendant des mois, la communauté
internationale n'a rien fait. Personne n'a dit à (Michel) Djotodia (le président
issu de la rébellion et contraint à la démission le 10 janvier) et à ses
mercenaires d'arrêter. Alors, en juillet, le peuple s'est soulevé", affirme M.
Ngaïssona, également président de la Fédération centrafricaine de
football.
"Il faut une reconnaissance de ce
qu'ont fait les anti-balaka qui ont libéré le peuple centrafricain",
insiste-t-il.
Selon lui, la nouvelle présidente de
transition Catherine Samba Panza, "acclamée" lors de sa désignation le 20
janvier, "est aujourd'hui haïe à cause de son gouvernement et de son
cabinet".
"Madame avait dit qu'elle prendrait
des conseillers, des ministres chez nous, elle n'a rien fait!", s'insurge-t-il.
Précédé d'une réputation sulfureuse, M. Ngaïssona dit avoir été écarté
"officiellement" en raison de ses "problèmes judiciaires" (il a été incarcéré au
début des années 2000 pour enrichissement illicite et fait encore l'objet de
plusieurs enquêtes), mais "c'est un prétexte",
affirme-t-il.
Mis en cause dans les pillages et
exactions à l'encontre des musulmans, le coordonnateur des anti-balaka, qui se
dit en contact avec ses représentants "dans chaque commune", se défend en
dénonçant un "amalgame". "Nous n'avons rien contre nos frères musulmans",
assure-t-il.
"Aujourd'hui, il n'y a pas de
sécurité. Nous ne pouvons pas assister au passage des Tchadiens qui tirent
contre notre peuple et rester sans rien faire",
assène-t-il.
Le Tchad, qui nie avec véhémence, a
été à plusieurs reprises accusé de complicité avec la Séléka, composée également
de combattants tchadiens et soudanais.
Vrais et faux
anti-balaka
"Ce qu'on voit dans les quartiers,
ce sont des règlements de comptes. Les anti-balaka ne sont pas des assassins, ni
des pillards. Il faut combattre ces voyous. Il faudrait associer les vrais
anti-balaka pour combattre ces faux anti-balaka!" dit-il.
Dans le quartier animé de Boy-Rabe,
beaucoup d'hommes circulent armés de kalachnikov. Des pick-ups vont et viennent
chargés de jeunes anti-balaka, aisément reconnaissables à leurs colliers
"anti-balles AK", censés les protéger des AK-47
(kalachnikov).
M. Ngaïssona affirme que le
mouvement compte environ 70.000 hommes, dont plus de la moitié à
Bangui.
Alors que les ex-rebelles de la
Séléka ont été cantonnés après la chute de leur chef, les anti-balaka n'ont
bénéficié d'aucune mesure et "n'ont pas été écoutés", déplore-t-il, appelant à
la mise en place "urgente" d'un programme de
Démobilisation-Désarmement-Réinsertion (DDR) "pour tous".
Selon une source diplomatique, le
DDR, qui doit être mise en oeuvre par les autorités centrafricaines avec l'appui
de l'ONU et un financement international, est toujours au point mort, faute
d'accord politique entre les parties.
"On a cantonné les Séléka avec leurs
armes (une arme par combattant, NDLR). Les anti-balaka (...) on leur demande de
rendre leurs armes sans rien en échange", proteste Ngaïssona. "Il faut les
cantonner, leur trouver un projet, pour eux et pour les anciens des Forces
armées centrafricaines (FACA) qui se sont mélangés à eux".
Il faut ranger les armes "et que
chacun fasse sa prière comme il l'entend", dit-il, reconnaissant toutefois
qu'"il y a un travail de fond à faire avec les FACA avant de les mettre sur le
terrain, sinon les bavures n'arrêteront jamais".
"Les FACA ne vont jamais accepter des Séléka dans l'armée républicaine", dit-il. La semaine dernière, des éléments des FACA, rassemblées pour la première fois à Bangui lors d'une cérémonie officielle, ont lynché à mort un des leurs, ancien membre de la garde présidentielle accusé de s'être rallié à la rébellion.