Espoir et doute à Bangui (Centrafrique) après la visite de François Hollande. Des craintes, des convoitises

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Centrafrique: espoir et doute à Bangui après la visite de Hollande

Par Christian PANIKA, AFP – 1 mars 2014

 

La présidente centrafricaine Catherine Samba-Panza et le président français François Hollande le 28 février 2014 à Bangui

La présidente centrafricaine Catherine Samba-Panza et le président français François Hollande le 28 février 2014 à Bangui

"Ange gardien" ou chef militaire d'une opération "vouée à l'échec": au lendemain de la visite du président français François Hollande à Bangui, les réactions étaient partagées samedi en Centrafrique où les violences persistent trois mois après le début de l'intervention française.

"Le président François Hollande a redonné l'espoir à tous les Centrafricains. Et il a prouvé qu'il est vivement préoccupé par la situation centrafricaine en risquant sa vie, parce qu'il est venu alors que la paix n'est pas totalement restaurée", estime Alfred Kongala, un étudiant de la capitale.

"C'est notre ange gardien", renchérit un commerçant, Serge-Théophile Gouengali. "Il a ordonné une intervention militaire au moment où on ne savait pas quel était notre sort. Et il vient constater l'évolution de la situation, c'est un réconfort très important".

Au cours de sa deuxième visite en Centrafrique depuis le déclenchement de l'intervention française ("opération Sangaris") le 5 décembre, M. Hollande a rencontré la présidente de transition Catherine Samba Panza et les autorités religieuses du pays.

Solidement escorté, le président français a traversé certains quartiers dangereux de Bangui comme pour montrer que la situation s'était améliorée.

"La vie a repris, les commerces ont rouvert, l'activité est là" même "s'il reste beaucoup à faire", a-t-il souligné vendredi soir.

La France a dû réviser ses objectifs initiaux en envoyant 400 soldats en renfort des 1.600 déjà présents et en prolongeant une opération qui se voulait courte - le gouvernement a reconnu des "difficultés considérables sur le terrain".

- 'Résultat mitigé' -

Samedi, trois ex-rebelles de la Séléka ont été abattus et un autre grièvement blessé à Bangui lors d'une nouvelle attaque, alors qu'ils rejoignaient en taxi un des derniers quartiers musulmans de la ville.

Le bilan global est difficile à établir. Cette semaine, la Croix-Rouge centrafricaine a déclaré avoir ramassé 1.240 corps à Bangui depuis le 5 décembre.

Mais le total des morts est plus élevé: certains cadavres disparaissent, d'autres sont directement récupérés par les familles.

Quant au niveau de violence hors de Bangui, il reste largement méconnu, les informations parvenant au compte-gouttes.

A Bouar (nord-ouest), ville clé de l'axe reliant le Cameroun à Bangui, "il y a une accalmie" depuis l'arrivée des troupes françaises mi-février et le départ des ex-Séléka, auteurs de multiples exactions, selon les autorités locales.

En revanche, dans la ville minière de Berberati (sud-ouest), des échanges de tirs ont opposé vendredi des soldats de la force de l'Union africaine (Misca) à des miliciens anti-balaka qui refusaient d'être désarmés, selon une source de la gendarmerie centrafricaine, qui précise qu'"au moins" 17 musulmans y ont été tués par les anti-balaka depuis début février.

Face à la persistance des tueries et des pillages, doutes et inquiétudes sont palpables dans la capitale centrafricaine.

"Près de 8.000 soldats (2.000 Français et 5.700 Africains de la Misca) pour sécuriser uniquement Bangui, avec une population de 800.000 habitants, et cela dure depuis plus de deux mois, c'est un résultat mitigé", déplore Joseph Bendounga, ancien opposant au régime de François Bozizé et ministre du précédent gouvernement de transition.

Pour lui, "ce que la France est en train de faire en Centrafrique est voué à l'échec (...) M. François Hollande continue à agir comme les autres présidents français. Ils agissent en chefs militaires, alors que la crise centrafricaine est politique".

- 'Eviter le pire' -

Cela fait bientôt un an que la Centrafrique a basculé dans le chaos, depuis le renversement en mars 2013 du régime Bozizé par la coalition rebelle à dominante musulmane de la Séléka.

Des mois d'exactions perpétrées en toute impunité par ses combattants contre la population majoritairement chrétienne ont abouti à la formation de milices d'autodéfense anti-balaka, déclenchant un cycle infernal de violences interconfessionnelles.

Ces violences ont provoqué une crise humanitaire sans précédent, avec des centaines de milliers de déplacés internes et l'exode de dizaines de milliers de civils musulmans terrorisés.

Pour Juste-Roland Angbapa, juriste, "le président Hollande et la France nous ont fait éviter le pire".

"C'est désormais à la classe politique centrafricaine de prendre ses marques et de s'intégrer dans le processus de transition en cours", juge Enoch-Dérant Lakoué, ancien Premier ministre du président André Kolingba.

Vendredi, François Hollande a fixé le prochain cap: "L'enjeu, ce n'est même pas de rétablir, mais d'établir l'Etat" et pour cela, "il faut commencer par payer les fonctionnaires".

Fonctionnaires et membres des forces de sécurité ne sont plus payés depuis des mois, un phénomène récurrent dans l'histoire troublée de la Centrafrique.

F. Hollande et les 3 responsables religieux (Archevèque catholique, Iman, Réverand protestant)

F. Hollande et les 3 responsables religieux (Archevèque catholique, Iman, Réverand protestant)

 

 

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Abdoulaye Tidjani : « Pourquoi Paris envoie-t-il toujours des soldats plutôt que des enseignants ? »

Humanite.fr, 28 Février 2014

Ancien député et auparavant maire de Bria du Parti social-démocrate, Abdoulaye Tidjani siège au Conseil national de transition en tant que Séléka.

Comment jugez-vous la situation ?

Abdoulaye Tidjani. Comme très alarmante et décevante pour un pays comme le nôtre. Les problèmes confessionnels n’ont jamais existé et ont été instrumentalisés par l’extérieur et par les médias. La division que nous vivons est déplorable. Le gouvernement français s’est appuyé sur cette soi-disant division confessionnelle. Ici, à Bria, vous l’avez vu, il y a des églises, des mosquées, musulmans et chrétiens vivent en harmonie les uns avec les autres. Mais on a instauré cette division dans la tête des gens et maintenant cela va être difficile de l’enlever.

Que signifie aujourd’hui de siéger pour la Séléka au sein du Conseil national de transition (CNT) ?

Abdoulaye Tidjani. Ce n’est rien d’autre que la représentation politique de la Séléka. La branche militaire a été dissoute. Elle n’existe plus. Malheureusement, les questions de sécurité qui se posent à Bangui m’ont forcé à quitter la ville et à trouver refuge à Bria, d’où je suis. En quelque sorte, j’ai été chassé de Bangui. Mais auparavant j’avais dû moi-même partir de Bria, où une de mes maisons a été brûlée par des éléments armés des Séléka. Ce qui montre entre parenthèses que la cible n’était pas spécialement les chrétiens. Néanmoins, nous essayons de jouer notre rôle. Nous avons accompagné le départ de Michel Djotodia et élu la nouvelle présidente, jusqu’à ce que l’insécurité arrive.

Quelles sont les idées majeures que vous développez au sein du Conseil national de transition en tant que Séléka ?

Abdoulaye Tidjani. Pour nous, les structures républicaines du pays conviennent. Nous n’aspirons pas à la division. Nous voulons que la République centrafricaine reste un pays uni comme il l’était, laïque, respectant tous ses habitants. Encore une fois, le caractère de ce pays est laïque. On ne peut pas le diviser entre chrétiens et musulmans.

Mais n’est-ce pas difficile aujourd’hui de préserver une telle conception après tout ce qui s’est passé, les exactions commises par les uns et par les autres ?

Abdoulaye Tidjani. Bien sûr, c’est très difficile. Mais nous attendons. La France, l’Union africaine (UA), entre autres, ont dit que le problème centrafricain était un petit problème qu’ils résoudraient rapidement. Nous sommes là. S’ils peuvent amener la paix, qu’ils l’amènent. Mais s’ils ne le peuvent pas, nous ne partirons pas. Nous sommes des Centrafricains. Où irions-nous ? Nous allons rester dans ce pays comme les autres, qui disent aussi être des Centrafricains. La France peut tenter de diviser le pays, mais cette notion n’est pas dans la tête des Centrafricains. Nous voulons que le pays reste uni.

Est-ce que le renforcement du contingent français Sangaris peut aider ou non ?

Abdoulaye Tidjani. Personnellement, je pense que le renforcement de Sangaris n’est pas la solution à nos problèmes. Ni Sangaris ni la Misca (la force africaine – NDLR) n’ont joué un rôle digne pour les Centrafricains. Ils nous ont divisés. Ils devaient protéger les biens et les personnes. Or les gens se sont massacrés devant eux. Maintenant il est très difficile pour eux d’amener la paix. Le problème centrafricain est un problème politique. Avant de partir, le président Bozizé a distribué des machettes et des armes. Au lieu de nous réunir autour d’une table et de s’enquérir des difficultés existantes, la France a pris parti. Si l’argent qui est dépensé pour envoyer des troupes était utilisé pour la Centrafrique, pour les réparations et pour le développement, ce serait plus profitable. Les militaires ne peuvent rien nous apporter. Au contraire !

Comment en finir avec ces multiples interventions militaires et mettre en place une politique de développement et non pas une « politique du ventre » ?

Abdoulaye Tidjani. Tous les régimes qui se sont succédé ont leur part de responsabilité. Si chacun vient pour se remplir les poches ou favoriser sa famille, ça ne marchera pas. Il faut des gens qui ont l’intérêt national collé au cœur et au corps. Mais remarquons qu’il n’y a aucun coopérant français en RCA. Pourquoi toujours envoyer des soldats et pas des techniciens, des enseignants ou des médecins ?

Bria, envoyé spécial. Entretien réalisé par Pierre Barbancey

 

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Le calvaire des Peuls

humanite.fr, le 28 Février 2014

Envoyé spécial. Ces éleveurs « transfrontaliers », nomades à l’origine, ne peuvent plus vendre leurs bêtes ni se rendre à Bangui.

El Hadi Daudoulou Aliou est là assis devant sa maison, sur une chaise en bois où son corps se love avec souplesse. Malgré la finesse des doigts, les mains trahissent son âge alors que le visage cuivré est lisse. On dirait de lui un beau vieillard dans un roman français du XIXe siècle. Dans sa large gandoura d’un bleu ciel tranchant avec la rouge latérite, immobile, il scrute tout ce qui passe, tous ceux qui passent. Vous, lorsque vous arrivez devant lui !

El Hadi est le maire de la commune d’élevage, celle qui, à Bria, regroupe les Peuls. Ils seraient plus de 5 000. Le même nombre que les têtes de bétail, principalement des zébus, qu’ils possèdent. Les Peuls sont ces nomades éleveurs, « transfrontaliers » dont beaucoup, au vue des difficultés régionales, se sont sédentarisés. Comme l’ont fait, il y a vingt-cinq ans, ceux qui vivent ici. « En arrivant, nous avons apporté la richesse », souligne El Hadi sans détour.

Une visite au parc où sont vendues les bêtes corrobore les dires du maire. Peu de monde, peu de ventes. En cause, les événements qui frappent la Centrafrique. « Maintenant, nous avons beaucoup de difficultés. Il n’y a pas de commerçants pour acheter nos bêtes. » Auparavant, ils prenaient même la route jusqu’à Bangui. Un voyage d’un mois, au gré de la marche des troupeaux. Président de la fédération des éleveurs de la Haute-Kotto, Bobiri Amath Aliou énumère les problèmes. « Nous n’avons pas de produits vétérinaires. Or il y a la mouche tsé-tsé et énormément de tiques. » Par manque d’argent, les éleveurs ne peuvent plus acheter le sel nécessaire aux zébus pour éviter la déshydratation. Et puis, musulmans, ils redoutent les anti-balakas qui ne font pas de quartier et les coupeurs de route, avides de viande et de marchandises précieuses. Conscient des enjeux, Bobiri siège au comité de sensibilisation pour la paix entre les communautés chrétienne et musulmane (lire page 4). Philosophe, il dit : « Quand la barbe de ton voisin prend feu, tu dois te raser au plus vite. »

Pierre Barbancey

 

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À Boungou, une rivière de diamants qui excite les convoitises

humanite.fr, le 28 Février 2014  Centrafrique

 

Boungou (Centrafrique), envoyé spécial. Officiellement étroitement contrôlée, l’extraction des pierres précieuses fait la convoitise des marchands aussi bien que des groupes armés.

 

Le village de Boungou 2, situé pratiquement sur les berges de la rivière Boungou, à une vingtaine de kilomètres de Bria, ne paie pas de mine. Enfin, c’est une façon de dire. Parce que des mines, il y en a ! La rivière draine du grès dans lequel se trouvent un grand nombre de petites pierres, très précieuses : les diamants. Un bonheur et un malheur pour les habitants.

Hamat Mahamat est ce qu’on appelle un artisan minier. Financé par un collecteur, il construit des petits barrages sur le fleuve, là où se trouve le lit vif, pour que les ouvriers qu’il emploie puissent, à grands coups de pelles, remplir les tamis et retenir les pierres. Un travail dur, ingrat, usant pour ces hommes qui ont autant les pieds dans l’eau que dans la pauvreté. Ici, pas de pelleteuses ou autres machines coûteuses comme l’utilisent des compagnies canadiennes et chinoises (les Sud-Africains ont déserté les lieux il y a peu) dans des secteurs plus éloignés, mais des motopompes de fortune. « Pour trouver les bons endroits, il suffit de regarder la couleur de la terre », dit l’artisan.

 

Officiellement, l’extraction du diamant est sous haute surveillance administrative. Pour s’y rendre il faut même montrer patte blanche. Simon Bouyoulo, chef du service préfectoral des mines de Bria, qui nous accompagne, explique que son rôle est de contrôler le secteur et le circuit des diamants. « Sinon, il y aurait beaucoup de contrebande », assène-t-il sans rire. Il parle consciencieusement de la patente qui doit être réglée, du registre dans lequel tout est noté et s’inscrit en faux contre le « processus de Kimberley », regroupement d’États pour la supervision de l’extraction et du flux financier généré. Le diamant de Centrafrique étant soupçonné de financer des groupes armés, le pays n’est plus autorisé à en exporter depuis mai 2013. Ce qui, bien sûr, n’empêche pas les pierres d’être vendues à l’étranger puisqu’en réalité la surveillance est impossible et la corruption largement répandue.

Si les ex-Séléka se sont installés dans cette zone, ce n’est évidemment pas pour rien. Les habitants sont peu loquaces lorsqu’on aborde cette question. Certains acceptent néanmoins, si on ne dévoile pas leur nom, de raconter comment ils se font racketter à chaque franchissement de barrières contrôlées par les miliciens en treillis. D’autres racontent les attaques subies, de nuit, par des hommes en armes à la recherche de sacs de diamants. Mais aucun n’est jamais allé se plaindre…

 

Pour les artisans et les ouvriers du diamant, la situation actuelle est un manque à gagner certain. Abdelkader, un garagiste de Bria qui fait aussi dans l’extraction de diamants, en sait quelque chose. « Récemment, j’ai trouvé un diamant de 12 carats », assure-t-il. « Je ne l’ai vendu que 200 000 francs CFA (un peu plus de 300 euros – NDLR). Mais j’ai besoin d’argent ». Une baisse du coût qui n’est pas perdue pour tout le monde. Les bureaux d’achat, comme Sodiam ou Badica Côte d’Azur, à la surface financière suffisante, peuvent se permettre de stocker en attendant une reprise des ventes, moment où la plus-value sera extrême.

Pierre Barbancey