Kaga-Bandoro, carrefour de l'exode (République Centrafricaine)

 

Carte de la rca et la ville de Kaga-Bandoro

 

Vendredi, le président François Hollande a porté "temporairement" le dispositif de l'opération Sangaris à 2.000 hommes. Sur le terrain, la situation continue de se dégrader.

 

Le fragile équilibre du camion surchargé n'a pas résisté au virage serré et à la piste terreuse légèrement inclinée à cet endroit. Il s'est renversé samedi après-midi, ici, en pleine brousse, à 200 km au nord de Bangui. Une quinzaine de personnes auraient été tuées dans l'accident, selon un passager encore étourdi par le choc, posté à côté de deux militaires tchadiens lourdement armés. Chaque semaine depuis le mois de décembre et l'offensive des milices chrétiennes anti-Balaka sur Bangui, dix mois après le coup d'État des ex-rebelles de la Séléka en Centrafrique, des milliers de civils musulmans empruntent cette voie risquée pour fuir vers le pays Tchad voisin.

Les escortes armées des forces africaines ne suffisent pas à endiguer les attaques. Les pannes et les accidents compromettent fréquemment ce voyage forcé. Les villages et les villes du pays se sont peu à peu vidés de leurs habitants de confession musulmane, assimilés aux ex-rebelles. À Kaga-Bandoro, petite sous-préfecture de 25.000 habitants, par où devait nécessairement passer le camion accidenté, seuls les hommes sont restés. Cette résistance tient à la présence dans cette partie du nord des ex-rebelles de la Séléka, dont le territoire est cependant menacé chaque jour un peu plus par les anti-Balaka.

Les miliciens chrétiens se tiennent d'ailleurs prêts à attaquer, à quelques centaines de mètres de l'une des entrées de la ville. "Nous avons envoyé nos femmes et nos enfants au Tchad la semaine dernière", explique Moussa Abdoulaye, installé sous un manguier au bord de la route principale avec quelques amis. Né en Centrafrique, il espère, lui aussi, rejoindre ce pays frontalier à la faveur d'un prochain convoi. L'idée d'une partition du pays, les chrétiens au Sud, les musulmans au Nord, ne le séduit guère. "Si on nous demande de le faire, peut-être. Mais je préfère aller au Tchad pour ma sécurité." "Nous ne commandons pas, ce sont les politiques qui décident", poursuit son voisin, Abdoulaye Idriss, lui aussi volontaire pour un rapide départ vers le Tchad.

Un cycle de vengeance implacable

L'unique obsession au sein de la communauté musulmane de Centrafrique est de traverser la frontière pour ne plus être la cible systématique du cycle de vengeance implacable mené par les anti-Balaka. Ces derniers rejettent en bloc une partition. "On ne veut plus de musulmans ici. Ils doivent rentrer dans leur pays", insiste un de leurs chefs à Kaga-Bandoro. La plupart des membres de la communauté musulmane qui fuient actuellement sont pourtant centrafricains mais jugés par les miliciens anti-Balaka selon le seul critère de leur appartenance religieuse. Selon plusieurs sources humanitaires, des dizaines de milliers de candidats à l'exode seraient actuellement bloqués à la frontière entre la Centrafrique et le Tchad.

Aujourd'hui, la question de la partition exaspère les ex-rebelles de la Séléka, qui se concentrent pourtant dans le Nord depuis début décembre. Le "comzone" (commandant de la zone) de Kaga-Bamboro est natif d'un village voisin. Pourquoi devrait-il déménager plus au nord du pays? "Il ne faut pas parler de division", insiste le jeune homme aux larges épaules. La présidente de transition, Catherine Samba-Panza, réitère dans ses discours une fermeté à l'égard de toute idée de scission. Mais en Centrafrique, cette partition dont personne ne semble vouloir devient au fil des semaines une situation de facto. À Bangui, la capitale, l'unique quartier musulman, le PK5, est désormais presque désert. Ses derniers habitants se trouvaient pour certains dans l'immense convoi qui partait samedi vers le nord, vers la frontière.

Kaga-Bandoro (Centrafrique)- En 
Centrafrique, un pays qui a connu une succession de putschs et de troubles 
depuis son indépendance, la crise était présente bien avant le coup d'État de 
mars mais les violences ont encore aggravé la situation

Kaga-Bandoro (Centrafrique)- En Centrafrique, un pays qui a connu une succession de putschs et de troubles depuis son indépendance, la crise était présente bien avant le coup d'État de mars mais les violences ont encore aggravé la situation. Photo: Rémi Ralosse