En République
Centrafricaine :
Les parlementaires menacés de mort
Ce dimanche 9 février 2014, jour du Seigneur, un
parlementaire centrafricain a été assassiné devant chez lui, tué à bout-portant
de 8 balles de pistolet automatique par de prétendus miliciens anti-Balaka,
lesquels se revendiquent également chrétiens.
Ce meurtre abject survient après l'assassinat du juge
Modeste Bria et le meurtre, à l'arme blanche, le vendredi 24 janvier 2014 de
l'ancien ministre Joseph Kalité. Ce dernier, qui aura servi aussi bien sous
Ange-Félix Patassé que sous François Bozizé, était également proche de
l'ex-rébellion Séléka du président démissionnaire Michel Djotodia. Il était en
effet le beau-père de l'actuel ministre Herbert Gontran Djono-Ahaba. Une figure
emblématique donc.
La descente aux enfers continue donc en République
Centrafricaine. Face à cette folie meurtrière qui n'épargne plus personne, les
rodomontades et les admonestations du Premier-ministre centrafricain et du
général camerounais commandant la Misca demeurent de simples menaces de
gesticulations. A ce jour ces crimes demeurent impunis, alors que les tueurs ont
agit à visage découvert et sont connus du voisinage.
1 – Il faut sortir du mou et du
flou.
L'assassinat du conseiller national Jean-Emmanuel
N'Djaraoua survient juste après que ce dernier ait interpellé samedi le
Premier-ministre N'Zapayéké sur l'insécurité et la terreur que font régner les
bandes armées anti-Balaka à Bangui et dans quelques provinces du pays, après les
exactions commises par les rebelles de l'ex-Séléka.
Ayant témoigné en l'honneur de son collègue du Conseil
national de transition qui a perdu la vie, c'est aujourd'hui autour du
conseiller Sonny M'Pokomandji de faire l'objet de menaces de mort et de
tentatives d'intimidation. Voilà les autorités installées prévenues, qu'elles
soient centrafricaines ou des forces internationales. Il leur appartient
désormais d'assurer la sécurité de tous les parlementaires membres du Conseil
national de transition. Le gouvernement doit agir en
conséquence.
Lors de la présentation des membres de son gouvernement,
le Premier-ministre avait indiqué que la composition de celui-ci prenait en
compte « les rapports de force sur le terrain ». Il reconnaissait de
fait une équipe gouvernementale élaborée hors tout contexte
juridique.
En effet, dans tout Etat de droit, une association ou un
mouvement politique n'a d'existence légale que lorsqu'elle est déclarée et
reconnue par l'administration.
A notre connaissance, aucune démarche de cette nature
n'a été entreprise par les anti-Balaka. Dès lors on conçoit mal le blanc-seing
accordé par les nouvelles autorités de transition à une organisation criminelle.
Et même si les anti-Balaka étaient agréés, leur inclinaison criminelle nouvelle
devrait conduire à leur dissolution.
La même interrogation affleure à propos des l'ancienne
alliance Séléka, dissoute par le président Michel Djotodia en septembre dernier.
Juridiquement, toute personne se réclamant de cette nébuleuse devrait être
considérée comme un imposteur, voire un usurpateur.
Or des ex-Séléka participent en nombre au gouvernement
au même titre qu'un représentant autodésigné des anti-Balaka. Pis, considérant
que le poste de Premier-ministre leur revenait de droit, certains membres de
l'alliance défunte Séléka exigent la présidence de l'ART (autorité de régulation
des télécommunications) et de la société nationale d'électricité (Enerca),
qu'ils considèrent comme des organismes « juteux » ! L'instinct
de prédation des biens publics continue donc de prévaloir à leur
niveau.
Il n'est d'ailleurs pas inutile de relever par ailleurs
que le vice-président d'un parti politique notoirement connu a été nommé à la
Présidence au rang d'Inspecteur général d'Etat. Or cette haute fonction
administrative est incompatible avec l'appartenance à l'exécutif d'un parti
politique.
A force de mélanger les genres, on assiste à ce
spectacle où l'Etat centrafricain n'existe plus ; il est constitué de
féodalités virtuelles. Le moment est venu de dénoncer cette confusion afin de
mettre un terme à l'imbroglio banguissois.
Mon grand-père, Georges Gremboutou, chef de terre des
quartiers Bruxelles de Bangui, avait coutume de dire qu' « un chef
doit être craint et respecté ».
Il est craint parce qu'il a l'autorité, il est respecté
parce qu'il est juste. La première qualité a trait au caractère et relève de
l'éducation reçue, la seconde découle de la sagesse acquise, par l'instruction
ou
l'expérience.
Madame la Présidente de la transition en Centrafrique
gagnerait à suivre ce conseil. Il faut sortir du mou et du
flou.
2 – Lorsque la liberté de la presse
dérape.
Face au désarroi des autorités politiques nationales,
quelques institutions jouent les oiseaux de mauvais augures. Elles donnent
complaisamment la parole à des tueurs, en leur faisant prendre la pose devant
les objectifs de leur caméra vidéo. Cette manipulation confine à
l'instrumentalisation lorsqu'elles accordent des entretiens à des escrocs
notoires, qui prétendent coordonner les anti-Balaka, que naguère la même presse
nous présentait comme des groupes spontanés de défense locale.
Au nom de la liberté de la presse, on donne ainsi à voir
et à entendre des individus qui s'autoproclament libérateurs du peuple
centrafricain ! Ils revendiquent 7 000 hommes en armes et souhaitent
participer au partage du gâteau d'un programme DDR (désarmement, démobilisation,
réinsertion) pour tous. Il y a là, estiment-ils, de l'argent à
gagner.
Mais la liberté de la presse n'exige pas de se montrer
d'une neutralité bienveillante en la compagnie de quelques hirsutes énergumènes
qui veulent se poser en supplétifs de la force internationale : « il
faut associer les vrais anti-balaka pour combattre ces faux
anti-balaka » !
De son côté, le représentant de l'organisation non
gouvernementale Human Righ Watch se fait le complice involontaire d'une vérité
tronquée.
Certes, les musulmans sont traqués et prennent le chemin
de l'exil. Ce mouvement a pris de l'ampleur depuis un mois lorsque les pays
africains ont pris la décision de rapatrier leurs ressortissants : Tchad,
Mali, Côte d'Ivoire, Cameroun, etc. Ils ne sont pas les seuls. Beaucoup de
citoyens centrafricains de confession musulmane ont décidé également de se
mettre temporairement à l'abri. Des chrétiens aussi ont fui le pays devant les
exactions commises par les ex-Séléka.
A force d'entendre parler de conflit interconfessionnel
par des journalistes, incapables de traiter rationnellement l'origine du conflit
en cours sauf en simplifiant outrageusement la réalité des faits, beaucoup de
Centrafricains ou non ont perdu la foi et cherchent refuge à l'étranger. Le
plaidoyer alternatif, un coup les musulmans, un coup les chrétiens, n'est pas la
meilleure manière de traiter ce conflit. Il y faut une lecture globale,
systémique.
Contre toute évidence, pourtant, le chef d'état-major de
l'armée française en déplacement à Bangui n'a pas hésité à entonner le refrain
de la méthode Coué : « la violence est en partie jugulée » ;
une manière de mettre du baume au cœur de ses hommes qui ont perdu des camarades
au combat et vu de leurs yeux des drames innommables. La vérité est plus simple.
La violence prolifère encore parce que les autorités chargées de la juguler
atermoient. Il faut désarmer toutes les bandes et incarcérer les donneurs
d'ordre responsables de ces tueries. Ils sont actuellement peinards, à Bangui,
en France ou à l'étranger.
Les nommer au gouvernement n'arrange rien et crée un
appel d'air pour d'autres postulants tout aussi aigris.
Paris, le 10 janvier 2014.
Prosper INDO