Centrafrique:
le musée national de Bangui, saccagé par les violences, à la dérive… Encore
une fibre de plus de la mémoire Centrafricaine qui se déconnecte.
Bangui,
Agence
France-Presse,
12
avril 2014 - Par Jean-Pierre CAMPAGNE
Le musée national
Barthélémy Boganda n'a plus de stores, plus de vitres, plus de portes. Saccagé
par les violences qui ont éclaté en décembre dans Bangui, il est fermé au
public. Et, comme si la nature devait ajouter au désastre humain, construit sur
un terrain marécageux, il s'enfonce inexorablement dans la
terre.
Une
femme passe devant le musée national Barthélémy Boganda à Bangui le 11 avril
2014
Sa jeune directrice à
l'élégante coiffure, Albertine Ouaboua, est cependant présente à son bureau sans
porte, fidèle au poste. "Venez seulement à partir de 10 heures, avait prévenu la
veille le vigile, car, comme les gens ne sont plus payés, ils viennent en
+saccades+".
Elle tient d'abord à
préciser que, d'emblée, l'histoire de l'unique musée national était mal partie.
"Il a été construit en 1950 sur un terrain marécageux pour abriter une clinique.
Et puis, après l'époque coloniale, il est devenu la résidence du père fondateur
de la nation, Barthélémy Boganda, avant de devenir musée en
1965".
"Seulement, la maison
commence à s'affaisser, l'eau coule constamment à l'arrière, regardez ces
lézardes dans les murs".
De plus, ajoute-t-elle,
"il ne répond pas aux normes universelles d'un musée, la lumière, trop directe,
abîme les collections". N'empêche, ce musée ethnographique était ouvert jusqu'au
5 décembre 2013, jour où l'attaque des milices anti-balaka contre la rébellion
des ex-Séléka embrasa Bangui.
Un mois plus tard, début
janvier, la directrice revient au musée et elle trouve, éparpillées dans l'herbe
sauvage, des pièces de collection : des photos en noir et blanc, des poteries,
des instruments de musique, des couteaux de jet, des arcs sans flèche. Ils sont
encore là, éparpillés sur le rebord intérieur de la fenêtre de son bureau, à
côté d'une chaise métallique à laquelle on a arraché tout le
dossier.
"Ils ont vraiment eu le
temps de piller, mais il reste encore des collections qui n'étaient pas
exposées, faute de place".
"On voit que ce n'était
pas des antiquaires, ils auraient préféré ne trouver que des ordinateurs",
observe-t-elle.
Elle relève que ce sont
les calebasses des Peuls (pour boire) et, surtout, les bâtons de commandement
qui ont été volés.
"Les bâtons de
commandement détiennent des pouvoirs mystiques, explique Mme Ouaboua, ils sont
remplis de puissances, bénéfiques ou maléfiques selon la volonté de celui qui
les possède. Ils sont faits de certains arbres de la forêt et se
transmettent".
Les yeux de la
directrice s'illuminent lorsque elle parle ethnographie mais s'assombrissent
vite lorsqu'elle évoque l'ampleur des dégâts, l'insécurité constante,
l'hypothétique financement qui serait nécessaire pour renflouer le vieux rafiot
patrimonial.
- Le musée de la femme
saccagé -
"Nous sommes confrontés
à un problème crucial. Nous ne cessons de constater les cas de vandalisme
accumulés depuis. Même maintenant, la nuit, des gens continuent de venir
voler".
Il leur faut trouver
l'argent pour renforcer le dispositif de sécurité. Et, en attendant, Madame la
directrice vient tous les jours à son poste. Même si elle n'est plus payée
depuis cinq mois, comme les autres fonctionnaires du musée, et de beaucoup
d'autres administrations.
"J'ai un chef au dessus
de moi. Si je ne viens pas, il me sanctionnera".
Elle ajoute: "depuis le
24 mars 2013 (prise de pouvoir par la rébellion Séléka), nous n'avons plus de
paix".
Elle sourit malgré tout
en racontant la litanie des plaies personnelles et collectives de son pays à la
dérive. Elle se trouvait à la sortie nord de la ville le samedi 29 mars lorsque
des Tchadiens de la force africaine ont ouvert le feu sur une foule. "Il y a eu
tant de morts, que j'ai perdu connaissance".
Pourquoi sourit-elle
toujours dans son bureau du musée national dévasté?. "Si on reste triste, on va
tomber malade".
Hypothétiques touristes,
ne cherchez pas d'autres musées à visiter dans Bangui: "le musée de la femme a
été complètement saccagé, on ne peut même pas y trouver une aiguille, et celui
des Peuls a été brûlé".
Centrafrique : Danseurs aux grelots Ngarnzé
Encore une fibre de plus de la mémoire Centrafricaine qui se déconnecte avec les saccages (Victor Bissengué).