Obstacles à l'aide et aux
évacuations en RCA
BOZOUM, 10 février 2014
(IRIN) - Dewa
Iliassa, un jeune musulman, vit dans une rue de Bozoum, une ville située dans le
nord-ouest de la République centrafricaine (RCA). Il n'a avec lui qu'une petite
partie de ses effets personnels et il a trop peur pour se déplacer à plus de
Il fait partie des quelque 2 500
musulmans qui se sont réunis dans le centre de Bozoum, l'un des rares
établissements de la région où les gens de sa communauté sont protégés par les
casques bleus internationaux. La protection offerte à Bozoum ne couvre cependant
qu'une toute petite zone.
« Si nous allons au-delà du coin
de la rue, les [milices] anti-balaka nous feront payer quelque chose. Elles
pourraient même nous tuer », a dit M. Iliassa.
Dans l'ouest du pays en
particulier, les musulmans sont les cibles d'attaques menées par les
anti-balaka, des milices formées pour s'opposer à la Séléka, le groupe rebelle
largement musulman qui a renversé le président François Bozizé en mars 2013.
(Les forces de la Séléka ont officiellement été dissoutes en septembre dernier,
mais ses combattants demeurent actifs dans certaines régions du
pays.)
« De nombreux musulmans ont été
tués ici. Parmi les gens que je connais, il y en a eu peut-être une quinzaine »,
a dit M. Iliassa. « Je suis né ici, tout comme mes parents et mes
grands-parents, mais nous voulons maintenant partir pour le Tchad parce que les
chrétiens ne veulent pas de nous ici. »
Saleh Ibrahim, un chef de
quartier, a dit à IRIN que tous les membres de la communauté souhaitaient
quitter le pays, mais qu'ils ne pouvaient pas emprunter les routes pour le
faire, car elles sont contrôlées par les anti-balaka.
« Nous ne pouvons pas partir et
nous ne pouvons pas rester », a-t-il dit. « Nos maisons et nos magasins ont été
pillés, il n'y a presque plus rien à manger et la plupart des gens dorment
dehors. »
Il a reconnu que les
travailleurs humanitaires offraient certains services dans ce ghetto en plein
air. Médecins Sans Frontières (MSF) a mis sur pied une clinique de santé mobile
; un prêtre local, Aurelio Gazzera, fournit des sacs de riz ; et les agences des
Nations Unies s'occupent de l'approvisionnement en eau.
La situation est semblable à
Bouar, une plus grande ville située à une centaine de kilomètres de
Bozoum.
Les travailleurs humanitaires
qui ouvrent à Bouar ont dit à IRIN qu'il y avait entre 17 000 et 20 000
personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays (PDIP) à Bouar - des
chrétiens et des musulmans. Ils ont ajouté que le détachement de casques bleus
camerounais déployé à Bouar n'avait pas le plein contrôle de la
situation.
« La ville est contrôlée par les
anti-balaka. Les musulmans sont dans une sorte de prison, une zone qui se limite
à quelques rues. Le commandant des anti-balaka a dit qu'il conseillait aux
musulmans de ne pas quitter cette zone parce qu'il ne pourrait alors garantir
leur sécurité », a dit Narcisse Wega, le coordonnateur local pour
MSF-Suisse.
Évacuations
dangereuses
Les musulmans comptaient pour
environ 20 pour cent des quelque 47 000 habitants de Bouar et formaient environ
15 pour cent de l'ensemble de la population centrafricaine. Des dizaines de
milliers de musulmans ont cependant quitté le pays depuis l'éclatement des
violences intercommunautaires survenu au début du mois de
décembre.
Après avoir repoussé l'ancienne
Séléka de nombreuses villes au cours des dernières semaines, les anti-balaka ont
pris le contrôle de nouvelles zones dans le nord-ouest et commencé à attaquer
les convois de musulmans.
À la mi-janvier, une grenade
lancée sur un poids lourd transportant des musulmans près de Bouar a fait 23
morts. À la suite de cet incident, des centaines de routiers ont refusé de
traverser en RCA. Dernièrement, le Programme alimentaire mondial (PAM) a réussi
à persuader une douzaine de chauffeurs sur les 38 embauchés d'acheminer des
provisions avec une escorte armée, mais les autres - les musulmans, en
particulier - se montrent toujours réticents à traverser la
frontière.
Vu la force croissante des
anti-balaka, il est aussi plus dangereux pour les musulmans de se regrouper pour
les évacuations.
Dans la ville de Bossembele,
plus de 50 musulmans attendant d'être évacués ont été tués le 16 janvier, selon
Amnesty International, et des attaques contre des civils musulmans ont également
été rapportées à Bozoum, Bossemptele, Yaloke, Boali et dans de plus petits
établissements.
L'ex-Séléka et ses alliés
musulmans ont commis de nombreuses atrocités l'an passé. Ils ont notamment tué
des centaines de civils dans la capitale, Bangui, en décembre dernier. Dans
certaines régions, les non-musulmans sont encore la cible de violences
intercommunautaires.
Selon Amnesty International,
l'ancienne Séléka et ses alliés ont tué une centaine de civils non musulmans
dans la ville de Baoro le 16 janvier dernier. D'après Cassien Kamatari, un
prêtre local, plus de 75 civils - des non-musulmans, pour la plupart - ont été
tués dans des affrontements intercommunautaires à Boda au cours de la dernière
semaine.
Des casques bleus et des
travailleurs humanitaires sont présents à Bouar et à Bozoum, mais la plupart des
plus petits établissements ne bénéficient d'aucune aide ou
protection.
Plus de casques
bleus
Depuis plus d'une semaine,
Amnesty International appelle au déploiement de casques bleus à Bossemptele, une
autre ville située sur la route principale qui mène au Cameroun, a dit à IRIN
Donatella Rovera, qui travaille pour l'organisation.
Elle a dit que les anti-balaka
terrorisaient des centaines de PDIP musulmanes qui s'étaient réfugiées à la
mission catholique de Bossemptele.
« Le 1er février, ils ont enlevé
trois PDIP », a-t-elle dit. « Ils les ont finalement libérées, mais, le 3
février, ils ont battu une PDIP et menacé de tuer des PDIP blessées qui se
trouvaient à l'hôpital de la mission. »
« Un convoi de la MISCA [Mission
internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine] est passé
par Bossemptele et s'est arrêté à la mission le 3 février, mais il n'a amené
avec lui aucune PDIP. Les prêtres et les sours de la mission sont de plus en
plus préoccupés, car la situation se détériore et les menaces deviennent de plus
en plus fréquentes et concrètes. »
« Là où les soldats de la MISCA
ont été déployés, ils ont fait une différence », a-t-elle ajouté. « Les
anti-balaka sont mal armés et ne sont pas à la hauteur, mais la MISCA doit être
présente dans davantage d'endroits. »
Un porte-parole de la MISCA,
Eloi Yao, a dit que l'intérieur du pays était une priorité pour la force [de
maintien de la paix].
« Nous ferons tout ce qui est en
notre pouvoir. Nous sommes déployés dans les églises et les mosquées, mais il
est très difficile de couvrir le moindre coin », a-t-il dit. « Nous ne
transportons pas les gens par camions - cela ne fait pas partie de notre mandat
-, mais nous tentons de créer des corridors humanitaires.
»
La MISCA a déployé davantage de
ses 5 500 soldats à l'extérieur de la capitale au cours des dernières semaines.
La majeure partie des 1 600 casques bleus français qui se trouvent dans le pays
ont été déployés à Bangui. Les violences intercommunautaires se sont poursuivies
à Bangui ; la semaine dernière, la Croix-Rouge a rapporté le meurtre de 30
personnes en l'espace de trois jours.
Sous les pressions des
anti-balaka, de la force française et de la MISCA, la majeure partie des
ex-Séléka qui étaient encore à Bangui ont quitté la capitale ou sont confinés
dans un camp là-bas. Au cours des dernières semaines, les casques bleus ont mis
en ouvre des actions plus fermes contre les anti-balaka.
Selon un soldat de la MISCA
déployé à Bouar qui a préféré garder l'anonymat, les casques bleus ont beaucoup
plus de chance de réussir à restaurer l'ordre s'ils n'ont à traiter qu'avec un
seul groupe armé au lieu de deux.
Un débat dont personne ne
veut
Jusqu'à récemment, les
organisations d'aide humanitaire n'étaient pas impliquées dans l'évacuation des
musulmans du pays. Au cours des dernières semaines, l'Organisation
internationale pour les migrations (OIM) a affrété des avions pour évacuer des
ressortissants tchadiens ; en date du 20 janvier, elle avait évacué environ 2
200 personnes de Bangui. L'organisation a par ailleurs bénéficié de l'aide du
Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) pour l'évacuation
d'environ 200 Tchadiens ayant un statut de réfugié en RCA.
À la question de savoir si les
organisations d'aide humanitaire devraient aider à l'évacuation de davantage de
personnes, Mme Rovera a répondu : « Personne ne s'y oppose officiellement. Les
organisations ne veulent pas qu'on croie qu'elles facilitent le nettoyage
ethnique. Nous sommes d'avis que les gens ne devraient pas être forcés de
quitter leurs foyers et qu'il devrait y avoir davantage de protection.
»
Personne ne sait combien de
musulmans ou de chrétiens de l'ouest de la RCA souhaiteraient être évacués de
leurs régions d'origine, une décision possiblement irréversible pour de nombreux
musulmans.
Mme Rovera a noté que les musulmans plus démunis qui vivent
plus loin des villes ou qui ne peuvent payer les tarifs que pratiquent les
chauffeurs de camion ont été nombreux à ne pas pouvoir être évacués quand le
transport était plus facile d'accès.
Des musulmans de Bozoum ont dit
à IRIN que les Peuls qui, traditionnellement, gardent des troupeaux dans la
région étaient nombreux à avoir fui vers les villes ou à l'étranger, mais que
d'autres tentaient encore de garder leur bétail, et que les conflits
intercommunautaires se poursuivaient dans les zones
rurales.
Le père Gazzera, qui a organisé
plusieurs réunions pour tenter de réconcilier les communautés, croit que la
cohabitation entre chrétiens et Peuls sera difficile dans la région de Bozoum
dans un avenir rapproché.
« Certains Peuls se sont alliés avec la Séléka
et ont pris les armes contre leurs voisins », a-t-il dit. « Il se peut qu'ils
puissent vivre ensemble à nouveau d'ici un an ou deux, mais, pour le moment,
c'est compliqué. »
Le fait que la plupart des Peuls
de la RCA ne sont plus nomades et se sont installés dans des villages pourrait
aussi rendre la réinstallation plus difficile.
L'aide commence à
arriver
Plus de deux millions de
personnes ont besoin d'aide et la plupart d'entre elles ont peu ou pas d'accès
aux soins médicaux. Par ailleurs, des centaines de milliers de personnes sont
toujours déplacées. Les violences intercommunautaires qui ont balayé le
nord-ouest du pays pourraient se propager à d'autres régions si les ex-Séléka
perdent le contrôle d'autres régions au profit des
anti-balaka.
Selon le PAM, il faut acheminer
davantage de vivres à Bouar. Florence Lanyero, la gestionnaire du
PAM