La Présidente de la transition et le jeu de Go.

 

La situation en République centrafricaine, loin de se stabiliser, se complique. Elle fait même craindre le pire. En effet, les exactions des différentes milices et bandes armées se perpétuent, malgré la présence et le renforcement des forces multinationales.

 

En marge des incidents dramatiques qui ponctuent le quotidien des Centrafricains, les différents protagonistes de la crise s'organisent et poursuivent leurs objectifs particuliers, comme si de rien n'était.

 

 

1 – Un projet gouvernemental irréaliste, inutile et dangereux.

 

A la présidence de transition, Mme Catherine Samba-Panza promet depuis dix jours un réaménagement de son cabinet et du gouvernement. L'affaire traîne cependant. Il semble qu'elle veuille faire place aux représentants des « forces du mal », les ex-Séléka et les anti-Balaka. C'est la victoire de ceux qui tiennent des armes contre le peuple, pris en otage. Cette entrée au gouvernement, c'est une prime aux assassins !

 

De leur côté, les ex-Séléka se sont réunis en assemblée générale le week-end dernier à Ndélé, convoyés pour l'occasion par les forces multinationales Sangaris et Misca. Il paraît d'ailleurs que ces derniers ont assisté aux débats, accompagnés en la circonstance par des représentants du gouvernement. L'assemblée a conclu à la nomination d'un nouveau chef d'état major et à la mise sur pied d'une coordination politique de 5 membres.

Fort de cette réorganisation placée sous les auspices officiels, la « Séléka recomposée » réclame l'autonomie de huit préfectures, sur les 16 que compte l'Etat centrafricain.  Elle affirme que ces huit préfectures seraient sous le contrôle de ses forces, au risque de créer une autre ligne de front, car parmi ces 8 préfectures, figurent la Basse-Kotto, le Mbomou et le Haut-Mbomou. Or ce ne sont ni des régions du nord du pays ni des populations à majorité musulmane. La Séléka recomposée ne peut y imposer l'islam et la charia, sauf en semant la terreur, comme au temps de Rabah et Sénoussi !

 

Seul un président régulièrement élu au suffrage universel par le peuple ou par un très large collège de grands électeurs est légitime à proposer une telle réorganisation de la République.

 

Il n’est d’ailleurs pas dit que les populations de ces régions restent passives, compte-tenu des relais dont elles disposent au sein des Forces armées centrafricaines ; elles pourraient rapidement entonner l’air des partisans et sonner la résistance. Elles pourraient également tirer profit de la présence des forces spéciales américaines déployées dans la région à la poursuite de Joseph Kony et des rebelles de la LRA. Les Américains, qui ont pris pied au Sud-Soudan, ne verraient qu’avantage à contrarier le déploiement des anciens coreligionnaires du rebelle Michel Djotodia qu’ils ont ajouté sur la liste des personnes sanctionnées par le Conseil de sécurité.

 

Le risque d’internalisation du conflit centrafricain existe également à l’ouest du pays.

 

En effet pris de vitesse par leurs ennemis, les anti-Balaka programment depuis le début de la semaine dernière la tenue d'un congrès. A écouter les dénommés Paléon Zilabo et Sébastien Wénézoui, présentés respectivement comme conseiller politique et porte-parole national des anti-Balaka, « l'objectif de cette réunion est de désigner un coordinateur général ».

Cette tentative d'organisation d'un mouvement présenté jusqu'alors comme une nébuleuse de comités locaux d'autodéfense, ferait suite à une exigence de la Présidente de transition, qui souhaite avoir un interlocuteur unique. Mme Samba-Panza aurait rencontré les représentants des anti-Balaka le 6 mai dernier, à l'occasion de l'anniversaire de ses 100 premiers jours à la tête de l’Etat centrafricain. Elle aurait demandé à ses interlocuteurs de lui « proposer des noms pour le gouvernement et des postes de hauts fonctionnaires » !

Or il est peu de dire que les anti-Balaka sont sous les feux croisés des ex-Séléka au nord et des Peulhs établis au nord du Cameroun, à l’ouest de la RCA, lesquels pourraient bénéficier de la logistique du groupe terroriste nigérian Boko Haram !

 

Quant au gouvernement de transition de M. Nzapayéké, totalement écarté de ces conciliabules, il n'en finit pas d'agoniser. Le réaménagement promis, dont le Premier-ministre s'est fait l'écho il y a quatre jours, surviendrait au lendemain de la présentation de sa feuille de route devant le Conseil national de transition, trois mois après son installation! Selon le Premier-ministre, la réussite de ce plan nécessite un besoin de financements à hauteur de 1 milliard d'euros, soit 667 milliards de francs Cfa, somme astronomique à laquelle la RCA ne contribuerait que pour 1%, laissant le reste à la bonté des bailleurs de fonds internationaux. Autant le dire tout de suite, il s'agit d'un projet mort-né car irréaliste, inutile et donc dangereux. Il est en effet vain d’entretenir une illusion !

 

2 – Un gouvernement « inclusif et représentatif » de bandits armés.

 

Au lieu d'organiser un vrai et large dialogue incluant en particulier les autorités traditionnelles du pays, les chefs de village et chefs coutumiers, la Présidente de transition se contente d'un replâtrage destiné à rendre le gouvernement de transition « plus inclusif et plus représentatif » des bandes et milices armées.

Elle institutionnalise donc ces entités « terroristes » et, dans les faits, installe une partition de jure du pays. Car en acceptant l’installation de l’état-major de l’alliance rebelle « Séléka recomposée » à Bambari, elle donne quitus à tous ceux qui depuis longtemps milite pour l’implantation de la capitale de la RCA au chef-lieu de la Ouaka, au prétexte que cette bourgade était plus centrale et moins exposée aux invasions ou attaques insurrectionnelles. C’est confondre la géographie et l’art militaire. La première sert « à faire la guerre », la seconde à gagner les batailles.

De plus, la translation d’une capitale ne change rien à la mauvaise gouvernance d’un pays. Abuja ou Yamoussoukro n’ont rien changé à la donne au Nigéria et en Côte d’Ivoire. Qu’adviendra-t-il lorsque les anti-Balaka viendront lui demander d’installer leur capitale à Bouar ?

Il est d’ailleurs curieux et inconcevable que madame Samba-Panza, en sa qualité de chef suprême des armées centrafricaines, puisse accepter un tel état de fait. Elle viole ainsi le serment qu’elle a prêté le jour de son investiture et s’expose à une accusation de haute trahison.

En procédant de la sorte, la Présidente de transition ne défend pas la Charte constitutionnelle sur laquelle reposent sa légitimité et son autorité. Elle se fait hara-kiri.

 

Sans doute pense-t-elle, en faisant rentrer les différents groupes rebelles au gouvernement, acheter la paix. C’est peine perdue.

Les précédents paris de cette nature ayant tous été perdus, par Ange-Félix Patassé d'abord et  par François Bozizé ensuite, on peut craindre que ceux auxquels la Présidente de transition ouvre ainsi les portes des palais nationaux viendront demain lui dire : Dégage !

C'est dans leur nature.

En la matière son ministre conseiller chargé des relations avec les forces multinationales Sangaris et Misca, et accessoirement responsable du programme DDR, est bien armé pour l’instruire, ayant lui-même été le leader de l’une des factions aujourd’hui constitutives des ex-Séléka. L’homme serait par ailleurs, en sa qualité d’ancien ministre de la Défense nationale, bien en cour auprès des milices anti-Balaka, constituées en grande partie par d’anciens militaires des forces armées centrafricaines.

 

Le monde a connu des femmes chef d’Etat qui ont conduit leur peuple à la paix sans pour autant avoir peur de faire la guerre : Golda Meir, Indira Gandhi, Margaret Thatcher, Ellen Johnson Sirleaf, etc. Là, on reste dubitatif.

 

La Présidente de transition devra très vite apprendre que la beauté et la puissance du jeu de Go consiste à encercler les pions noirs de l’adversaire, un à un, sans perdre aucun des blancs siens, sauf à les sacrifier volontiers pour des positions plus stratégiques, plutôt qu’à se laisser gangrener par les pions adverses !

 

La seule question qui reste à trancher demeure l’attitude de la France dans cet embrouillamini. Elle donne l’impression de ménager la chèvre et le chou. Comment peut-on comprendre que les forces multinationales, Sangaris et Misca, qui ont pour mission de désarmer toutes les bandes armées, puissent mettre leur logistique à la disposition des chefs rebelles de la Séléka, et convoyer ces derniers à N’Délé, à 650 km de Bangui, pour le besoin de leur assemblée générale ? Comment des hommes qui doivent être cantonnés et désarmés, aux termes de trois résolutions successives du Conseil de sécurité, peuvent-ils se déplacer à leur guise, tenir conseil deux jours durant et choisir le lieu d’implantation de leur « état-major » avec, sinon la complicité tacite mais, au moins la neutralité bienveillante des forces chargées de les neutraliser ?

Les richesses naturelles supposées du Nord – pétrole, diamants et pierres précieuses – valent elles mieux que l’avenir d’une Nation ? La France aurait-elle définitivement établi les rapports de forces sur le terrain et volerait-elle au secours de la victoire ?

A défendre ses intérêts, pourquoi pas, elle ferait aussi bien de prendre en compte le sort de ses alliés, en particulier celui de populations civiles démunies et accablées par tant de violence aveugle.

 

Paris, le 15 mai 2014

 

Prosper INDO