Lettre ouverte à M. Laurent Fabius,

Ministre des affaires étrangères.

 

 

Monsieur le ministre,

 

Le 16 octobre 2013, j'interpellais l'opinion française en ces termes : « en prenant le pouvoir le 24 mars dernier, Michel Djotodia a suscité un événement qu'il a déclenché de son plein gré. Dès lors, il lui appartenait de prévoir les conséquences de son acte et d'anticiper les effets pervers qu'induirait un tel évènement ». Et j'ajoutai pour être complet, « en ne prenant pas les précautions nécessaires pour prévenir les exactions et les crimes commis par ses troupes, il s'est fait le complice objectif de ces méfaits. Il en va de même du Premier-ministre et des membres du gouvernement de transition, lesquels ont, par ambition, vanité ou voracité, accepté de partager cette responsabilité ».

 

Aujourd'hui, je reviens vers vous pour dire la même chose et aller plus loin à l'égard des leaders autoproclamés des milices anti-balaka et des membres du gouvernement de la transition renouvelée.

Ces dix derniers jours, une centaine de morts au moins aura été comptabilsée à Bangui et en province. Hier lundi, c'est en utilisant des moyens militaires lourds et d'un appui aérien que les Sangarisi ont pu stopper une colonne lourdement armée rebelle en direction de Boguila, ville martyre de l'ouest du pays. La puissance de feu des milices rebelles peut étonner, pas leur détermination à mettre le pays à feu et à sang.

 

En acceptant de venir aux affaires, madame Catherine Samba-Panza et les siens auraient dû s'armer en bouclier du peuple centrafricain. Au lieu de cela, ils devisent tranquillement avec les bourreaux de la population et prennent langue avec eux, au risque de conforter les rebelles et les miliciens dans leurs œuvres infernales d' « ennemis de la paix ». Ce faisant, les uns et les autres se rangent derechef dans le camp des critiques de la force multinationale, Misca et Sangaris, les seules à prendre quelques initiatives pour protéger des civils innocents, chrétiens ou musulmans.

 

Je ne souhaite pas m'appesantir sur le sujet, le livre des prières m'obligeant à taire ma colère et à penser à faire le bien. Aussi, je m'exécute et vous propose deux voies et moyens pour pacifier le Centrafrique, sans attendre l'arrivée de la mission de maintien de la paix de l'Onu.

 

1 – En premier lieu, mettez votre ardeur et la puissance de votre nouveau grand ministère à combattre et neutraliser tous les factieux, rebelles ou miliciens confondus. Il faut désarmer !

Il n'est plus question de conciliabule ni de tentative de réconciliation tant que les fauteurs de guerre n'auront pas, unilatéralement et spontanément, déposé les armes. Ils pourraient le faire dans l'anonymat en les remettant directement à leurs chefs de village ou de quartier respectifs. Ces derniers, qui ont conservé quelque autorité auprès des leurs, sauront  remettre ces armes aux autorités qualifiées. Ces vieux sages ont « la froideur de l'étoile polaire » et sauront raison garder. Le moment venu, il faudra songer à rassembler l’ensemble de ces juges coutumiers pour en faire, comme médiateurs de la paix et de la cohésion sociale, les porteurs du changement qui vient.

 

A défaut d'un désarmement unilatéral et volontaire, il faudra utiliser la manière forte et incriminer les récalcitrants comme criminels de guerre.

 

2 – En second lieu, il est nécessaire et indispensable, voire salutaire, d'appréhender et faire entendre raison à leurs commanditaires respectifs.

 

La loi n'interdit pas la délation, mais elle récuse le faux témoignage et la dénonciation calomnieuse. Aussi, je me contenterai de signaler les trois clans qui se disputent la charogne de ce pays moribond qu'est devenue la République Centrafricaine.

 

ñ     le clan François Bozizé. Vous en connaissez les différents membres, ses fils, ses conseillers, ses hommes de paille et ses bonnes à tout faire, lesquelles de ces dernières détiennent des comptes bancaires en Suisse alors qu'elles vivent en France avec le RSA. Anciens premiers-ministres, ex-ministres ou simples porte-flingues du président déchu, ils sont légions en région parisienne, à Nantes, Tours et Lyon.

ñ     Le clan Michel Djotodia. Ancien féal du précédent, et président démissionnaire exilé au Bénin par la grâce des chefs d’Etats de l'Afrique centrale, l'ancien chef rebelle de l'alliance séléka a essaimé quelques grenades humaines dégoupillées un peu partout aux frontières de la RCA avec les pays voisins, voire au sein même du gouvernement de la transition renouvelée où son neveu garde un ministère de plein exercice. Ces généraux autoproclamés et autres commandants de zone militaire échafaudent au grand jour leurs prochains rezzous, et n'ont qu'un rêve : vivre des rentes pétrolières et diamantifères supposées que leur garantirait la sécession de la partie nord du territoire centrafricain. Pour l'heure, ils grenouillent à N'Djaména en attendant leur permission de sortie du territoire tchadien.

ñ     Les caciques de l'ère Ange-Félix Patassé. Le troisième clan est celui des membres du bureau politique du mouvement de libération du peuple centrafricain, l'ancien parti politique du président Patassé, décédé au Cameroun sur la route d'un exil sanitaire. Les caciques de  ce mouvement ont fait main basse sur l'opposition démocratique au sein d’une nouvelle alliance qui a succédé au front pour la reprise des élections (FARE), et phagocyté les autres organes de la société civile, telle la ligue centrafricaine des droits de l'homme. Ils n'ont qu'un seul objectif, la reconquête d’un pouvoir qui garantie des rentes à vie.

 

Je ne saurai aller plus loin dans la dénonciation de tous ces « créateurs du chaos centrafricain », sauf à énumérer, éphémérides en main, la litanie de leurs saint-patrons respectifs ; à lui seul le calendrier grégorien n'y suffirait point.

Ils sont d'ailleurs si sûrs de leur impunité qu'ils sont tous, quelle que soit leur appartenance clanique, candidats à la candidature pour les élections présidentielles à venir, sans souci pour la misère du peuple centrafricain et son long martyr.

 

L'article 30 de la constituions du 5 décembre 2004, dont s'inspire la Charte constitutionnelle de la transition, accorde les pouvoirs exceptionnels au chef de l'Etat en vue de rétablir l'ordre public, l'unité du territoire et le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, « lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité du territoire, l'exécution des engagements internationaux ou le fonctionnement normal des pouvoir public sont menacés de manière grave et immédiate ».

La présidente de transition aurait pu invoquer ce pouvoir exceptionnel, limité dans le temps, pour soumettre ces pagailleurs à la contrainte. Au lieu de cela, en sa qualité d'ancienne présidente de l'association des femmes juristes de Centrafrique, elle a choisi les chemins de traverse, n'ignorant pas que le droit mène à tout, à condition d'en sortir... Hélas !

 

Raison pour laquelle je fais appel à votre entregent auprès du ministre de la défense nationale, votre collègue, afin d'amener les Sangaris à pacifier ce qui reste du pays de Barthélémy Boganda, sans tenir compte du qu'en dira-t-on.

 

Recevez, monsieur le ministre, l'assurance de ma très respectueuse considération.

 

Paris, le 6 mai 2014

 

Prosper INDO